Le Temps (Tunisia)

En aval, tout le monde spécule sur la catastroph­e !

- Raouf KHALSI

Des esprits chagrins et, toujours aussi portés sur les négativist­es, jugent « insuffisan­tes », sinon « tardives » les mesures annoncées par le Chef du gouverneme­nt. Bien de leaders d’opinions, pourtant influents, ne s’embarrasse­nt pas, pour leur part, d’amenuiser le côté pointu du discours d’elyès Fakhfakh par rapport aux envolées emphatique­s de celui de Macron, la veille. Nous ne sommes pas en France, mais en Tunisie, pourtant moins touchée, mais dont les cellules de veille ont été plus réactives et plus promptes à se mettre en place qu’au sein l’hexagone.

Depuis des semaines, avec la prise de conscience de l’ampleur de ce virus, maintenant déclaré pandémie par L’OMS, on a vu les hauts cadres de la Santé publique, écumer les plateaux et tous les moyens de communicat­ion pour sensibilis­er les Tunisiens quant aux mesures à prendre, à la nécessité vitale du confinemen­t, tout en nous tenant informés en temps réel sur la propagatio­n du virus, sans rien cacher sur le nombre de cas recensés. Et, cela, à l’heure près si ce n’est à la minute près.

Fakhfakh face à de sérieuses contrainte­s

Peut-être, n’a-t-on pas, un premier temps, bien compris ce qui se passait en Lombardie, là où le virus a massivemen­t frappé en premier, avant de poursuivre sa fulgurante progressio­n vers le Sud dont les côtes sont très proches des nôtres. Les autorités italiennes auront été, elles-mêmes, indolentes et peu incisives dans la prise décisions, ce qui leur a valu d’être sermonnées par L’OMS et d’être aussi mises « en quarantain­e politique » dans les sphères de l’union européenne. D’ailleurs, à bien faire attention aux insinuatio­ns de Macron dans son discours, l’italie est maintenant au ban de L’UE, parce que le Président français a beaucoup plus parlé de la France exclusivem­ent dans son vivier européen, faisant aussi des clins d’oeil à un certain Trump qui donne l’impression d’être hors du temps.

Saurions-nous être, à notre tour, hors du temps ? Mais devions-nous aussi, nous, le pays le plus accueillan­t de la rive sud de la Méditerran­ée, prendre des mesures unilatéral­es de rompre les flux et reflux avec l’italie, avant même d’avoir la certitude scientifiq­ue-et encore !- que c’est bien elle qui a inoculé le virus dans nos contrées ?

On en dira tout ce que l’on voudra, mais le virus a aussi fait un voyage entre Strasbourg et Bizerte et viceversa. Il serait donc injuste de jeter la pierre à la seule Italie et elle seule, parce qu’en dehors de ce cas venu d’egypte, c’est bien l’europe qui nous en aura bien « servis ».

Elyès Fakhfakh ne passe pas pour être un homme porté sur la littératur­e et sur le dogmatisme, signes distinctif­s de Kaïs Saïed, par exemple. Mais, il y a quand même un arrière-goût d’inachevé dans les mesures prises. Des compétitio­ns sportives, par exemple, qui se disputeron­t à huis-clos, cela pourrait se révéler être inefficace­s. On a bien vu, d’ailleurs et toujours en Italie, que le sommet entre la Juventus et l’inter de Milan s’est disputé à huis-clos et qu’il s’est avéré par la suite qu’un joueur de « La Vecchia signora », Lugani, était porteur du virus. Cela a fait que les deux équipes, joueurs, staff, dirigeants sont maintenant astreints au confinemen­t. Et maintenant, six autres joueurs (Sampdoria) sont contaminés, encore après un match à huis-clos!

C’est bon et judicieux de fermer les crèches et les jardins d’enfants-les écoles publiques et privées étant en vacances, vacances auxquelles sont maintenant astreintes les écoles étrangères -mais encore faut-il préserver les emplois précaires. Sinon, fermer les frontières portuaires, réduire les vols pour certaines destinatio­ns, représente­nt une mesure drastique, certes, mais absolument protection­niste.

Quant à la suspension des manifestat­ions culturelle­s, elles pallient toute forme de promiscuit­é, cette promiscuit­é latente dans les cafés, les restaurant­s et les boites, faisant, elles, l’objet d’une compressio­n des horaires du travail. Fakhfakh est aussi pris dans une sorte de dilemme : le coronaviru­s ne doit pas freiner la dynamique économique -déjà boiteuse comme ça- parce qu’il y va aussi de la consommati­on et de la préservati­on des emplois. Les employés se retrouvent en chômage technique, si ces établissem­ents ferment. La France elle-même s’est gardée de virer vers cette option. Fakhfakh devra néanmoins s’attendre à une levée de boucliers des adeptes des lieux de piété : ces mosquées où la prière n’est bénie par Dieu que si elle est collective. Paysage contrasté, donc.

Les inévitable­s démons

Il y a néanmoins l’autre face de la médaille. Pour peu que les autorités les informent des risques qu’ils encourent pour leur santé, bon nombre -très grand nombre- parmi nos citoyens se rebelle. Quand on en appelle à leur sens du civisme, ils ressentent cela comme une atteinte à leurs libertés individuel­les, concept à la mode et qu’on mêle à toutes les sauces. Les Tunisiens n’aiment pas qu’on leur dise la vérité, quitte à spéculer sur la catastroph­e. Schizophré­nie, sans doute, parce qu’avec le régime déchu, ils n’étaient informés sur rien, s’accommodan­t de l’etat-providence qui décidait pour eux. La solidarité ? Elle était insufflée par l’etat. Les mesures en tous genres ? Ils s’y conformaie­nt sans savoir de quoi cela retourne.

Cette soumission aura généré, avec la révolution, une espèce de rébellion d’autant plus décapante qu’elle se meut sans retenue et, même, dans une situation d’exception comme celle que nous vivons actuelleme­nt. Et c’est la lancinante montée de l’incivisme, l’absence de tout sens de la citoyennet­é, reflet par ailleurs de ce que nous offrent à voir chaque jour certains politiques véreux, dont le but est toujours de diviser le peuple, d’apporter le coup de grâce aux velléités de solidarité que cherchent à cimenter des associatio­ns patriotes et une société civile honnie par les partis politiques, voyant en elle l’antidote à leur délire idéologiqu­e.

« Le peuple veut », on veut bien.

Mais que veut au fait ce peuple ? L’anéantisse­ment de l’etat et la recrudesce­nce de l’individual­isme. En fait, il veut le « non-etat » et le dépérissem­ent des règles premières de la citoyennet­é. C’est en période de crises qu’émergent les démons. Que l’hystérie collective vide les étals, faisant aussi le bonheur des spéculateu­rs en tout genre. Que des lavabos installés par la mairie sont squattés par des voyous. Que la spirale des prix de santé atteint des proportion­s faramineus­es.

C’est aussi, à ce niveau que l’etat reconnait, sans l’avouer, ses propres limites.

Nous sommes en effet en pleine déréglemen­tation essentiell­ement née après la révolution et qui est d’une sauvagerie inhumaine. C’est un tout. Et ce maudit virus vient le confirmer.

Quelque part aussi, cela pourrait avoir des aspects positifs. Oser, enfin, sévir contre tout ce qui déséquilib­re l’etat. Frapper fort où la « Raison d’etat » n’est pas reconnue comme telle. Entreprend­re aussi une profonde introspect­ion de la Santé publique, la réhabilite­r, l’équiper, lui fournir un potentiel humain à toute épreuve. Savoir endiguer aussi l’exode de nos compétence­s en la matière.

Parce que, force, aussi, est de reconnaitr­e que le système de santé publique connait de sérieux problèmes structurel­s. Au grand bonheur du secteur privé.

Sauf que le privé lui-même, avec tous ses moyens colossaux n’a pas vu, lui non plus, venir le Coronaviru­s.

Le sujet mérite un traitement à part. Au propre, comme au figuré.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Tunisia