Ce n’est pas facile tous les jours !
Diriger un établissement universitaire
Etre à la tête d’une faculté, d’un institut supérieur ou d’une grande école, et y réussir un mandat ou même deux de trois ans chacun, est une vraie gageure que certains doyens et directeurs ont réalisée. Du temps de Bourguiba et de Ben Ali, on était désigné à ces postes par l’autorité de tutelle ou par le Président de la République. Depuis 2011, les chefs des établissements universitaires sont élus par leurs collègues du Conseil scientifique.
Etre à la tête d’une faculté, d’un institut supérieur ou d’une grande école, et y réussir un mandat ou même deux de trois ans chacun, est une vraie gageure que certains doyens et directeurs ont réalisée. Du temps de Bourguiba et de Ben Ali, on était désigné à ces postes par l’autorité de tutelle ou par le Président de la République. Depuis 2011, les chefs des établissements universitaires sont élus par leurs collègues du Conseil scientifique. C’est bien évidemment suite à un vote plutôt démocratique, que le doyen d’une faculté, le directeur d’une école ou d’un institut supérieur sont nommés chefs de leurs établissements respectifs. La fonction qui leur est dévolue n’est guère à la portée du premier venu, et elle est d’autant plus difficile à assumer que ceux qui y sont nommés n’y sont que très peu préparés, administrativement parlant. Leur grade de Professeur, de Maître de conférences ou de Maîtreassistant ne les prédispose pas forcément à bien diriger leur institution. C’est que les diplômes universitaires sont loin de suffire dans pareille mission. L’exemple de l’ancien directeur de l’institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis (IBN CHARAF) démis tout récemment de ses fonctions montre combien la profession de doyen et de directeur n’est nullement une affaire de statut professionnel. Cette responsabilité expose par ailleurs celui qui l’endosse à toutes sortes de risques le visant dans sa personne physique et morale. Cela est d’autant plus vrai que, depuis le 14 janvier 2011, certains acteurs sociaux - et donc entre autres universitaires - sont devenus incontrôlables. C’est la corde raide pour les chefs d’établissements supérieurs, comme du reste pour leurs ministres, et pour toutes les hautes fonctions gouvernementales.
Sur ce sujet, nous nous sommes entretenus avec M. Mohamed Sâadborghol, Directeur de l’institut Supérieur des Langues Appliquées de Moknine. Il n’a qu’une année à ce poste, mais sa très longue expérience avec les présidents d’universités et les doyens nous semble l’habiliter à nous parler des principales difficultés que rencontre le chef d’un établissement supérieur dans l’exercice de sa profession : M. Mohamed Sâadborghol : Absolument pas ! Je ne suis d’ailleurs pas le seul à m’en plaindre ! C’est à l’échelle du pays que toutes les responsabilités sont devenues très difficiles à assumer. Regardez ce qu’endurent le gouvernement et ses ministres pour appliquer la loi et la faire respecter par tous. C’est l’impunité qui règne, et celui qui veut sévir contre les abus n’à qu’à s’en prendre à lui-même si cela lui coûte d’être limogé ou sanctionné à son tour. Nous marchons tous sur des oeufs, surtout lorsqu’il nous faut demander des comptes aux retardataires et aux absentéistes. L’incurie est désormais prise pour un droit de la part de tout le personnel.
La lenteur et le nombre toujours croissant des procédures administratives nous empêchent d’avancer correctement dans la réalisation des projets, autant dire que cette bureaucratie ambiante nous handicape constamment. D’autre part, pour l’entretien, la maintenance et le gardiennage, nous manquons lamentablement de personnel qualifié. Ce ne sont pas les bras qui font défaut ; au contraire, nous en avons trop !
L’ampleur des mouvements estudiantins est bien plus faible ici qu’à Tunis ou dans les grandes villes telles Sousse et Sfax. Comme partout ailleurs cependant, nos étudiants se répartissent en trois camps : celui des militants activistes, celui de la majorité silencieuse et celui des rares étudiants engagés dans les activités scientifiques et culturelles de l’établissement. J’essaye, cependant, avec l’aide et le soutien de mes collaborateurs et collaboratrices d’établir d’excellents rapports avec les étudiants et aussi avec les professeurs qui, de leur côté, ont leurs revendications légitimes. Les enseignants m’ont élu et attendent beaucoup de moi. J’ai commencé par leur créer les meilleures conditions de travail, conditions qui profitent simultanément à leurs disciples. Dans ce cadre, s’inscrivent la création récente de deux laboratoires de langues, l’équipement en data shows de quatre salles, et l’attribution d’un bureau à chaque enseignant. Ceci sans compter les nombreuses activités scientifiques programmées à raison de trois ou quatre par an pour chaque département, et les régulières rencontres d’animation culturelle au sein des huit clubs de l’institut. Nous avons créé notre premier master (Langues, Communication et Entreprises) lequel consacre la politique d’ouverture de l’université sur le marché de l’emploi. Enfin, nous envisageons de faire profiter notre établissement du projet de Master en Histoire et Archéologie initié nouvellement par le programme Erasmus +.
• De nouveaux masters alors que vous manquez d’enseignants du Corps A ?
Hélas ! C’est le talon d’achille de la plupart des Instituts Supérieurs en Tunisie. Nous manquons aussi de structures de recherches ; pas d’école doctorale non plus. C’est, vous vous en doutez bien, très handicapant. De plus, les enseignants qui exercent à l’institut viennent presque tous de loin, de très loin même. Pour cette raison, ils s’impliquent très peu dans la vie de l’établissement : réunions, journées d’études, colloques, etc. Je les comprends parfaitement : rien ne les y motive en termes d’horizons scientifiques et de promotions professionnelles. Ils se contentent donc d’assurer leur dû en heures de cours et s’empressent de regagner les villes et les régions d’où ils viennent.
• Vous vous attendiez quand même à toutes ces difficultés. Elles ne devraient pas vous surprendre !
C’est vrai, mais en partie seulement. Parce qu’il y a des problèmes aigus et compliqués auxquels je ne m’attendais pas du tout. Heureusement que j’ai une excellente équipe qui m’épaule et qui me supporte surtout dans mes moments d’emportement ou de blocage. Je l’en remercie infiniment. J’ai aussi cette chance rare d’être l’ami de tous les enseignants, lesquels me portent conseil et m’aident sans compter chaque fois que je les sollicite.