Un monde en transition
Les changements qui s’opèrent à l’échelle mondiale représentent une phase de transition qui tend à instaurer un monde multipolaire. Parmi les traits caractéristiques de cette phase, notons d’abord ladite guerre fraîche ou «Cool war », qui consiste en des guerres de petites échelles avec lesquelles on peut vivre. Ainsi, le monde est en passe d’être redessiné en zones d’influence placées sous le contrôle de puissances régionales qui, à leur tour, dépendent des superpuissances tantôt dans une forme de partenariat et de partage du pouvoir, tantôt dans le cadre d’une relation tendue. La période actuelle se caractérise aussi par la redistribution de la richesse mondiale et la montée en puissance des multinationales en situation de monopole, notamment dans les secteurs de l’énergie et de la technologie. Autre caractéristique de la période actuelle est la tentative d’effectuer une rénovation de façade de certaines institutions, idéologies, politiques et élites, dans l’objectif de revivifier le capitalisme, et ce, malgré la crise financière qui frappe le monde de plein fouet. Histoire de «gagner du temps », pour reprendre les termes de l’économiste allemand Wolfgang Streeck. Cette phase transitoire, qui a commencé par la crise financière de 2008 et qui devrait aboutir à un monde multipolaire mené par la Chine et les Etats-unis, et dans une moindre mesure l’allemagne, la France, l’europe de l’ouest, la Russie, l’inde et le Brésil. Mais ce projet mené par les superpuissances et leurs institutions se heurte à des phénomènes sociaux qui touchent le coeur des Etats- Unis et de l’europe et qui s’étendent au reste du monde grâce à la révolution des télécommunications. Dans ces sociétés, les masses populaires opposent leurs refus aux vieilles institutions, aux élites politiques et économiques classiques ainsi qu’aux politiques et idéologies en application depuis les années 1950.
Ce mouvement de refus est essentiellement formé de citoyens des classes moyenne et pauvre, ainsi que d’une large tranche de jeunes, d’étudiants et de lycéens dont certains sont issus de la classe aisée. Les activistes dans ce mouvement appartiennent à des mouvements citoyens qui s’improvisent en organes politiques pour concurrencer les partis classiques. Je pense que les chercheurs et les hommes politiques européens ont pris note de ces changements et cherchent à les expliquer. D’où l’intérêt grandissant de la question de l’inégalité et les nouvelles tentatives d’étudier les mouvements populaires loin des clichés et des stéréotypes. Ces thèmes sont récurrents lors des forums économiques mondiaux auxquels participent des hommes politiques, des chefs d’entreprises, des agents des services secrets, etc. Une analyse de l’ordre du jour de ces conférences nous permettrait de définir les principaux dossiers qui préoccupent le monde d’aujourd’hui.
En tête de ces sujets figure le monopole exercé par les multinationales dans le domaine de l’énergie et de la technologie et ses retombées, d’un côté sur les conditions sociales à l’intérieur de chaque pays, et de l’autre, sur les relations interétatiques. On se demande si la situation actuelle est viable, surtout avec les conséquences fâcheuses du système économique et financier mondial, notamment en termes de déficit et d’endettement. Et on réalise le besoin de revoir les systèmes d’assurance sociale en place, ainsi que les lois fiscales et celles du travail. D’autres dossiers non moins importants concernent les changements climatiques (une conséquence du capitalisme débridé), la remise en question des frontières politiques et nationales, et la montée des nationalismes lesquels sont, par définition, altermondialistes.
Le fossé qui sépare les élites du reste de la population, les riches des pauvres et les jeunes de la population âgée, nous invite à envisager des espaces communs entre ces composantes de la société. Il en va de même pour les questions relatives à la participation politique et au partage des richesses, et qui nous invitent à leur tour d’envisager des réformes économiques et démocratiques et de réfléchir aux modes de développements et aux systèmes d’enseignement et de valeurs dont on a besoin dans cette phase de transition. C’est un grand débat auquel nous sommes tous appelés à participer.