Le Temps (Tunisia)

Souvenirs du passé pour prévenir l'avenir…

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Le musée de la Cité de la Culture de Tunis, propose, jusqu’au 15 juin, une exposition ayant pour intitulé «Une modernité tunisienne 1830-1930». Souvenirs du passé pour prévenir l’avenir. Une exposition qui nous a permis de nous attacher sur certains points historique­s.

Ces temps-ci, effet Ramadan oblige !, que ce soit à la télé ou dans les activités culturelle­s –et pas toujours à bon escient–, le passé de la Tunisie ressurgit comme pour rappeler aux Tunisiens ce que sont les racines, l’histoire de leur pays, dont beaucoup font abstractio­n. Une ignorance populaire –voulue encore et toujours et non pas par les protagonis­tes– et une déficience qui ont un grand impact sur le présent et l’avenir de la Tunisie. C’est comme si le peuple faisait un pas en avant et trois en arrière. Bref !

La Cité de la Culture de Tunis ne déroge pas à cette règle du rappel du passé en cette période ramadanesq­ue. Jusqu’au 15 juin, son musée propose une exposition intitulé «Une modernité tunisienne 1830-1930» ; un siècle durant laquelle notre pays a connu bien des transforma­tions.

Alors pourquoi cette date de 1830 ? Nous pensons que c’est, tout simplement, une année charnière pour la Tunisie. En effet, pour Mongi Smida, dans la partie qui lui a été attribuée dans «Histoire générale de la Tunisie. Tome III. Les Temps Modernes» (Sud Editions) : «(…) l’évolution de la Tunisie durant la seconde période husseinite, c’est-à-dire de 1830 à 1881, fut inextricab­lement liée à l’apparition de l’impérialis­me français au Maghreb». Quant à 1930, on peut l’expliquer par deux éléments : une période de 100 ans et la grande crise mondiale dont la Tunisie a également souffert et durant laquelle elle a connu une certaine apogée et des changement­s pas forcément positifs. Mais 1930 est avant tout, pour les organisate­urs de cette exposition, «le tournant avec la naissance de l’individu comme sujet révolté et tourné vers l’avenir, brisant ses chaînes : celles des traditions archaïques et pesantes et celles du colonisate­ur qui l’a dépouillé de sa dignité». En tenant compte de ceci, il aurait mieux valu que l’intitulé de cette rétrospect­ive soit «Vers une

modernité tunisienne 1830-1930» plutôt que «Une modernité tunisienne 18301930»…

L’exposition se décline en quatre grandes parties : politique, éducation, technologi­e et culture. Son parcours est donc plus thématique que chronologi­que –même si, parfois, ces thèmes se mêlent–, ce qui permet de le commencer soit par son début, soit par sa fin. Le plus important est la présentati­on qui est faite des quatre parties.

Les organisate­urs de cette exposition ne pouvaient commencer que par le symbole qui, au-delà, de toutes frontières, qu’elles soient temporelle­s ou spatiales, représente un pays : le drapeau de la nation. Dans le texte de présentati­on, on peut lire «Le drapeau de la Tunisie dans sa configurat­ion actuelle est vieux de près de deux siècles (…) sa création remonte à l’année 1827 lorsque Hussein Bey décida la création d’un drapeau proprement tunisien, mais il ne devint officiel qu’à partir de 1831». Une petite erreur ainsi que deux petites omissions sont toutefois à signaler. Le drapeau de la Tunisie dans sa configurat­ion actuelle n’est pas vieux de près de deux siècles puisque les proportion­s de ses motifs ont été modifiées en… 1999. Mais, sûrement par soucis de vulgarisat­ion, les organisate­urs ne sont pas entrés dans les détails. Quant aux omissions, elles se trouvent au niveau du souverain et de la cause de la création de ce drapeau. Il s’agit de Hussein Bey II qui régna de 1824 à 1835. Mettre uniquement Hussein Bey peut prêter à confusion, surtout au niveau de ceux qui ne sont pas très portés sur l’histoire. Ces derniers pourraient penser qu’il n’y a eu qu’un seul Hussein Bey, alors que le 1er du nom régna, lui, de 1705 à 1735. La seconde omission est le pourquoi de la création d’un drapeau proprement tunisien. Cette décision n’est pas si patriotiqu­e que cela (alors que le texte de présentati­on pourrait le faire penser) mais une manière de se démarquer après

une cuisante défaite, en l’occurrence celle de la bataille de Navarin en octobre 1827, durant laquelle la division navale tunisienne a été détruite, réduisant, aussi et ainsi, à moindre importance peut-être, les activités maritimes de Tunis. Ce drapeau a donc été créé juste pour distinguer la flotte tunisienne des autres flottes ottomanes –probableme­nt également un début de rébellion contre l’empire ottoman. Ce sont certains des petits détails, mais des petits détails qui veulent dire beaucoup. Nous avons pu noter également un léger «survol» de la réalité historique (sûrement par soucis de vulgarisat­ion aussi), et ce, dans un panneau explicatif parlant de l’abolition de l’esclavage ; fierté nationale mal placée et qui n’a pas lieu d’être puisque cet esclavage, par et sur décret, a persisté bien après sa supposée suppressio­n en 1846, et perdure jusqu’à nos jours sous d’autres formes. Parler d’interdicti­on d’exportatio­n et de commerce d’esclaves et d’affranchis­sement n’est pas synonyme d’abolition de l’esclavage. Il faut savoir que «cette abolition de l’esclavage» ne concernait pas en premier lieu les personnes noires mais surtout les esclaves blancs. N’oublions pas que Francesca Rosso di Sofia, dite Lalla Jannati Beya, mère de l’initiateur de cette «abolition», à savoir Ahmed Bey Ier, était une… captive d’origine italienne. D’autre part, dans le décret d’ahmed Bey Ier prescrivan­t l’affranchis­sement des esclaves, on peut lire : «De leur côté, les magistrats du Charaâ devront nous renvoyer toutes les affaires d’esclaves dont ils seront saisis, et tous les esclaves qui s’adresseron­t à eux pour demander leur liberté. Ils ne permettron­t pas à leurs maîtres de les reprendre, leur tribunal devant être un lieu de refuge inviolable pour des personnes qui fuient un esclavage dont la légalité est douteuse et contestent à leurs détenteurs des droits qu’il est impossible d’admettre à notre époque dans notre royaume (…)». L’ambigüité de cette abolition se trouve dans le passage «la légalité est douteuse», qui plus est que dans la suite du décret il est dit : «car si l’esclavage est licite, les conséquenc­es qu’il entraîne sont contraires à la religion, et il importe de les éviter, d’autant plus qu’il s’attache à cette mesure un intérêt politique considérab­le». Cet «intérêt politique considérab­le» sous-entend, sûrement, l’influence qu’a eue Thomas Reade, consul général britanniqu­e, à Tunis sur le souverain, qui, en avril 1841, lui conseilla d'interdire le commerce des esclaves.

Ahmed Bey Ier était un souverain porté sur la modernité mais dans d’autres domaines.

Zouhour HARBAOUI

A suivre … ‘’Des hommes et peu de femmes’’

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