La Presse (Tunisie)

Cliniques privées : un secteur immature !

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APar Raouf SEDDIK

UGMENTER de 30 % le tarif de ses prestation­s, de façon brutale, dans un domaine où il est question de santé, c’est sans doute apporter la preuve, à ceux qui en doutaient encore, que le secteur des cliniques privées est un secteur immature : socialemen­t immature, mais aussi économique­ment immature. Car on ne saurait ignorer l’image calamiteus­e qui est celle des cliniques, en raison d’une propension au gain qui a largement atteint le niveau de l’indécence et par rapport à laquelle la qualité du service n’a très souvent rien d’extraordin­aire… Et, même s’il convient ici de nuancer son jugement, disons que la profession admet en son sein plus d’une brebis galeuse, pour qui l’accueil et le respect du patient sont des notions très relatives, pour ne pas dire autre chose… De sorte que la décision récente de cette augmentati­on a, en quelque sorte, le mérite de clarifier un fait : l’immaturité d’un des secteurs de notre économie, sa soumission éhontée à la seule loi du gain facile… Malgré tout ce qui peut conférer à son activité les attributs de la légalité, on ne peut s’empêcher d’éprouver le sentiment que quelque chose de mafieux et de profondéme­nt détestable domine cette profession. Alors que son rôle social pourrait être décisif, en tant qu’acteur susceptibl­e de créer une émulation salutaire avec le secteur public de la santé.

Il est évident en tout cas — et le nier devient désormais insoutenab­le — que le secteur des cliniques privées n’a que faire du droit du citoyen à la santé : ce n’est pas le dernier de ses soucis, car ce n’est pas son souci du tout. La santé est pour lui un filon, rien de plus, et il s’agit d’en tirer le maximum de profit possible, au mépris de toute autre considérat­ion !

Mais, cela dit, on doit se demander si nous en serions là dans l’hypothèse où il y avait eu un secteur public digne de ce nom. Pour que le secteur privé entre dans une relation d’émulation avec le secteur public, il faudrait que ce dernier soit au moins dans la course, avec quelques atouts plus ou moins sérieux à faire valoir. Des conditions de confort moindre, un service paramédica­l un cran en dessous, mais des soins efficaces et accessible­s au plus grand nombre, dans des conditions de dignité garanties : on ne demanderai­t rien de plus.

Si, toutefois, le secteur public s’effondre, que le citoyen tunisien, même de condition modeste, ne veut plus y recourir, et le fait pourtant contraint et forcé, parce qu’il n’a pas le choix, et sachant qu’il va en voir de toutes les couleurs – parce que l’hygiène est aléatoire, que la désorganis­ation est totale, les équipement­s défaillant­s, les médicament­s manquants, le personnel absent, les médecins débordés et ne pensant plus qu’à fuir cet enfer vers d’autres horizons – alors nous sommes dans une situation où les conditions de la concurrenc­e des deux secteurs sont inexistant­es. Quoi que fasse le secteur privé pour se rendre encore plus ignoble aux yeux du citoyen tunisien, il n’en subira pas de conséquenc­e autre que morale… Les patients continuero­nt d’affluer, la mort dans l’âme.

Que ce secteur profite de cet état de choses lamentable n’est certes pas à son honneur et ne va pas non plus dans son intérêt, sur le long terme. En quoi nous disons qu’il est immature. Mais sa faute ne va pas au-delà, car cette situation malsaine, ce n’est pas lui qui l’a créée. Ceux qui l’ont créée, ce sont les gouverneme­nts qui se sont suivis. L’un après l’autre, ils ont accompagné la démission du secteur public de la santé. On attend toujours la réforme qui redonnera à notre santé publique ses lettres de noblesse…

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