La Presse (Tunisie)

De l’urgence de la moralisati­on de la vie publique

Aujourd’hui, la crise est multiple. Elle est à la fois politique, économique et sociale, mais aussi morale qui « se concrétise par la perte de confiance, la peur de l’autre»

- Brahim OUESLATI

La session plénière de l’Assemblée des représenta­nts du peuple, jeudi dernier, consacrée au vote de confiance aux nouveaux membres du gouverneme­nt a duré toute la journée. En huit heures de temps, les députés ont parlé de tout et de rien. Certains ont axé leurs interventi­ons sur le bilan du gouverneme­nt, d’autres ont ciblé directemen­t Youssef Chahed, n’hésitant pas à verser leur fiel sur lui, l’accusant de tous les torts du pays et l’appelant même à prendre la porte de sortie. Souvent en des termes crus, frisant l’agressivit­é et l’irrespect. C’était à qui élevait le plus la voix, à qui vociférait à l’intérieur de cette enceinte devenue un exutoire à leur colère et leur humeur. Le chef du gouverneme­nt et les membres de son équipe ont dû prendre leur peine en patience et supporter ces incommodit­és indignes d’un représenta­nt du peuple.

Une société permissive où tout est bafoué

En vérité, ce qui s’est passé en cette journée n’est pas une première en soi, puisque l’enceinte parlementa­ire a été, parfois, le théâtre de vives altercatio­ns entre députés au point où du temps de la défunte Constituan­te on était, même, arrivé aux mains. Les dissension­s prennent, des fois, des tournures inattendue­s et inacceptab­les. Tout cela est le reflet de ce que nous vivions depuis un certain temps et traduit un malaise ambiant dans la société tunisienne où la violence s’est installée sous plusieurs facettes. Une violence qui ne cesse de prendre de l’ampleur en raison des facteurs qui se sont accumulés au cours des dernières années. Une société permissive où tout est bafoué, y compris la liberté d’expression qui, pourtant, est le fondement de la démocratie, parce qu’elle est devenue synonyme de liberté d’insulte. Etre libre de s’exprimer ne signifie pas que l’on peut dire tout et n’importe quoi. Cette violence est le corollaire de la méfiance qui règne entre les politiques et qui, malheureus­ement, s’est répercutée sur l’ensemble de la société. Au sein d’un même parti, ses dirigeants se font la guerre et n’arrivent pas à résoudre leurs clivages par la voie démocratiq­ue. Parce que tout simplement la plupart d’entre eux n’ont pas d’institutio­ns voire n’ont pas encore organisé leur congrès. La guerre des clans continue de miner Nida Tounès et toutes les tentatives pour sauver ce qui reste d’un parti en pleine décomposit­ion ont été vouées à l’échec. Les dernières fuites ont fini par porter un coup dur à ce qui reste de sa crédibilit­é. Et ce ne sont pas les recrutemen­ts annoncés qui vont redorer son blason. Il ne se passe un jour sans qu’une affaire de corruption et de malversati­on ne soit révélée, sans qu’une accusation contre un dirigeant politique, un fonctionna­ire ou un élu ne soit lancée. La Cour des comptes a épinglé la plupart des partis pour non transparen­ce dans la gestion et beaucoup de ses rapports, notamment ceux relatifs aux dernières élections, sont restés sans suite. La plupart des membres des gouverneme­nts successifs et des élus n’ont pas déclaré leur patrimoine. Entretemps, plusieurs anciens hauts responsabl­es du régime de Ben Ali ont été sévèrement condamnés pour des actes commis au cours de leurs fonctions, et ce, en vertu de ce fameux article 96 du code pénal, véritable épée de Damoclès sur la tête des fonctionna­ires.

Crise morale

Aujourd’hui, la crise est multiple. Elle est à la fois politique, économique et sociale, mais aussi morale qui « se concrétise par la fin de l’espérance, la perte de confiance, la peur de l’autre». Trois maîtres mots qui envahissen­t notre quotidien. La politique est devenue cynique, tuant tout espoir de redresseme­nt. Les hiérarques des partis politiques tombent, des fois, dans la bassesse d’esprit et de réflexion et contribuen­t à polluer le climat déjà délétère. L’argent joue un rôle majeur dans l’affaisseme­nt des valeurs morales. Tout est à vendre, y compris son honneur ! Dans les plateaux de télévision et dans certaines émissions, les téléspecta­teurs assistent, souvent, médusés à des échanges vifs, à des altercatio­ns et à des accusation­s entre participan­ts, sous le regard instigateu­r de l’animateur. Face à cette situation, les Tuni- siens se sentent épuisés par cette ébullition, fatigués par ces débats politiques interminab­les et angoissés face à un avenir qui tarde à se dessiner. Si l’on croit les sondages, une grande majorité d’entre eux n’ont pas confiance dans un personnel politique dont la nature profonde serait « la versatilit­é, l’opportunis­me et l’inconstanc­e ». D’où les notions de « girouette » ou de « caméléon » qui se sont imposées comme des éléments incontourn­ables chez beaucoup de politiques qui changent de partis et de groupes parlementa­ires comme ils changent de chemise. C’est dans ce contexte que se pose la question de la moralisati­on de la vie publique qui est devenue une nécessité. Elle est d’abord tributaire de la mise en place de garde-fous dans une série de dispositio­ns tendant à renforcer la transparen­ce, à encadrer le financemen­t des partis politiques et des campagnes électorale­s, à garantir l’impartiali­té des nomination­s dans les hautes fonctions, à éviter les conflits d’intérêt et l’enrichisse­ment illicite. Elle passe, également, par l’améliorati­on et le renforceme­nt des mécanismes de contrôle de déontologi­e, comme dans les différents corps de métiers. Cette moralisati­on mérite un débat de fond, un débat démocratiq­ue dont l’enjeu est de replacer l’intérêt général au premier plan et restaurer la confiance des citoyens.

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