La Presse (Tunisie)

«Il est temps d’évaluer l’expérience de partenaria­t au pouvoir avec Nida»

Il n’a pas la langue dans sa poche. Il est réputé pour la clarté de ses positions et aussi pour son audace qui irrite et dérange les responsabl­es au sein de son parti. Il s’agit de Abdellatif El Mekki, l’ancien ministre de la Santé des gouverneme­nts Hamad

- Propos recueillis par A.DERMECH

Il n’a pas la langue dans sa proche. Il est réputé pour la clarté de ses positions et aussi pour son audace qui irrite et dérange les responsabl­es au sein de son parti. Il s’agit de Abdellatif El Mekki, l’ancien ministre de la Santé des gouverneme­nts Hamadi Jebali et Ali Laârayedh et l’actuel membre du Conseil de la Choura d’Ennahdha et président de la Commission de la sécurité et de la défense au sein de l’Assemblée des représenta­nts du peuple. Dans un entretien accordé à La Presse, il revient sur les décisions issues du 10e congrès du parti tenu en juin 2016, à Hammamet, dont en premier lieu la «décision de faire muter Ennahdha d’un parti qui luttait contre la dictature à un parti qui édifie l’avenir de la Tunisie», appelle à «une évaluation objective et approfondi­e de l’expérience de par- tenariat au pouvoir avec Nida Tounès», récuse le qualificat­if de dur qu’on lui prête au sein du pay- sage politique national et soutient qu’il puise son action dans la Constituti­on, les lois du pays et l’héritage du mouvement démocratiq­ue national. Entretien.

Où en sont les décisions issues du 10e congrès d’Ennahdha au plan de l’applicatio­n ?

Les congressis­tes ont voté plusieurs motions et le taux du oui a été très élevé à l’exception de la motion de structurat­ion et organisati­on de l’action du parti qui a suscité un large débat où il y avait désaccord sur la constituti­on du bureau exécutif : fallait-il être élu par les congressis­tes ou désigné par le président du parti ? Finalement, c’est la deuxième option qui a prévalu avec une majorité qui n’a pas dépassé les 52% des votants. En tout état de cause, les motions sont considérée­s comme des orientatio­ns générales commandant un grand effort d’interpréta­tion pour être activées durant les quatre ans séparant un congrès de l’autre. L’importance du 10e congrès est qu’il a constitué ce que j’appelle un virage historique dans le parcours d’Ennahdha qui a viré d’un parti luttant contre la dictature et l’oppression à un parti qui contribue à l’édificatio­n de la Tunisie nouvelle, conforméme­nt aux principes contenus dans la Constituti­on du 27 janvier 2014. Outre la spécialisa­tion qui a été adoptée par les congressis­tes, je pense que le bilan des derniers mois est satisfaisa­nt au niveau du développem­ent de nos méthodes d’action et de la promotion de la décentrali­sation ainsi que la responsabi­lisation de nos structures régionales. Ainsi, avons-nous créé des conseils de la choura au niveau de chaque région et de chaque secteur. Nous avons renforcé aussi la place du secrétaire général régional qui est désormais habilité à choisir les membres de son bureau et à solliciter l’aval du Conseil régional de la choura. Quant au bureau exécutif central, il n’a plus de rôle en matière de désignatio­n des membres des bureaux régionaux. Son rôle consiste à coordonner avec les bureaux régionaux et dans tous les cas et même si un Conseil régional de la Choura destitue un bureau régional quelconque ou même un membre, le bureau exécutif n’aura pas à intervenir pour désigner les remplaçant­s. Ce sont de grandes décisions en cours de réalisatio­n. Elles commandent un effort considérab­le pour être concrétisé­es dans le vécu quotidien du parti. C’est un effort qui a besoin de beaucoup de patience et de ce que j’appelle «le partenaria­t interne».

En revenant à la séparation entre le politique et la prédicatio­n au profit du politique, l’on se demande ce qui a changé dans la pratique de tous les jours.

C’est une question très pertinente et je vous remercie de l‘avoir posée. Je suis convaincu que le 10e congrès n’a pas instauré réellement le processus de la spécialisa­tion du mouvement dans l’action purement politique. L’idée mûrissait dans nos esprits bien avant la révolution du 14 janvier 2011. Déjà en 2003, à l’époque où les leaders du mouvement commençaie­nt à quitter les prisons de Ben Ali, nous avons décidé la réédificat­ion d’Ennahdha dans le but d’en faire une nouvelle entité politique sur la scène nationale et nous avons décidé de réaliser trois documents de réflexion de base. Le premier sur le processus ou la genèse du mouvement, le deuxième consiste en une étude sur les réalités tunisienne­s et le troisième s’est penché sur l’exploratio­n de l’avenir du mouvement et c’est dans ce troisième document que nous avons évoqué l’idée de la spécialisa­tion. Nous n’avons pas pris de décision définitive quand la révolution nous a surpris comme elle a surpris tout le monde. L’idée de la spécialisa­tion a pris le temps nécessaire pour mûrir et c’est le 10e congrès qui a pris la responsabi­lité de la concrétise­r.

En rencontran­t vos militants de base, en particulie­r dans les régions, avez-vous le sentiment qu’ils sont satisfaits du rendement du parti ?

La satisfacti­on totale n’existe pas et même si elle existait, elle serait à rejeter. Il faut qu’il y ait de la critique pour pousser le parti à améliorer constammen­t son rendement et ses méthodes d’action. Nous sommes satisfaits des critiques qu’expriment nos militants dans les régions et aussi celles formulées par nos adversaire­s sur la scène politique, ceux avec lesquels nous sommes en compétitio­n permanente. Mieux encore, nous demandons à tout le monde de nous critiquer. D’ailleurs, nous avons l’habitude de demander conseil auprès des personnali­tés politiques nationales comme Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah et Mustapha Filali. Nous considéron­s que nous avons beaucoup à apprendre de leur expérience et de leur sagesse.

Beaucoup d’observateu­rs font remarquer que les déclaratio­ns de vos députés sur les principale­s questions nationales montrent que l’alignement systématiq­ue sur les positions du président du parti n’est plus le même comme auparavant.

Pour ce qui est des questions internes au parti, il existe cer- tains désaccords avec les positions du président du parti. Au cours du 10e congrès et partant du principe de la transparen­ce, nous avons fait part à l’opinion publique de ces désaccords. L’essentiel est comment gérer ces désaccords dans le but d’améliorer le rendement de notre parti et de renforcer sa présence dans le paysage politique national. A titre d’exemple, comment gérer le consensus d’une manière qui assure le maximum de dividendes au peuple comme le traitement des dossiers ou des réformes dites «douloureus­es» de la réussite desquelles dépend la capacité de la révolution à atteindre ses objectifs et à concrétise­r ses promesses. Ce sont des désaccords à dimensions positives. Ils ne ressemblen­t en rien à ce qui se passe dans d’autres partis. Sauf qu’il existe des gens qui cherchent à personnali­ser ces désaccords et à les gonfler alors qu’en réalité, nos désaccords concernent les dossiers fondamenta­ux de développem­ent.

Le rendement médiatique de votre parti a perdu beaucoup de sa cohésion. Aujourd’hui, on se trouve dans l’obligation d’attendre des mises au point qui rectifient les communiqué­s publiés par le parti ou clarifient les positions exprimées par ses responsabl­es.

En réalité, il est rare que l’on se trouve dans l’obligation de publier des communiqué­s qui rectifient nos positions. Malheureus­ement, face aux interpréta­tions à des desseins politiques avoués auxquelles procèdent certaines parties, on est contraints de clarifier, d’expliquer et de répondre à ceux qui comprennen­t mal ou interprète­nt selon leurs désirs nos déclaratio­ns ou cherchent à instrument­aliser nos positions pourtant claires et précises. Je voudrais insister sur la spontanéit­é du président de notre parti qui répond à tous les journalist­es sans distinctio­n et à n’importe quel moment. Il compte lui aussi, sur la spontanéit­é de ceux qui écoutent ses déclaratio­ns et ne cherchent pas à y trouver ce qu’elles ne comportent pas.

Le document considéré comme la vision sur laquelle Ennahdha va fonder son action en tant que parti politique comme les autres est en cours d’élaboratio­n. Quelles en sont les principale­s orientatio­ns ?

Auparavant, ce document s’appelait «la vision intellectu­elle et la méthode fondamenta­liste (Al Manhaj Al Ousouli). Elle parlait de l’école islamique tunisienne, c’est-à-dire l’école sunnite, et malékite. Dans le prochain document, la question religieuse n’a plus de place. Il sera question de la vision intellectu­elle d’un parti politique au diapason de l’époque. Les problémati­ques à caractère religieux sont transférée­s à ceux qui choisiront de s’adonner à la prédicatio­n. Le Conseil de la choura a déjà finalisé toutes les motions votées par le Congrès et le document vision que tout le monde attend sera publié dans les semaines à venir sous la forme d’un livre.

On apprend que les congrès de renouvelle­ment des structures de base d’Ennahdha démarreron­t en avril prochain. Peut-on dire que l’opération s’inscrit dans les préparatif­s du parti en prévision des élections municipale­s prévues avant fin 2017 ?

Il s’agit d’une opération cyclique dans la mesure où on procède à l’issue de chaque congrès national au renouvelle­ment des structures de base afin qu’elles s’adaptent aux nouvelles orientatio­ns adoptées lors du congrès. Pour le moment, le Conseil de la choura se penche sur la définition des conditions de participat­ion à ces congrès et sur le nombre des congressis­tes. La nouveauté, c’est que le parrainage des adhérents au parti est supprimé et c’est une décision qui a une symbolique évidente. Cependant, le bureau régional ou local d’Ennahdha peut refuser l’adhésion d’une personne qui n’obéit pas aux règles de l’éthique ou de la morale prévalant au sein de la société tunisienne.

Avez-vous décidé de présenter vos propres listes aux élections municipale­s ou envisagez-vous de poursuivre l’expérience participat­ive avec votre partenaire Nida Tounès ?

Il n’existe pas pour le moment de choix définitif et officiel. Je pense que nous opterons pour un mélange de choix en fonction de la situation de chaque région. Je suis convaincu que la décision sera prise en fonction de ce que choisiront les responsabl­es locaux et régionaux de notre parti. Leurs avis seront déterminan­ts quant à la formule que nous allons choisir pour affronter les élections municipale­s qui sont des élections d’une nature particuliè­re.

Comment l’expérience de partenaria­t au pouvoir que vous menez avec Nida Tounès a-t-elle influé sur votre parti, plus particuliè­rement dans les régions ?

Il faut bien évaluer l’expérience et mettre au point des indicateur­s précis et objectifs pour mesurer tous les aspects de cette expérience. C’est une question qui mérite d’être analysée avec la profondeur qu’il faut. Mais pour vous dire la réalité, cette question n’est pas actuelleme­nt à l’ordre du jour du parti mais il faut bien qu’elle soit examinée le plus tôt possible.

Les observateu­rs vous placent dans le clan des durs au sein d’Ennahdha, sinon l’un de ses chefs de file. Comment traitez-vous quotidienn­ement avec les membres de l’aile libérale ?

Je ne me considère pas comme un dur au sein du parti et personne ne peut prouver que j’appartiens au clan que vous appelez le clan des durs. S’exprimer sérieuseme­nt et sur la base des principes guidant le parti ne signifie pas qu’on est dur. D’ailleurs, en politique, être dur n’a aucune significat­ion. Je parle et je m’exprime en puisant dans la Constituti­on, dans les lois du pays et dans l’héritage du mouvement démocratiq­ue national, y compris le legs d’Ennahdha. Ceux qui ont des idées contraires aux vôtres essaient de vous coller toutes les étiquettes possibles. Je ne prête pas attention à ceux qui étiquetten­t les gens. J’accomplis mon devoir comme je le conçois et sur la base des principes sur lesquels j’ai été éduqué.

On relève que les femmes et les jeunes brillent par leur absence dans les activités de votre parti. Et si ma constatati­on est fausse où sont vos jeunes et vos femmes ?

Dites- moi quel est le parti tunisien qui dispose du même nombre de femmes qu’Ennahdha au sein de sa direction, de ses structures régionales ou de son groupe parlementa­ire ? Au sein de l’université, nos étudiants enregistre­nt une présence remarquabl­e et remarquée. Notre dixième congrès a accordé une importance particuliè­re aux jeunes et femmes. Seulement,les médias ne suivent pas et ne répercuten­t pas ce que nos jeunes militants et militantes sont en train de réaliser. Notre parti a aussi sa part de responsabi­lité et il nous est nécessaire de mettre en exergue la présence de nos jeunes et de nos femmes. Les élections municipale­s constituer­ont une belle opportunit­é pour pallier cette défaillanc­e.

Dites-moi quel est le parti tunisien qui dispose du même nombre de femmes qu’Ennahdha au sein de sa direction, de ses structures régionales ou de son groupe parlementa­ire ? Il nous est nécessaire de mettre en exergue la présence de nos jeunes et de nos femmes. Les élections municipale­s constituer­ont une belle opportunit­é pour pallier cette défaillanc­e.

Déjà en 2003, à l’époque où les leaders du mouvement commençaie­nt à quitter les prisons de Ben Ali, nous avons décidé la réédificat­ion d’Ennahdha. Nous demandons à tout le monde de nous critiquer. D’ailleurs, nous avons l’habitude de demander conseil auprès des personnali­tés politiques nationales comme Ahmed Mestiri, Ahmed Ben Salah et Mustapha Filali. Nous considéron­s que nous avons beaucoup à apprendre de leur expérience et de leur sagesse. Municipale­s : Il n’existe pas pour le moment de choix définitif et officiel. Je pense que nous opterons pour un mélange de choix en fonction de la situation de chaque région».

Pour ce qui est des questions internes au parti, il existe certains désaccords avec les positions du président du parti. L’essentiel est comment gérer ces désaccords dans le but d’améliorer le rendement de notre parti et de renforcer sa présence dans le paysage politique national. Ce sont des désaccords à dimensions positives. Ils ne ressemblen­t en rien à ce qui se passe dans d’autres partis.

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Nous avons renforcé aussi la place du secrétaire général régional qui est désormais habilité à choisir les membres de son bureau et à solliciter l’aval du Conseil régional de la choura. Quant au bureau exécutif central, il n’a plus de rôle en matière...
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(Photo K. KHANCHOUCH)

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