Un nouvel impératif : respecter la fragilité des sols
A l’échelle internationale, de nombreux experts tirent la sonnette d’alarme au sujet de la dégradation des sols, liée à des techniques agricoles productivistes... Chez nous aussi !
L’agriculture tunisienne, à l’instar de celle de beaucoup d’autres agricultures dans les pays en développement, est soumise à des contraintes de production. Sans doute pour justifier des mesures brutales comme les coopératives dans les années qui ont suivi l’indépendance, on avait installé le mot d’ordre relatif à l’autosuffisance alimentaire. Il fallait produire sous peine d’exposer le pays à une nouvelle forme de dépendance, plus cachée mais plus insidieuse : celle par laquelle certaines puissances étrangères nous tiendraient par le ventre... Et puis la libéralisation des échanges et leur régulation progressive à travers l’Organisation mondiale du commerce ont donné à cet argument une tonalité un peu artificielle. Mais le relai a été pris immédiatement par une rhétorique centrée sur le thème de la compétitivité : défendre nos marchés contre des produits agricoles qui, parce qu’ils seraient plus concurrentiels, gagneraient les faveurs du consommateur tunisien. L’exemple pourrait prêter à rire, mais les glibettes turques sont une bonne illustration de ce phénomène : les producteurs de tournesol du côté de Béja ont dû renoncer à cette culture. A côté de la défense des marchés, il y a aussi l’exportation. L’agriculteur tunisien est appelé à faire preuve d’audace en se lançant dans l’aventure de conquête des marchés étrangers. Les producteurs de dattes, d’oranges ou d’huile d’olive ne doivent pas être les seuls à raisonner en termes d’horizon international. Il faut souligner à ce propos que des expériences intéressantes ont pu être menées ici — à côté d’autres, plus hasardeuses — qui ont permis de conférer une plus grande diversité à notre production agricole. Si on regarde l’évolution de notre gamme de produits sur les 30 à 40 dernières années, on note qu’en matière de fruits et légumes, il y a un enrichissement incontestable. Mais toute cette conception de la gestion de l’agriculture, à travers ses époques, omet une donnée essentielle : le sol, ou la durabilité du sol. Nous ne parlons pas seulement du problème de l’érosion, qui est réel, en particulier dans des régions comme Siliana ou Le Kef, où le visiteur peut voir clairement comment la roche affleure désormais sur des terrains en pente dans des zones qui ne sont pourtant pas si escarpées.
Un système de travail est en cause
La mécanisation du travail agricole et un mauvais usage du labour ne sont certainement pas étrangers à ce phénomène de fragilisation excessive des sols. Mais, de façon plus générale, c’est tout un système du travail agricole qui est en cause. Des études menées à l’échelle internationale ne cessent pas de montrer comment l’agriculture dite conventionnelle pose un réel problème de durabilité, y compris et en particulier dans des pays à grande vocation agricole, comme la France. Car nous ne sommes pas ici à l’abri des effets pervers. Pour se faire une idée du problème à l’échelle de la Tunisie, signalons qu’un livre vient d’être publié récemment par un spécialiste du sol, Amor Mtimet, sous le titre : Les sols tunisiens à l’épreuve de la durabilité - De la gestion à la gouvernance. Oui, il s’agit bien de passer d’une logique «économiste» de gestion à une logique de respect des équilibres qui est celle de la gouvernance, ou de la bonne gouvernance, comme il est d’usage de dire dans d’autres domaines. L’ouvrage, qui vise plus particuliè- rement un public de connaisseurs, est technique et fait une large place à des données chiffrées, mais il peut intéresser aussi un public plus large de curieux. D’autant que le sol est une ressource essentielle de notre pays : les menaces qui pèsent sur lui à travers des techniques agricoles qui ignorent ses équilibres ne sauraient nous laisser indifférents...Il est important en tout cas qu’une certaine culture se développe chez le grand public en matière de bonne gouvernance du sol et que des attentes citoyennes s’affirment et s’expriment dans ce domaine : des politiques de développement agricole qui voudraient ignorer la fragilité des sols et qui aggraveraient la menace sur leur durabilité ne devraient plus recueillir notre soutien.