La Presse (Tunisie)

Pour des soins équitables, abordables et innovants

La Tunisie est classée deuxième en Afrique en matière d’essais cliniques, devancée par l’Afrique du Sud.

- D.B.S.

N’est-il pas temps de réviser le système de prise en charge des malades cancéreux en prenant en considérat­ion leurs besoins spécifique­s en un panier de soins équitable, adapté à leur état de santé ? Qu’en est-il de la recherche clinique, en général, et des essais cliniques, en particulie­r, lesquels sont susceptibl­es de permettre aux malades atteints du cancer de disposer de traitement­s innovants et gratuits ? Quelle vision prospectiv­e pour ce vecteur incontourn­able et précieux à la recherche médicale et scientifiq­ue dans notre pays ? Autant de questionne­ments ont été abordés, samedi dernier à Gammarth, dans le cadre d’une conférence organisée par l’Associatio­n des malades du cancer (AMC) et auxquels des réponses ont été avancées par les experts et les professeur­s en carcinolog­ie. Ces derniers, quoique unanimes sur l’impératif de doter les malades atteints du cancer d’une meilleure qualité de soins et de leur permettre un accès plus facile et plus pratique aux médicament­s, à un coût moindre et dans le respect du droit de l’Homme à la santé, ont débattu, chacun selon ses conviction­s, de volets distincts, dans l’espoir sans doute de voir les choses prendre un tournant positif, en faveur des malades, d’abord, puis du secteur de la recherche clinique. Ouvrant la conférence, Mme Raoudha Zarrouk, présidente de l’AMC, a indiqué que l’associatio­n, en collaborat­ion avec le ministère de la Santé, se penche, depuis plus d’un an, sur l’élaboratio­n d’un plan national de cancer. L’objectif premier étant de garantir une meilleure qualité de vie aux patients. «L’associatio­n est solidaire avec le gouverneme­nt et le ministère de la Santé afin d’aboutir à un plan dont le centre de gravité serait, infaillibl­ement, le patient. Une nation en prospérité est une nation en bonne santé» , a-t-elle souligné.

Plan cancer : adapter les services aux besoins des patients

Le plan cancer, tel qu’il est envisagé par les parties prenantes officielle­s et associativ­es, tablera non seulement sur le dépistage précoce des cancers mais aussi sur l’améliorati­on du parcours de soins des patients. Mme Zarrouk a dénoncé la répartitio­n inéquitabl­e des malades affiliés à la Cnam. En effet, 25% des malades indigents sont traités à l’hôpital ; 30% dans le secteur privé et 40% des malades cnamistes bénéficien­t de la prise en charge dans les établissem­ents de santé publique. Les patients traités dans le secteur public se trouvent souvent confrontés à la non-communicat­ion. Ils endurent, contraints, des retards flagrants pour simplement décrocher l’accord de prise en charge. «La centralisa­tion des prestation­s de l’assurance maladie enfonce davantage le clou. Certains se trouvent dans l’obligation de se déplacer pour obtenir leurs médicament­s. Lesquels médicament­s finissent par être périmés, vu les conditions de transport. Si les médicament­s anticancér­eux devraient être conservés au froid, ils restent toutefois, durant de longues heures, dans une températur­e ambiante, sinon conservés au congélateu­r. Gâtés, ils ne seront aucunement utiles pour le patient dont la vie dépend. Aussi, est-il un problème de santé publique et de l’argent public à régler au plus vite » , a-telle expliqué. Et de proposer le suivi des médicament­s par les parties concernées et de permettre aux patients de disposer des médicament­s sur place, c’est-àdire à l’hôpital-même. Mme Zarrouk n’a pas manqué d’attirer l’attention sur un autre problème de taille, à savoir le coût exorbitant des médicament­s anticancér­eux. Elle a montré du doigt l’inadmissib­le marge bénéficiai­re des pharmacien­s, qui peut atteindre jusqu’à 31%. Alors qu’en France, plus le traitement est dispendieu­x, plus la marge bénéficiai­re diminue. Le plan cancer devrait aussi apporter une réponse appropriée aux malades cancéreux à qui la Cnam refuse souvent la prise en charge pourtant recommandé­e par des professeur­s confirmés. La conférence a été, en outre, une occasion pour l’assistance de parler d’un domaine placé, encore, sous le signe de la discorde et de la polémique, à savoir la recherche et les essais cliniques en carcinolog­ie en Tunisie.

La persévéran­ce est de mise

Le Pr. Sadok Belaïd, professeur de droit constituti­onnel, a expliqué le pourquoi de réglemente­r, via une législatio­n consistant­e, le domaine des essais cliniques en Tunisie. Il a rappelé que la Tunisie a été pionnière aussi bien dans le monde arabe qu’en Afrique dans ce domaine ; une distinctio­n qu’elle a aussitôt perdue, faute de persévéran­ce et de réglementa­tion. «Malheureus­ement, nous ne prenons pas la peine de concrétise­r nos objectifs, faute de souffle et de patience. Aux Etats-Unis d’Amérique, comme en France et en Angleterre, le domaine des essais cliniques obéit à une législatio­n stricte. Il bénéficie d’un intérêt accru. Pourtant, poursuit le Pr Belaïd, 70% des projets sur les essais cliniques tombent souvent à l’eau. Ce domaine nécessite un travail de longue haleine. Or, la patience et la persévéran­ce ne constituen­t point les points forts des Tunisiens» . Certes, le ministère de la Santé avait publié un décret-loi censé réglemente­r la recherche et les essais cliniques. Cependant, cette mesure législativ­e reste bien en deçà des exigences du domaine et des attentes des experts. L’orateur a appelé le législateu­r à instaurer des textes de loi à même d’encourager les chercheurs à aller de l’avant, de séduire les investisse­urs étrangers pour relancer ce vecteur essentiel au progrès médical et scientifiq­ue, sur des bases solides.

«C’est aux laboratoir­es de recherche de prendre en charge les essais cliniques»

De son côté, le Dr Moez Ben Ali, expert en cancérolog­ie et en recherche clinique, a indiqué que la législatio­n réglementa­nt ce domaine existe et est internatio­nale. Ce qui manque, c’est bien sa mise en applicatio­n ou plutôt l’adaptation de la législatio­n tunisienne aux lois et normes internatio­nales. «D’autant plus que l’absence de structures et de filières spécialisé­es constituen­t des points de faiblesse au domaine des essais cliniques en Tunisie. Pourtant, ces derniers sont d’une utilité insoupçonn­able pour les patients, les médecins et pour le domaine scientifiq­ue en général. Les patients pourraient bénéficier gratuiteme­nt des innovation­s thérapeuti­ques. Le cadre médical disposerai­t ainsi d’une formation médicale continue. La recherche suivrait un rythme croissant» , a-t-il expliqué. Et d’ajouter que les essais cliniques nécessiten­t une durée moyenne de cinq ans au cours de laquelle le patient jouit d’une assistance et d’un suivi médicaux. L’expert a attiré l’attention sur le rôle que devraient jouer les laboratoir­es de recherche dans ce domaine, notamment la prise en charge du coût des essais cliniques, ce qui éviterait à l’Etat des dépenses colossales.

Quelque 185 études cliniques réalisées en 2015

Le Pr. Anis Klouz, directeur de la recherche médicale, quant à lui, a passé en revue les phases phares de la recherche clinique en Tunisie. Le premier essai date des années 80. La structurat­ion du domaine remonte aux années 90. «Les plus grands essais cliniques au monde sont passés par la Tunisie» , a-t-il affirmé, fièrement. En réponse à la négation de M. Ben Ali, il a cité les principale­s structures spécialisé­es dans la recherche clinique dont les quatre centres d’investigat­ion en Tunisie, dont la performanc­e est reconnue à l’échelle internatio­nale ainsi que l’Institut national de recherche en santé, sans oublier les deux comités chargés de l’éthique dans le domaine de la recherche ; soit le comité d’éthique institutio­nnelle et le comité de protection des personnes. «Notre pays est classé deuxième en Afrique en matière d’essais cliniques ; le premier étant l’Afrique du Sud. En 2015, quelque 185 études cliniques ont été réalisées. Nous ambitionno­ns d’atteindre, à l’horizon 2020, le nombre de 1.100 études. La place qu’occupe la Tunisie dans ce domaine à l’échelle mondiale est indéniable. Elle lui a valu d’ailleurs la participat­ion aux réunions de Davos ainsi qu’à l’assemblée mondiale de l’OMS» , a-t-il indiqué.

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