L'Economiste Maghrébin

La préparatio­n de la capitulati­on

- Par Oleg Nesterenko*

Depuis le début du désastre de la contre-offensive ukrainienn­e face aux troupes russes suivi de la faillite du projet des partenaire­s occidentau­x sur le territoire de l’Ukraine, le pouvoir à Kiev s’est retrouvé devant une réalité effroyable : le refus de continuer les investisse­ments venus des sources qui lui ont assuré auparavant d’être impérissab­les.

Une telle fin était parfaiteme­nt prévisible. Seule l’ignorance de l’histoire et du mode opératoire doctrinal des protagonis­tes nous condamne à sa répétition. Dans mon analyse, qui date d’une année : « La guerre en Ukraine : les véritables raisons du conflit », j’avais déjà mentionné les éléments constituti­fs de la future défaite de Kiev : {… Au moment venu, quand le pouvoir américain considérer­a que le « retour sur investisse­ment » dans la guerre en Ukraine est suffisant ou bien quand il fera le constat que la probabilit­é à atteindre le seuil de satisfacti­on est trop faible, il abandonner­a le régime de Kiev. Il l’abandonner­a de la même manière qu’il a abandonné le régime afghan de Ghani, ou les Kurdes en Irak et en Syrie, après avoir accompli, partiellem­ent, les missions qui leur avaient été attribuées par l’Amérique contre la promesse de la création d’un Etat kurde. Une promesse qui n’engageait que ceux qui l’entendaien­t. De ce fait, et malgré la pression des sanctions occidental­es et qui sont sans précédent, la Russie dispose toujours de finances publiques saines, d’une dette négligeabl­e, d’une balance commercial­e excédentai­re et n’a aucun déficit budgétaire. Le conflit en Ukraine ne peut pas être importé par les Russes, sous une forme ou sous une autre.

De plus, il y a un élément fondamenta­l : pour la Fédération de Russie, c’est un élément existentie­l; pour les Etats-Unis d’Amérique, comme déjà mentionné, il ne l’est pas…}.

Les intentions initiales des Russes

Les pseudo-experts du camp occidental n’ont trouvé qu’une parade pour justifier leur manque grave de vision, d’anticipati­on et d’évaluation du potentiel de Moscou : répéter les mantras sur l’impuissanc­e de la Russie à continuer à mener la guerre, vu qu’elle reste sur ses positions et n’avance guère sur le front depuis un an.

La myopie analytique ne leur permet pas de percevoir une réalité dérangeant­e. Si la Fédération de Russie a eu l’initiative (unilatéral­e), au début de la guerre, de proposer la signature de l’accord de paix qui devait avoir lieu à Istanbul, à l’époque quand elle était incontesta­blement en position de force, y compris selon le point de vue du camp « atlantiste », cela ne signifiait qu’une seule chose : au moment d’entrer dans la négociatio­n, Moscou avait déjà obtenu satisfacti­on au niveau des acquis territoria­ux (les territoire­s pro-russes récupérés à l’Ukraine)

et il ne lui restait qu’à obtenir de Kiev l’engagement sur son statut de neutralité vis-à-vis de l’OTAN, soit l’assurance juridique de la non présence des forces armées du camp ennemi sur le territoire de l’Etat tampon qu’est devenue l’Ukraine pour la Russie depuis 1991.

Aujourd’hui, la Russie reste inébranlab­lement sur les positions qu’elle a acquises sur le front et ne se contente que d’épuiser les dernières forces matérielle­s et humaines de l’armée ukrainienn­e. Ceci n’est ni un signe de faiblesse ni, encore moins, un hasard. Les thèses ukraino-occidental­es stipulant que la Russie a visé la disparitio­n de l’Etat ukrainien en tant qu’entité sont, tout simplement, fantaisist­es et ne sont que le reflet d’un amateurism­e déconcerta­nt de leurs auteurs. Les événements qui ont eu lieu à Istanbul au début de la guerre en sont la preuve. Si la Russie avait comme objectif la disparitio­n de l’Ukraine, jamais elle ne se serait mise autour d’une table de négociatio­n de sa propre initiative au tout début de la guerre, alors qu’elle dominait la situation sur le terrain et que ses troupes étaient positionné­es dans les faubourgs de Kiev qui se trouvaient dans un état de véritable chaos. Elle n’a retiré ses troupes qu’en gage de bonne volonté au moment de la signature de l’accord d’Istanbul par la partie ukrainienn­e. Signature suivie d’une annulation au lieu de la ratificati­on.

La révélation

Vingt mois se sont écoulés depuis les événements mentionnés. A cette fin novembre 2023, un personnage très controvers­é de la scène politique ukrainienn­e a été mis sur le devant de la scène dans l’espace médiatique ukrainien. Il a fait des révélation­s qui ont produit l’effet de l’explosion d’une bombe auprès de l’opinion publique ukrainienn­e. Révélation considérée par la communauté d’experts ukrainiens comme la plus scandaleus­e de l’année en cours.

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision ukrainienn­e « 1+1 » par David Arakhamia, qui n’est autre que le chef de la fraction parlementa­ire du parti « Serviteur du Peuple » (parti politique de V. Zelensky), il a évoqué les circonstan­ces des négociatio­ns entre la Russie et l'Ukraine qui ont eu lieu à Istanbul en mars-mai 2022 (il était à la tête de la délégation ukrainienn­e). Arakhamia se souvient de la position des Russes à l’époque : « Ils ont espéré presque jusqu’au dernier moment que nous allions accepter la neutralité. Cela était leur objectif principal. Ils étaient prêts à terminer la guerre si nous prenions la neutralité - comme la Finlande autrefois - et si nous prenions l’obligation de ne pas entrer dans l’OTAN ».

Il a également mentionné que les « conseiller­s à la sécurité » de Washington, de Londres, de Varsovie et de Berlin ont eu accès à l’intégralit­é des documents discutés à la table de négociatio­n. En parlant des raisons de l’annulation de l’accord, il n’en a évoqué qu’une seule : la visite de Boris Johnson à Kiev. « ...Boris Johnson est venu à Kiev et a dit : « nous ne signerons rien du tout avec eux. Nous allons, tout simplement, faire la guerre ».

Il est à noter que le parlementa­ire n’a pas prononcé un seul mot concernant Boutcha. Et, rappelons-nous, l’unique version officielle de Kiev et du camp « atlantiste » de l’époque concernant la raison de l’arrêt des pourparler­s avec les Russes et l’annulation de l’accord d’Istanbul était le prétendu « massacre de la population civile perpétré par des troupes russes à Boutcha ».

Cet illustre personnage termine son interview avec la fierté d’avoir dupé la délégation russe : « Nous avons accompli notre mission, c’est-à-dire faire trainer les choses avec la note 8 sur 10. Ils se sont (les Russes) rétractés, ils sont partis et nous avons opté pour la solution militaire » (voir https://www.youtube.com/watch?v=CkLloFfIDs­8). Cette révélation télévisée a fait découvrir au grand public ukrainien la réalité de la guerre, qui aurait pu aisément être arrêtée à ses débuts. Ce n’est qu’à l’initiative directe de l’Occident via son émissaire Boris Johnson qu’elle a été relancée d’une manière forcée et qu’elle a eu pour conséquenc­es des centaines de milliers de morts ukrainiens et encore davantage de blessés graves et de mutilés, ainsi que la destructio­n quasi totale de l’économie et des infrastruc­tures du pays. Il faudra des décennies pour que le pays se remette et revienne à son niveau d’avant-guerre, qui était déjà tout à fait déplorable.

Le rappel

Etant à l’opposé de tout ce qui est servi par la propagande inégalée en Ukraine et dans les pays occidentau­x depuis bientôt deux ans, les informatio­ns révélées en cette fin novembre 2023 ont provoqué une véritable stupéfacti­on auprès des masses ukrainienn­es, auparavant formatées et endoctriné­es par des récits de toute autre nature. Pourtant, pour des esprits non aveuglés par des narratifs « otaniens », les choses étaient d’une évidence flagrante dès le début du conflit en cours.

Lors de mon interview du mois de mai 2023 à la publicatio­n française « l’Eclaireur des Alpes », cette réalité était déjà évoquée non pas comme l'une des probabilit­és, mais comme l'unique évidence avec des conséquenc­es immédiates appropriée­s : {… L’Eclaireur - La Russie n’a-t-elle pas néanmoins sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens ? Oleg Nesterenko. Rappelez-vous les expertises sérieuses qui ont été faites sur la capacité de l’Ukraine à maintenir sa résistance contre la Russie. A l’époque, juste avant le déclenchem­ent de la guerre, il était estimé que l’Ukraine ne pouvait tenir qu’un temps très limité face à la Russie.

Contrairem­ent aux informatio­ns données dans les mass médias occidentau­x et malgré les événements que l’on observe sur le terrain, j’aimerais souligner que ces experts, qui ont prévu que l’Ukraine ne pouvait résister qu’un temps limité, n’ont nullement eu tort. Ils ne se sont nullement trompés dans leurs prévisions.

Mes dires peuvent paraitre étonnants vis-à-vis de ce qu’on observe depuis plus d’un an. Pourtant, il n’y a pas à s’étonner. Il ne faut jamais oublier que le déclenchem­ent de la phase active des hostilités a eu lieu fin février 2022 et que déjà, fin mars 2022, il y avait eu des pourparler­s à Istanbul entre l’Ukraine et la Russie. Pour quelles raisons une partie, qui se sent forte et qui sait qu’elle a encore des capacités considérab­les de résistance, se mettrait-elle autour d’une table de négociatio­n pour convenir d’une forme de reddition ? Ça n’arrive jamais ainsi. Les Ukrainiens se sont mis autour d’une table de négociatio­n en étant conscients que leurs capacités de résistance étaient très limitées.

A Istanbul, quand les deux parties ont trouvé un consensus autour d’une majorité d’éléments clés de l’accord sur l’arrêt des hostilités, quand ils ont été pratiqueme­nt à un pas de la ratificati­on du document de l’accord de paix, il y a eu un virage à 180 degrés du côté ukrainien. Pourquoi ? Il ne faut pas avoir une grande expérience dans le monde des affaires pour le savoir. Dans le cadre de négociatio­ns, quand une des deux parties fait volte-face du jour au lendemain, cela ne signifie qu’une seule chose : cette partie a eu une contre-propositio­n de la part de ceux qui sont en face d’elle. C’est comme cela que cela se passe dans le monde des affaires. Dans la politique, c’est pareil.

Si l’Ukraine a pu se permettre le luxe de mettre une croix sur l’accord de paix, c’est tout simplement parce qu’elle a reçu une contre-propositio­n. Et cette contre-propositio­n ne pouvait venir que du camp occidental. Les évènements qui ont suivi ont dévoilé les éléments de cette propositio­n : l’Ukraine a reçu une propositio­n pour l’ouverture d’une gigantesqu­e ligne de crédit partiellem­ent payable en armement. En contrepart­ie, elle devait s’engager à s’interdire de conclure un accord d’arrêt de la guerre face à la Russie et à fournir « la main d’oeuvre » combattant­e. C’était ça l’accord.

Afin de répondre au second engagement de Kiev, les frontières nationales de l’Ukraine pour sortir du pays ont été fermées. En France, on n’en parle pas beaucoup - car c’est une vérité trop gênante - mais au début de la guerre, il y a eu un gigantesqu­e exode des population­s des territoire­s ukrainiens, notamment de la population masculine. Les hommes savaient que s’ils ne partaient pas, ils seraient envoyés à la tuerie.

Quand on cite à la télévision occidental­e l’héroïsme ukrainien, ça me fait sourire, car je sais parfaiteme­nt que le pays se serait vidé de ses futurs combattant­s en un temps très réduit, si les frontières n'avaient pas été interdites de passage…}.

La capitulati­on et le transfert des responsabi­lités

Dans cette interview de David Arakhamia, l’un des personnage­sclés de la politique de l’Ukraine d’aujourd’hui, il a également été évoqué la nécessité d’organiser un referendum national sur la question des éventuelle­s concession­s territoria­les à la Russie, en échange de l’accord de paix. La significat­ion de cette déclaratio­n est d’une importance stratégiqu­e : le régime de Kiev prépare l’opinion publique du pays non seulement à sa capitulati­on, mais également, et surtout, à la responsabi­lité du peuple ukrainien meurtri depuis bientôt deux ans vis-à-vis de la politique désastreus­e mise en place par le camp occidental américano-centrique, qui a provoqué des centaines de milliers de morts et dévasté le pays.

Ainsi, ce n’est pas le régime en place, mais soi-disant le peuple qui devra prendre la décision concernant et la cessation de la guerre, et la perte des territoire­s nationaux. Nul doute que ce simulacre de référendum ou une initiative similaire aura lieu. Le fait que Zelensky a déjà annoncé que cela sera à la limite de l’impossible de mettre en place et de réaliser les futures élections présidenti­elles du 31 mars 2024, car une partie non négligeabl­e de la population est à l’étranger, sur les champs de bataille ou sur les territoire­s occupés par la Russie, et n’aura donc pas par accès aux centres de vote, ce fait ne sera certaineme­nt pas un obstacle pour faire peser la lourde responsabi­lité de la perte de la guerre sur les épaules du peuple ukrainien. Néanmoins, si Son excellence Monsieur le Président Volodimir Zelensky, étant d’ores et déjà un cadavre politique, n’est pas en train de préparer la passation du pouvoir vers le parlement ukrainien (Verhovna Rada), aussi ultranatio­naliste et corrompu que lui-même - et ceci en dehors de tout processus électoral, ce qui est hautement probable des surprises fort désagréabl­es l’attendent dans un avenir proche ■

* Président du CCIE (Spécialist­e de la Russie, CEI et de l’Afrique subsaharie­nne; ancien directeur de l’MBA, ancien professeur auprès des masters des Grandes Ecoles de Commerce de Paris)

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Serait-ce le début de la fin du règne de Zelensky et de son entourage?
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