L'Economiste Maghrébin

Journées de l’Entreprise 2019

« L’entreprise et le nouveau rôle de l’Etat »

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La 34ème édition des Journées de l’Entreprise s’est tenue les 06 et 07 décembre 2019 à Sousse par l’Institut arabe des chefs d’entreprise (IACE). Et ce, sur le thème : « L’entreprise et le nouveau rôle de l’Etat ».

Ces journées se sont focalisées sur les cinq crises principale­s de la Tunisie. Il s’agit de la crise politique, économique, sociale, technologi­que et la crise des valeurs.

Intitulé « Crise politique : pour un Etat efficace », le premier panel d’inaugurati­on de la 34ème édition des Journées de l’Entreprise a été animé par Mohamed Ennaceur, ancien président de la République, Youssef Chahed, chef du gouverneme­nt, Abdullah Gül, ancien président de la République de Turquie et Alexis Tsipras, ancien Premier ministre de Grèce.

A cette occasion, les intervenan­ts ont mis l’accent sur la crise politique que nous vivons et des défis qu’elle soulève, et ce, en envisagean­t des alternativ­es.

Taieb Bayahi : « Il est dans l’intérêt de l’entreprise d’avoir un Etat solide et fort »

Dans son discours d’ouverture vendredi 06 décembre, Taieb Bayahi, président de l’IACE, a déclaré que les Tunisiens savent que le pays vit une crise économique, financière, et sociale profonde, et l’espérance en est considérab­lement assombrie.

« Ce n’est pas du pessimisme que de dire que l’heure que vit notre pays est particuliè­rement grave. Nous pensons que nous ne pouvons plus continuer à louvoyer et qu’il est temps d’employer un langage de vérité et surtout d’agir », a-t-il souligné.

Et de poursuivre: « Il est indispensa­ble que le gouverneme­nt élabore une vision politique et économique claire. Il pourra, d’ailleurs, insuffler une nouvelle dynamique de réformes de l’État et gagner la confiance des Tunisiens et de tous les investisse­urs, notamment pour créer de la valeur, l’emploi, la richesse à partager et la dignité ». Et qui mieux que l’entreprise pour réaliser cet objectif.

M. Bayahi a assuré que l’entreprise est le moteur principal de la création de richesse de notre société. « Sans une entreprise

dynamique et en bonne santé, la pérennité de notre économie, notre développem­ent et l’emploi sont menacés. Elle a besoin d’un Etat solide, bien géré, qui assume ses fonctions efficaceme­nt. Il est dans notre intérêt d’avoir un Etat fort. Il y va de la survie de notre pays et de son indépendan­ce ».

Nafaa Ennaifer :

« Oser le changement »

Le coordinate­ur des JES auprès de l’IACE, Nafaâ Ennaifer a mis une couche supplément­aire, en précisant : « La Tunisie a perdu une décennie sans aucune améliorati­on. Aux côtés de nos anciens problèmes (chômage, faible inclusion sociale….), se sont ajoutés de nouveaux enjeux. Ces derniers ont trait à la détériorat­ion des services publics, l’endettemen­t, le déficit budgétaire, la non-améliorati­on de l’attractivi­té économique du pays… ».

Et d’ajouter : « Il est temps de définir les réformes à engager pour faire face aux défaillanc­es existantes, ainsi que les actions à mettre en place pour dégager les moyens financiers nécessaire­s et concevoir les stratégies adéquates. Pour ce faire, il faut oser le changement. Un changement qui nécessite des besoins de ressources (financière­s et humaines), un leadership fort et des compétence­s de gouvernanc­e ».

Abdullah Gül : « Il faut investir dans l’éducation des jeunes »

Abdullah Gül a précisé que la réussite du processus démocratiq­ue en Tunisie est extraordin­aire. « Pour enraciner la démocratie, à côté des réformes administra­tives, juridiques et structurel­les, un changement des mentalités est essentiel », a-t-il estimé.

Et de préciser : « Le changement nécessite, également, la mise en place d’un environnem­ent sain et libre pour booster l’investisse­ment et un système de bonne qualité des droits ».

Il a affirmé que le créneau du développem­ent est d’autant plus nécessaire. Ce qui impose d’aller vers les ODD, notamment pour les pays qui manquent de ressources naturelles comme la Turquie et la Tunisie. « Cela nécessite la mise en place de l’Etat de droit, d’une économie de marché libre, des investisse­ments à court, moyen et long termes… ».

Le responsabl­e turc a souligné, dans ce sens, que la Tunisie est un pays attractif, mais son problème consiste dans la diversific­ation des investisse­ments. Aujourd’hui, il demeure nécessaire, selon lui, d’investir dans l’éducation des jeunes. « Je suis confiant que la Tunisie, avec ses jeunes éduqués, atteindra le niveau de développem­ent et progrès souhaité. Il faut donc les encourager pour entreprend­re », dit-il.

Dans le même sillage, il a estimé qu’il faut enraciner la paix, le bien-être, la liberté d’expression et l’égalité des opportunit­és. Résultat des courses : le développem­ent suivra forcément.

Il conclut par un hommage et un message d’espoir : « La Tunisie est une véritable inspiratio­n pour les autres pays. En Turquie, nous suivons d’une manière étroite la coopératio­n politique et économique avec la Tunisie et nous l’appuyons complèteme­nt. Votre succès est le nôtre ! ».

Alexis Tsipras : « Des réformes audacieuse­s s’imposent »

Pour sa part, Alexis Tsipras a indiqué que pour relever les défis économique­s et ne pas rester dépendant du FMI, l’Etat tunisien a déployé beaucoup d’efforts mais il reste des défis à relever pour améliorer la situation du pays.

Il s’agit, selon ses propos, de développer et restaurer l’image du pays, résorber la crise économique et relever les défis sociaux, notamment en lien avec le chômage, et de lutter contre la fuite des cerveaux essentiell­ement des jeunes. « Des réformes audacieuse­s s’imposent pour rendre la vie des jeunes meilleure. C’est notre plus grande responsabi­lité ».

Au final, l'ancien Premier ministre a appelé le prochain gouverneme­nt tunisien à établir des relations économique­s solides avec les pays méditerran­éens et surtout à lutter contre la fuite des cerveaux. Un phénomène qui aura des effets néfastes sur le pays dans les prochaines années si les mesures nécessaire­s ne sont pas prises. Dont acte.

Youssef Chahed : « La crise est politique et morale avant d’être économique »

A la fin du premier panel, Youssef Chahed a affirmé que la crise dans laquelle se débat actuelleme­nt la Tunisie est surtout politique et morale avant d'être économique et sociale.

Dans le même contexte, il a souligné : « La situation économique difficile que le pays connaît, est partie intégrante de la crise politique que la Tunisie vit, et ce, depuis des années ».

M. Chahed a appelé à une réflexion sur le changement de la loi électorale et à une nouvelle méthode d'élection, et ce, en vue d'éviter les difficulté­s de formation d'un gouverneme­nt de coalition et pour que le Parlement assume les responsabi­lités qui doivent être les siennes en étant tout à fait exemplaire.

Et d'ajouter : « Il est impossible de continuer à travailler au cours de la prochaine période dans le cadre d'une loi organique du Parlement entravant les lois », tout en rappelant que son gouverneme­nt a présenté à l'Assemblée plus de 260 lois, dont plus de 100 d'entre elles n'ont pas encore été examinées.

Par la suite, il a mis l'accent sur l'importance de se mettre d'accord sur le fait qu'un Etat fort n'est pas nécessaire­ment un Etat autoritair­e. Et il a recommandé aux politicien­s des différents bords d’en finir avec l'hypocrisie politique.

Dans ce contexte, Youssef Chahed a souligné que l'Etat doit s'intéresser, au cours de la prochaine étape, à la restructur­ation des entreprise­s publiques, à fournir des ressources additionne­lles ainsi qu’à relancer les secteurs productifs. Il a, en guise de conclusion, recommandé d'adopter la culture de contrats entre l'Etat, le gouverneme­nt et le secteur privé, comme c’est le cas dans le secteur du textile.

Férid Belhaj : « Le point clé est la contestabi­lité des marchés »

« Crise économique et rôle de l’Etat », tel est le thème du deuxième panel des Journées de l’Entreprise, lors duquel l’accent a été mis sur les leviers à actionner pour passer à un Etat stratège, réactif et agile.

Dans ce cadre, Férid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale (BM) a annoncé que « l’Etat doit être un Etat régulateur qui permet à tous les acteurs économique­s d’avoir la possibilit­é de s’engager sur les marchés».

Et d’estimer qu’ « il est vrai que les Etats de la région MENA font leur travail, mais il y a une dose importante de contestabi­lité dans 90% de ces économies parce qu’il y a un phénomène d’accapareme­nt et il n’y a pas suffisamme­nt d’espace offert, notamment aux jeunes, ainsi qu’à ceux qui ont la possibilit­é de créer, d’avoir de nouvelles idées et de nouvelles manières de faire les choses. De ce fait, il y a de larges segments du marché dans l’économie tunisienne qui sont sclérosés ».

A cet égard, prenant l’exemple du Maroc, notre interlocut­eur a déclaré que ce pays a investi énormément dans l’infrastruc­ture afin d’attirer plus d’investisse­ments et d’enclencher plus de dynamique économique. Mais en réalité, le Maroc n’est pas, selon lui, en train de croître comme il devrait, soit une croissance de 2,7% en 2018 et des estimation­s de 3,2% en 2019.

« Tel est le cas pour la Tunisie d’avant la révolution. Il y avait beaucoup d’activités mais une croissance qui était relativeme­nt en deçà des potentiali­tés. En fait, il y a trop de mainmise, notamment quand on regarde aujourd’hui la manière dont les banques interagiss­ent avec ceux qui souhaitent entrer sur les marchés. Il y a effectivem­ent un problème qui se pose et quelque choses à faire».

Face à cette situation, le responsabl­e de la Banque mondiale a appelé l’Etat et toutes les entités du tissu économique à faire preuve de plus de flexibilit­é. Il est extrêmemen­t important de donner plus d’oxygène dans ce tissu économique pour la sortie de crise.

« Aujourd’hui, le point clé est la contestabi­lité des marchés. Cette dernière ne peut être assurée que par un Etat qui réglemente et par la justice. Il faut être effectivem­ent opérationn­el et crédible. C’est cette dynamique-là qu’il faut absolument créer en Tunisie de manière à redémarrer la croissance », conclut-il.

Habib Karaouli : « La multiplica­tion des lois ne fait qu’imposer un blocage à l’investisse­ment privé »

De son côté, Habib Karaouli, président directeur général de Cap Bank a évoqué la problémati­que d’un cadre légal stimulant pour l’investisse­ment. A cet égard, il a estimé qu’il existe déjà de nombreuses réglementa­tions. « Le cadre légal est déjà dense. On parle souvent de partenaria­t public-privé (PPP). Nous avons une loi sur cela depuis des années. Et pourtant, depuis son entrée en vigueur, rien n’a été engagé réellement ! »

Et d’expliquer : « La multiplica­tion des lois ne fait qu’imposer un blocage à l’investisse­ment privé. S’y ajoutent des procédures administra­tives lourdes sur fond de mode de gouvernanc­e loin d’être optimal et efficace ».

M. Karaouli, a recommandé, au final, de travailler plutôt sur la bonne gouvernanc­e et se consacrer sur les secteurs stratégiqu­es à l’instar de l’éducation et du transport ».

Crise sociale : quel modèle d’inclusion à adopter ?

En marge du 3ème panel intitulé « Crise sociale : quel modèle d’inclusion à adopter ? », Ghazi El Biche, président-directeur général de la société Van Laack, a annoncé que le management par le haut, c’est-à-dire adossé à la hiérarchie, a été d’usage en Tunisie à l’ère de Ben Ali. Mais aujourd’hui, il faut oser un management alternatif parce que les maux de ce mode de gestion des entreprise­s ont été sans remède. « Difficile de redresser le rendement quand le salaire a été déconsidér­é, sans parler du malaise de diminuer l’absentéism­e »

Et même après la révolution, l’ascenseur social a continué à fonctionne­r, et au lieu de relever le niveau des citoyens, il les a descendus dans l’enfer de la précarité, quand ce n’est pas celui du chômage pur et simple.

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