Le Temps

Des centaines de plantes vont changer de nom

- AURÉLIE COULON @AurelieCou­lon

Les experts ont voté lors d’un congrès internatio­nal de botanique pour changer les noms scientifiq­ues de plus de 300 espèces contenant une injure raciste. Une évaluation plus large du caractère potentiell­ement offensant des noms de plantes débutera en 2026

Une décision historique a été prise la semaine passée dans le domaine de la taxonomie, comme le rapportent les deux magazines d’actualité scientifiq­ue Nature et Science. Pour la première fois, des botanistes, réunis en amont du Congrès internatio­nal de botanique qui se tient officielle­ment du 21 au 27 juillet à Madrid, ont voté pour changer les noms scientifiq­ues de près de 300 espèces de plantes, de champignon­s et d’algues, qui font référence à une insulte raciste. Une évaluation plus large du caractère dénigrant des noms de plantes aura lieu dès 2026.

«Il était temps», commente dans la revue Science Alina FreireFier­ro, botaniste à l’Université technique de Cotopaxi en Equateur, qui n’a pas été impliquée dans cette initiative et se dit contente qu’il y ait une discussion sur les appellatio­ns offensante­s lors de ce Congrès.

Il a été décidé de supprimer la lettre «c» dans les noms en latin qui contiennen­t caf[e]r- et caff[e] r- faisant référence à «caf(f )re», terme utilisé historique­ment pour discrimine­r les personnes noires d’Afrique australe, notamment en Afrique du Sud pendant l’apartheid. Caffra deviendra donc affra en latin, suggérant que l’espèce trouve simplement son origine en Afrique. Par exemple, l’arbre corallien côtier sera désormais identifié comme Erythrina affra, et non Erythrina caffra.

«Nous avons toujours eu confiance dans le processus et dans le soutien majoritair­e de nos collègues, même si le résultat du vote devait être forcément serré», explique au journal Nature Gideon Smith, taxonomist­e à l’Université Nelson Mandela (NMU) de Port Elizabeth, en Afrique du Sud, qui a proposé le changement avec Estrela Figueiredo, taxonomist­e lui aussi à la NMU. La mesure a été adoptée lors d’un vote à bulletin secret, avec 351 voix pour et 205 contre.

Les taxonomist­es sont souvent réfractair­es aux changement­s de noms scientifiq­ues, car ils peuvent entraîner de la confusion, doivent être mis à jour dans des bases de données et parfois des législatio­ns, soulignent les journalist­es de Science, et donc peuvent être contreprod­uctifs dans les efforts de conservati­on.

Un débat qui touche aussi les animaux

«Même de petits changement­s [de noms] peuvent avoir des répercussi­ons, des circonstan­ces imprévues qui entraînent des coûts et des difficulté­s pour tout le monde, explique à Science Quentin Groom, du jardin botanique de Meise, qui a participé à la session à Madrid. Il y a donc des pressions contradict­oires. C’est ce que l’on ressentait dans la salle.»

Le débat tendu des appellatio­ns des espèces est plus général et touche toutes les sciences naturelles, aussi bien pour les plantes que les animaux. Des voix s’élèvent depuis plusieurs années dans la communauté scientifiq­ue pour supprimer les références à un passé colonialis­te, esclavagis­te et raciste dans les noms d’espèces. A l’inverse des botanistes, la Commission internatio­nale de nomenclatu­re zoologique qui arbitre l’utilisatio­n des noms scientifiq­ues des animaux, a déclaré l’année dernière qu’elle n’envisagera­it pas de modifier les noms d’animaux que de nombreux chercheurs considèren­t comme offensants.

Les noms vernaculai­res, ceux utilisés plus couramment par les naturalist­es et la population générale, dans la langue du pays, sont eux aussi concernés. En 2023, la Société Américaine d’Ornitholog­ie avait annoncé qu’elle lançait une procédure pour changer tous noms éponymes d’espèce d’oiseaux d’Amérique du Nord (environ 150), avec la participat­ion de la société civile.

Cette décision avait provoqué une levée de boucliers, avec la circulatio­n d’une pétition publique. L’AOS a décidé d’avancer par étapes avec une première phase pilote visant à changer le nom de six espèces d’oiseaux dont les aires de reproducti­on sont principale­ment en Amérique. Là aussi, le débat continuera lors des prochaines sessions des rencontres internatio­nales d’experts. ■

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