Le Venezuela entre deux mondes
Si le candidat de l’opposition à Maduro est en tête de certains sondages, des milliers de Vénézuéliens continuent de plébisciter le pouvoir en place, héritier du chavisme. Deux sociétés s’affrontent et laissent craindre une grande incertitude le jour du scrutin, le 28 juillet
Un groupe d’une trentaine de femmes marche d’un pas pressé au milieu des sportifs et des flâneurs, le long du petit lac de la Liberté, qui brille sous le soleil au zénith. Elles ont toutes à peu près le même âge, soit une quarantaine d’années, et arborent des t-shirts roses flanqués du slogan «Les femmes pour Maduro», le président vénézuélien, candidat à sa réélection le 28 juillet prochain. Il est bientôt midi et elles craignent de rater le rendez-vous de la journée, une rencontre avec Nicolas Maduro, organisée pour la gent féminine. Alors, elles accélèrent, quittent le parc Bolivar et s’engouffrent dans une large allée, cernée de deux immenses panneaux, direction le Centre de conventions de la Carlota. L’un affiche le soutien des étudiants au président et à son parti, le PSUV (Parti socialiste unifié du Venezuela), l’autre consiste en un double portrait de Nicolas Maduro et d’Hugo Chavez, estampillé de la phrase «L’heure de la loyauté a sonné».
Maggui Guevara s’avance en tête du cortège, bandana rose vif sur la tête et pantalon au motif camouflage: «Maduro a tout fait pour les femmes, clame-t-elle, convaincue. C’est un président 100% féministe». Cette mère de famille, leader communautaire à Los Guayos, un quartier périphérique de Valencia, à deux heures de Caracas, a vécu deux ans en Colombie. Elle accuse le président des Etats-Unis de contrôler l’opposition, et son candidat officiel Edmundo Gonzalez Urrutia, et reprend la terminologie officielle du gouvernement, celle de «guerre économique» pour désigner les sanctions américaines. «Il ne pourra pas battre un président qui respire l’amour de son peuple. Maduro va gagner à nouveau, parce qu’au Venezuela, il y a plus de femmes que d’hommes, et nous sommes toutes avec lui.»
Une «escalade de la répression»
Devant le centre, des dizaines de bus ont été affrétés spécialement pour le meeting. Tout au long de la journée, les participantes reçoivent plusieurs paniers repas, et sans doute de l’argent pour venir acclamer et soutenir Nicolas Maduro. A l’intérieur, au moins 2000 femmes hurlent des chansons en son honneur et dansent allègrement, dans une atmosphère festive et joyeuse, sous des banderoles aux couleurs criardes jugées féminines (rose, jaune, bleu). La plupart tiennent des pancartes, certaines portent des vestes «PSUV Femmes», quand d’autres se sont carrément affublées d’une moustache similaire à celle du président. Parmi elles, près de l’estrade, Marilio Osorio, 60 ans, est tout sourire. Son t-shirt représente le symbole que s’est récemment attribué Nicolas Maduro, celui du gallo pinto, «un coq qui gagne toujours dans les combats de coqs, un coq fort, fabuleux, qui remporte les prix à chaque fois». L’emblème a été affiché sur les gigantesques écrans publicitaires de Times Square, à New York: un message adressé aux plus de 700 000 Vénézuéliens de la diaspora installés aux Etats-Unis. Quelques minutes plus tard, Nicolas Maduro s’avance sous les applaudissements enthousiastes de la foule. Son discours met les femmes à l’honneur.
«Maduro va gagner à nouveau, parce qu’au Venezuela, il y a plus de femmes que d’hommes, et nous sommes toutes avec lui»
MAGGUI GUEVARA, LEADER COMMUNAUTAIRE
A quelques semaines du scrutin présidentiel qui pourrait consacrer Nicolas Maduro et lui permettre de briguer un troisième mandat de six ans, la répression s’est accentuée, même si, pour la première fois depuis 2013, l’opposition unifiée participe et voit le candidat de la Table de l’unité démocratique (MUD), Edmundo Gonzalez Urrutia, en tête des sondages. La leader de l’opposition et cheffe du parti Vente Venezuela, Maria Corina Machado, a été déclarée inéligible par le Tribunal suprême de justice en dépit de sa victoire à la primaire de l’opposition. Elle dénonce depuis une multiplication des arrestations (au moins 77 personnes depuis le début officiel de la campagne, le 4 juillet) et ne cesse de fustiger une «escalade de la répression».
Le 18 juillet, la voiture de ses équipes de campagne a été prise pour cible et vandalisée, au moment où Nicolas
Maduro promettait «un bain de sang» en cas de victoire de l’opposition. Les craintes d’une fraude ou d’une disqualification d’Edmundo Gonzalez Urrutia pour un quelconque prétexte, pèsent sur les derniers jours de campagne. Si l’économie s’est quelque peu améliorée et stabilisée dans la capitale Caracas, la majorité de la population continue de vivre dans un immense dénuement: les difficultés financières et l’impossibilité à joindre les deux bouts, constituent la principale source de préoccupation des électeurs.
Un changement plébiscité
A une vingtaine de kilomètres de là, à La Dolorita, enclave du quartier défavorisé de Petare, le président sortant n’est guère populaire. Ici, les habitants vivent entassés dans des maisons en briques et aux toits de tôle, dépourvues d’un accès à l’eau. Pour y remédier, la population est contrainte d’acquérir des réservoirs d’eau de 150 litres, qui coûtent 2 dollars (1,70 francs suisses). Pour Tullia Arroyo, 71 ans, c’est une fortune: «Je perçois une retraite de 130 bolivars, ce qui constitue l’équivalent de 3-4 dollars. Si j’achète un bidon d’eau, un pipote, il ne me reste qu’un dollar pour vivre. Les personnes âgées ne peuvent évidemment pas subvenir à leurs besoins avec ce montant. Je reçois de l’argent de mes enfants», confie-t-elle, depuis son salon quelque peu lugubre.
L’un de ses fils, souffrant d’un handicap mental, est assis à côté d’elle. La vieille dame, qui s’appuie sur un parapluie pour déambuler dans les ruelles pentues de La Dolorita, reçoit chaque mois un sac de provisions du CLAP, le Comité local d’approvisionnement et de production, constitué de produits de base et de mauvaise qualité. Cette aide alimentaire subventionnée est controversée, soupçonnée d’obéir à des logiques clientélistes. «Nous avons beaucoup d’espoir de nous débarrasser de ce gouvernement. Nous l’espérons vraiment. Chaque jour, nous nous réveillons avec un nouvel espoir. Seul Dieu peut nous sauver de cette situation terrible. Combien de personnes ont quitté le pays, en quête d’une vie meilleure?» s’interroge-t-elle, en soupirant. Ils sont 8 millions à s’être aventurés hors du Venezuela.
Dans les artères plus cossues du quartier de Chacao, au centre de Caracas, les affiches de soutien à Maduro se sont multipliées, mais il ne faut pas s’y tromper. Ici aussi, les riverains plébiscitent un changement de gouvernement. Sur la place de France, où trône un obélisque, Daniela Gonzalves, Melany Garces et Valentina Cortero, s’apprêtent à célébrer la fin de leur cursus en communication sociale à l’université. Agées de 22 ans, les trois copines n’ont rien connu d’autre que le chavisme et, pour la première fois, vont voter pour une élection présidentielle. «Je ne connais pas la démocratie en tant que telle, regrette Valentina Cortero. J’ai l’impression qu’au Venezuela, il y a une forte apathie envers la politique, qui est justement en train de changer à cause des élections. Comme si les gens sentaient qu’un changement allait arriver.» Son amie Melany Garces, collier en forme de pâquerette autour du cou, renchérit: «Si l’opposition gagne réellement, que va-t-il se passer? Que restera-t-il de nous? Le bain de sang promis par Maduro s’il perdait est un peu inquiétant. Nous naviguons en pleine incertitude.» En attendant, les jeunes filles sont pleinement motivées à se rendre aux urnes, elles qui aspirent à devenir journalistes. Depuis son arrivée au pouvoir, Nicolas Maduro a fait fermer au moins 200 canaux d’information: elles sont bien conscientes qu’un changement de régime est nécessaire pour atteindre leur ambition.
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