Henniez, source de déboires
EAUX MINÉRALES Après les révélations en France, Nestlé reconnaît avoir eu recours à des mesures de protection non conformes dans son usine vaudoise. Or, en Suisse, l’eau minérale naturelle doit être exempte de substances générées par l’activité humaine
Des eaux en bouteille françaises vendues pour leur pureté originelle, en réalité polluées et nettoyées comme de l’eau du robinet. A la suite des révélations du Monde et de Radio France, la confiance en cette denrée de base est ébranlée. «Même si ces méthodes de dépollution visent à garantir la sécurité alimentaire, le consommateur peut se sentir trompé», réagit la secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs, Sophie Michaud Gigon, qui souligne: «Les épisodes de sécheresse toujours plus fréquents et les pollutions augmentent la pression sur les sources d’eau potable.»
Or l’affaire rebondit en Suisse où Nestlé, questionné par Le Temps, reconnaît avoir eu recours à des procédés non autorisés. «En tant que minéralier, Nestlé
Waters doit constamment adapter son activité, ses pratiques et ses sites aux évolutions de l’environnement autour de ses sources, a répondu hier par écrit une porte-parole de l’entreprise. Ces efforts d’adaptation, qui ont toujours eu pour objectif de garantir la sécurité alimentaire, ont mené l’entreprise à mettre en place des mesures de protection non conformes au cadre réglementaire pour les eaux minérales en Suisse. Sous le contrôle des autorités cantonales et fédérales, Nestlé Waters Suisse a donc retiré les filtres au charbon actif de son usine d’Henniez à fin 2022. Par ailleurs, il n’y a jamais eu des systèmes ultraviolets à l’usine d’Henniez. Nous restons engagés à continuer un dialogue constructif avec les autorités.»
Ce que dit le cadre légal
On sait que la pollution peut contaminer l’eau du robinet, comme l’a montré dès 2017 la détection de résidus de chlorothalonil, un produit phytosanitaire, dans les eaux souterraines. Mais de nombreux consommateurs imaginent l’eau minérale à l’abri des résidus de l’industrie et de l’agriculture. A raison: c’est une condition pour qu’elle soit autorisée à la vente en tant que denrée alimentaire.
Pour correspondre à la définition d’eau minérale naturelle, l’or bleu doit en effet être exempt de substances générées par l’activité humaine, par nature, soit sans avoir subi de traitement, selon l’ordonnance du Département fédéral de l’intérieur (DFI) sur les boissons. C’est un produit «microbiologiquement irréprochable» censé se distinguer par sa «pureté originelle». «L’eau minérale naturelle ne peut subir aucun traitement ni aucune adjonction», précise la loi, contrairement à l’eau du robinet, soumise à des procédés de purification chimiques pour pouvoir être apte à la consommation.
La législation suisse sur les denrées alimentaires repose sur l’obligation d’autocontrôle des fabricants, des importateurs et des distributeurs. Il incombe donc aux minéraliers de veiller à ce que leurs produits respectent toutes les exigences de la législation. Les cantons, sous la direction des chimistes cantonaux, effectuent les contrôles. Des inspections doivent être réalisées tous les quatre ans, selon les règles encadrant le contrôle de la chaîne agroalimentaire.
Or, l’évolution des techniques analytiques a révélé que les sources ne sont pas épargnées, en Suisse non plus. En 2022, un rapport de l’OFEV (Office fédéral de l’environnement) soulignait que «dans de rares cas, d’infimes traces de substances anthropiques [hydrocarbures, composés organiques volatils, ou pesticides par exemple, ndlr] peuvent être mises en évidence dans l’eau minérale naturelle, et ce même si toutes les prescriptions légales en vigueur relatives à la protection des installations de captage d’eau minérale sont respectées».
Aux entreprises d’agir
Comme la législation sur les denrées alimentaires n’autorise pas le recours à des méthodes d’élimination de ces substances dans l’eau minérale naturelle et ne prévoit aucune exception à cette règle, il revient aux entreprises d’identifier la cause d’une éventuelle pollution et de l’éliminer, précisait ce rapport. «Il faut espérer que les producteurs réagissent s’ils constatent un danger sécuritaire. Mais aussi qu’ils n’oublient pas l’étape suivante: informer le consommateur», relève Sophie Michaud Gigon. C’est ce qu’est en train de faire Nestlé en France puis en Suisse, contraint par les révélations sur ces pratiques. ■
«Sous le contrôle des autorités cantonales et fédérales, Nestlé Waters Suisse a retiré les filtres au charbon actif de son usine d’Henniez à fin 2022»
UN PORTE-PAROLE DE NESTLÉ