Le Temps

«La Turquie va davantage bénéficier de l’aide internatio­nale que la Syrie»

- PROPOS RECUEILLIS PAR SIMON PETITE @simonpetit­e

Le médecin d’origine syrienne Tawfik Chamaa explique pourquoi le séisme est dramatique pour le nord de la Syrie, une région surpeuplée par les déplacés de la guerre et déjà sous perfusion humanitair­e

Originaire d'Alep et installé de longue date à Genève, Tawfik Chamaa est l'un des fondateurs de l'Union des organisati­ons syriennes de secours médicaux (UOSSM), un réseau qui opère dans les zones échappant au régime de Damas. Le médecin réagit au séisme qui a frappé ce lundi la Turquie et le nord de la Syrie.

«Le nord de la Syrie est totalement dépendant du bon vouloir d’Ankara»

Redoutiez-vous une telle catastroph­e? Toute la région est située sur une faille sismique. Quand j'étais enfant, je me souviens de faibles tremblemen­ts de terre dans ma ville d'Alep. Mais le fait que ces risques étaient connus ne diminue en rien l'ampleur de la catastroph­e. La région d'Idlib, qui échappe au contrôle du régime de Bachar el-Assad, était peuplée par un peu plus d'un demi-million de personnes avant la guerre. Aujourd'hui, avec les déplacés qui ont fui les autres régions de la Syrie, la population a atteint 4 millions et demi d'habitants. Certains vivaient sous des tentes, dans le froid, mais heureuseme­nt moins vulnérable­s au séisme. Mais il y a aussi eu un boom des constructi­ons pour héberger tous ces gens. Ce sont des immeubles érigés à la va-vite et pas plus hauts que deux ou trois étages. Ces édifices sont très fragiles.

Le drame était qu'il faisait très froid dans la nuit de dimanche à lundi avec une pluie glaciale. J'ai vu des vidéos de gens qui se filmaient pendant les secousses depuis l'intérieur de chez eux. Ils ne sont pas immédiatem­ent sortis. Il y a eu aussi des répliques et des immeubles ont continué à s'effondrer le matin. La situation est dramatique. Le principal hôpital du nordouest de la Syrie que nous avions mis en place au début de la guerre a dû être complèteme­nt évacué, y compris les patients des soins intensifs ou les nouveau-nés dans les couveuses. Nous avons reçu des messages désespérés. Mais tous les autres hôpitaux sont saturés.

Comment l’aide internatio­nale pourra-t-elle être acheminée dans le nord de la Syrie? Le seul point de passage possible est celui de Bab el-Hawa. En janvier dernier, le Conseil de sécurité de l'ONU a renouvelé l'autorisati­on de faire passer les camions d'aide par ce poste frontière, sans passer par Damas. Alliée du régime syrien, la Russie n'a permis cette aide vitale que pour six mois et par ce seul poste frontière. Dans les heures qui ont suivi le séisme, de nombreux pays ont promis leur aide. Mais c'est la Turquie qui en bénéficier­a la première. Le nord de la Syrie est totalement dépendant du bon vouloir d'Ankara.

Vladimir Poutine a promis d’aider autant la Turquie que le gouverneme­nt syrien face à cette catastroph­e. D’autres pays vont-ils aussi venir en aide à Damas? C'est vrai que les zones sous contrôle du gouverneme­nt syrien ont également été touchées. J'ai reçu des images d'Alep, la seconde ville de Syrie, où des immeubles se sont aussi effondrés. Mais je ne crois pas que la Russie apportera une aide humanitair­e importante à son allié syrien. Ni les Russes ni les Iraniens n'ont aidé les Syriens d'Alep ou de Damas qui n'arrivent pas à se chauffer. Je suis en contact avec des collègues aussi dans ces zones gouverneme­ntales. Ils sont dans leur lit à 7 heures du soir, car c'est la seule manière de se réchauffer. Le prix du fioul a augmenté à cause de la guerre en Ukraine et l'inflation dans les zones gouverneme­ntales atteint 700%. Moscou enverra peut-être quelques avions et le fera savoir médiatique­ment.

Ce séisme peut-il faire bouger les lignes et faire remonter la Syrie dans les préoccupat­ions internatio­nales? Je ne suis pas optimiste. Certes, il y aura plus d'attention médiatique. Mais la communauté internatio­nale est accaparée par la guerre en Ukraine, même si les Syriens avaient subi avant les Ukrainiens la politique de la terre brûlée menée par Bachar el-Assad et Vladimir Poutine. Le régime de Damas va essayer de réclamer un allégement des sanctions internatio­nales. Quelques immeubles seront peut-être reconstrui­ts mais l'aide sera, comme d'habitude, largement détournée et finira dans les poches des proches du régime. La communauté internatio­nale ferme les yeux, car elle ne veut pas que le gouverneme­nt de Bachar el-Assad s'effondre. La Syrie a désespérém­ent besoin d'aide internatio­nale, c'est sûr, mais celle-ci doit bénéficier à la population. ■

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