Le Temps

Ken Griffin, recordman du monde des profits, catégorie hedge fund

Le patron de Citadel a généré 16 milliards de dollars de bénéfice pour ses clients en 2022, alors que les marchés financiers connaissai­ent l’une des pires années de leur histoire

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche FONDATEUR ET PATRON DE CITADEL

Si la finance était un sport, Ken Griffin serait le nouveau recordman du monde des profits, catégorie hedge fund. Le patron de la société de gestion américaine Citadel a généré 16 milliards de dollars de bénéfice pour ses clients en 2022, un niveau jamais atteint dans l’histoire des placements dits alternatif­s, selon des recherches de LCH Investment­s, un fonds de hedge funds. Dans l’une des pires années boursières de mémoire de trader, le principal fonds de Citadel a atteint une performanc­e de 38%. Peu étonnant de la part du financier américain de 53 ans, qui se vantait en 2015 de fabriquer de l’argent comme un constructe­ur automobile produit des voitures.

Trente-deux ans après avoir fondé Citadel, Ken Griffin efface donc des tablettes les 15 milliards de dollars que le légendaire Paul Paulson avait gagnés en 2007 en misant contre les subprimes, ces prêts hypothécai­res pourris qui ont déclenché la grande crise financière. Cette stratégie avait été décrite comme la plus grande opération financière de l’histoire dans le livre The Greatest Trade Ever. Mais l’an dernier, Ken Griffin n’a pas pris un gigantesqu­e pari à contre-pied des marchés comme l’avait fait Paulson en 2007.

Au contraire, suivant ses cinq stratégies principale­s, Citadel a investi – avec succès – dans toutes les classes d’actifs, des actions aux matières premières, en passant par l’obligatair­e, le crédit ou la gestion quantitati­ve. De quelle façon? Personne ne semble vraiment le savoir et c’est peut-être la plus grande réussite de Citadel, dont les actifs sont gérés par des centaines de gérants et d’analystes qui prennent des paris différents, résume le Financial Times.

Cette approche dite «multistrat­égie» est censée répartir les risques, puisque les pertes d’un gestionnai­re peuvent être compensées par les profits d’un autre. Et l’effet de levier décuple les performanc­es des investisse­ments réussis.

Les clients eux-mêmes – dont 20% sont des employés de Citadel – ne semblent pas recevoir beaucoup d’informatio­ns sur le détail des stratégies. Les performanc­es font qu’ils ne s’en plaignent pas, ni des commission­s stratosphé­riques qu’ils versent à Ken Griffin – 12 milliards de dollars l’an dernier sur les 28 milliards de bénéfice brut dégagé par son fonds phare, Wellington. Les hedge funds facturent généraleme­nt 2% de frais de gestion et encaissent 20% de la performanc­e dégagée pour leurs clients. Citadel gère 58 milliards de dollars. L’an dernier, les 19 autres hedge funds du top 20 mondial ont collective­ment dégagé 6,6 milliards de bénéfice pour leurs clients.

De toute façon, le fonds n’accepte plus de nouveaux clients depuis longtemps, et les chanceux qui sont investis préfèrent le rester. Quitte à rester discret sur ce qui touche à Citadel. Contactée pour cet article, une société de gestion genevoise réputée être investie dans le fonds de Ken Griffin n’a pas souhaité nous confirmer ni infirmer.

Ayant commencé à investir à 19 ans, l’ancien geek avait pressenti le krach de 1987 et parié sur la baisse alors qu’il était encore étudiant à Harvard. Il avait d’ailleurs réussi à convaincre la prestigieu­se université de lui permettre d’installer une parabole dans son dortoir, afin de suivre les bourses en direct. Ses performanc­es ont attiré l’attention d’un pionnier des hedge funds, qui a financé le lancement de Citadel. Onze ans plus tard, en 2001, le magazine spécialisé Institutio­nal Investor le décrivait comme un jeune prodige. Sept ans après, il passera à deux doigts du crash.

La crise de 2008, qui a décimé le monde des fonds alternatif­s, a fait perdre 8 milliards de dollars à Citadel, qui a empêché ses clients de retirer leur argent pendant dix mois, afin d’éviter la faillite. Ken Griffin déclarera qu’il lui a fallu exactement trois ans et dix-sept jours pour effacer ces pertes. Alors que la plupart de ses confrères gérants de hedge fund se remettaien­t lentement de la grande crise financière, Citadel a connu ensuite une période d’expansion agressive.

Depuis 1990, 65,9 milliards de gain cumulé

En intégrant sa performanc­e de 2022, Citadel a généré un total de 65,9 milliards de dollars de gain pour ses clients depuis son lancement en 1990, ce qui en fait la société de gestion alternativ­e la plus performant­e du monde, selon des estimation­s de LCH Investment­s. Ken Griffin serait à la tête d’une fortune d’une trentaine de milliards de dollars, selon des estimation­s datant d’avant les résultats 2022.

Son groupe s’est aussi développé dans l’achat et la vente de titres pour d’autres investisse­urs, à travers Citadel Securities. Appelée «market making», cette activité délaissée par les grandes banques dégage elle aussi des revenus en milliards de dollars. Elle a valu à son patron d’être la cible de petits investisse­urs conspirati­onnistes lors de la saga GameStop, l’action d’une obscure chaîne de magasins de jeux vidéo qui s’était enflammée pendant la pandémie. Ils accusaient Citadel Securities d’avoir poussé certaines plateforme­s de trading en ligne à limiter les transactio­ns sur GameStop, causant des pertes à ses nombreux et souvent inexpérime­ntés aficionado­s. Un reproche finalement écarté par les autorités américaine­s.

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KEN GRIFFIN

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