Genève tient ses tout premiers procureurs extraordinaires
Le procureur général neuchâtelois Pierre Aubert et le premier procureur lausannois Bernard Dénéréaz sont élus ce jour pour intégrer le nouveau pool d’enquêteurs spéciaux chargés des dossiers impliquant un membre du Ministère public cantonal
Pour la première fois de son histoire, le Grand Conseil genevois va élire ce jeudi des procureurs extraordinaires. L'exercice ne réserve aucun suspense puisque les postulants ne se bousculent pas au portillon et que seules deux candidatures pour quatre places sont parvenues à l'échéance du délai initial. Celles de Pierre Aubert, procureur général neuchâtelois, et de Bernard Dénéréaz, premier procureur au sein du Ministère public d'arrondissement de Lausanne. Ces derniers seront donc adoubés tacitement, le nombre de prétendants ne dépassant pas celui des postes à pourvoir. Ce qui n'enlève rien à l'intérêt de ce nouveau système, encore inconnu du canton, et qui fait parfois des remous ailleurs.
Evocation tumultueuse
Quand on entend «procureur extraordinaire» ces jours, on pense surtout à gros problème. Deux affaires emblématiques ont fait une très mauvaise publicité à ces personnalités plongées dans des affaires souvent sensibles. Il y a eu Stefan Keller, le procureur extraordinaire désigné pour enquêter sur les éventuelles turpitudes ayant motivé les rencontres occultes entre le patron de la FIFA et l'ancien procureur général de la Confédération Michael Lauber. Ce juge obwaldien a été bouté hors de la procédure en raison de sa communication sensationnaliste et a tout juste échappé à une procédure pénale, les Chambres fédérales ayant finalement refusé la levée de son immunité.
Il y a désormais l'incontournable Peter Marti, par qui le scandale des CoronaLeaks est arrivé. Chargé initialement d'enquêter sur les fuites de l'affaire Crypto, cet ancien juge zurichois (et procureur il y a longtemps) a visiblement pris sa tâche très à coeur et poussé ses investigations loin de son mandat initial avant de luimême faire l'objet d'une plainte pénale et d'une procédure pour abus d'autorité. Cette instruction est menée par un autre procureur extraordinaire, Stephan Zimmerli, alors qu'un troisième doit encore être nommé pour instruire les fuites sur les fuites afin de tenter de débusquer qui a transmis à la presse les procès-verbaux (du dossier instruit par Peter Marti) détaillant les échanges intenses entre Peter Lauener, l'ancien chef de la communication d'Alain Berset, et Marc Walder, le patron de Ringier.
Pour éviter ce genre de désordre total, la nouvelle disposition genevoise – entrée en vigueur en août dernier et dont la mise en oeuvre a été négligée par le parlement avant que n'éclate la fameuse affaire des écoutes mettant à mal le secret professionnel de l'avocat – prévoit quelques garde-fous. La loi privilégie ainsi la constitution d'un pool permanent de quatre procureurs extraordinaires. Ces derniers ne doivent pas être d'anciens magistrats du cru ou même d'ailleurs, mais être encore actifs au sein d'un autre Ministère public cantonal ou du parquet fédéral afin d'être rompus aux subtilités de la poursuite pénale.
Le principe de ce nouveau système repose sur le fait que le procureur doit être indépendant et doit pouvoir instruire de façon impartiale. Lorsqu'une affaire concerne un membre de la même juridiction, la situation est forcément inconfortable et génère un inévitable soupçon de partialité. Dans cette logique, la désignation d'un procureur extraordinaire est obligatoirement prévue lorsqu'un magistrat du Ministère public genevois doit être entendu comme prévenu ou comme partie plaignante, que le dossier soit en lien ou pas avec l'exercice de ses fonctions. Celle-ci n'intervient donc pas au moment du dépôt de plainte (beaucoup ne méritent pas de suites), mais lorsque les choses deviennent sérieuses.
Spécificité locale
Un alinéa permet aussi au procureur général ou au premier procureur «en cas de circonstances particulières» de demander le recours à ces enquêteurs spéciaux. Par exemple si un juge est concerné. Ou si une affaire contient les germes d'une polémique infinie, à l'instar de celle des écoutes de conversations entre prévenus et avocats transcrites par des inspecteurs de la police judiciaire.
L'autorité de désignation est toujours le président du Conseil supérieur de la magistrature, lequel attribue la procédure à l'un des élus. Ce système de pool permanent est d'ailleurs une spécificité genevoise, qui s'explique par le système général d'élection de tous les magistrats de l'ordre judiciaire. Ailleurs, les procureurs extraordinaires sont nommés au coup par coup pour un seul dossier. Cet engagement sur le long terme peut expliquer le faible nombre de candidatures. Le caractère particulièrement électrique du climat politico-judiciaire genevois aussi. ■