Eté meurtrier, l’Europe se noie
Pluies diluviennes et inondations ont fait une cinquantaine de morts ce jeudi en Europe, principalement dans l’ouest de Allemagne
■ «C’est une catastrophe, une tragédie», a réagi Angela Merkel, après que la police a dénombré des dizaines de disparus dans l’effondrement de leurs maisons
■ Les trois pays du Benelux ont également subi d’importants dégâts d’eau, que de nombreux politiques attribuent au réchauffement climatique
■ En Suisse aussi, le niveau des lacs continue de monter de manière préoccupante. Le président de la Confédération, Guy Parmelin, s’est rendu à Lucerne et à Bienne
La cité seelandaise et sa voisine, Nidau, sont en état d’alerte face à la montée des eaux. Le lac de Bienne pourrait atteindre un niveau record au cours des prochaines 24 heures et risque de provoquer d’importantes inondations. Guy Parmelin s’est rendu sur place
Depuis 5h jeudi matin, Patrick Bucher est sur le pont pour lutter contre les intempéries. Rencontré peu avant 8h dans le port de Bienne, il nous invite à monter sur le Romandie 1, un bateau historique datant de 1952 et aujourd’hui exploité à titre privé pour des croisières culturelles. Sur un rebord de fenêtre trône une caméra contrôlée à distance.
«La nuit dernière, je me suis réveillé toutes les heures pour surveiller la situation. Le lac monte de manière hallucinante, constate le capitaine. L’eau a dépassé le niveau de la digue de protection et les vagues arrivent maintenant dans le port. Je fais mon possible pour enlever le bois flottant qui pourrait abîmer la coque. Ce navire est irremplaçable, il faut le protéger».
Un peu plus loin, Bruno est venu vérifier que les amarres de son embarcation privée soient suffisamment libres pour accompagner la crue: «Si elles sont trop tendues le bateau risque de couler. Cela fait deux jours que je viens régulièrement, mais pour le moment je ne suis pas inquiet. J’ai déjà vécu la crue de 2005, et je prends les choses avec philosophie. Ça nous rappelle que nous ne sommes que des êtres humains face à la nature.»
Sortir les bateaux du port pour les protéger
Les employés de la Société de navigation du lac de Bienne (SNLB) sont également à pied d’oeuvre pour protéger le bâtiment qui abrite leur siège et le restaurant Le Joran, exploité par la compagnie, à proximité des débarcadères. Les sacs de sable s’empilent devant les portes.
«Le lac monte de 6 centimètres par heure. Il va déborder et nous aurons de l’eau dans les cuisines», indique au Temps le directeur de la SNLB, Thomas Mühlethaler. Un tournus a été mis en place pour assurer une permanence. Trois employés sont mobilisés jour et nuit.
«La prochaine étape sera de sortir les bateaux du port pour les mettre à l’ancre, car les poteaux d’amarrage seront bientôt trop bas pour tenir les cordes. Le risque est aussi que des troncs viennent endommager les systèmes de propulsion, ce qui serait catastrophique. Nous attendons des nouvelles de la préfecture de Bienne, la navigation sur les lacs du canton étant interdite depuis hier. Une réunion devait se tenir ce matin», poursuit le directeur.
Contactée peu avant midi, la préfecture indique que cette interdiction de naviguer reste en vigueur, mais qu’il est autorisé de déplacer les bateaux pour les protéger, la décision revenant aux propriétaires. Ce que la SNLB a fait pour une partie de sa flotte dans le courant de l’aprèsmidi.
Un coup dur pour les affaires
Les navigateurs ne sont pas les seuls à lutter contre la montée des eaux. Installé sur la rive pendant trois mois chaque été, le bar en plein air Beachtown est directement exposé. Sur place, un employé fait le piquet. Il nous redirige vers le responsable du lieu, Dominique Antenen. «Nous avons déjà été inondés hier, et nous avons surélevé ce qui pouvait l’être. Nous redoutons que tout finisse sous l’eau, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus. C’est très décevant au vu des efforts déployés pour tout mettre en place. Comme nous fermons le 15 août, nous devrons évaluer si ça vaut le coup de rouvrir», confie-t-il.
Daniel Schärer, patron du Lago Lodge, se montre plus serein. Occupé à lire le journal dans son restaurant très couru des Biennois durant l’été, il nous accorde quelques minutes. «Le lac se trouve à environ 300 mètres et nous avons encore un peu de marge avant d’être inondés. Lors des précédentes crues, l’eau n’est jamais arrivée jusqu’ici. Mais nous surveillons son niveau constamment. Heureusement, nous n’avons pas de cave».
Pour les professionnels rencontrés, ces intempéries pendant les vacances scolaires surviennent au pire des moments. Tous relèvent que les pertes de chiffre d’affaires quotidiennes se compteront en milliers de francs, alors qu’ils espéraient profiter de l’été pour compenser les déficits liés au covid et aux mesures sanitaires. Thomas Mühlethaler ne donne pas de chiffres concernant la SNLB, mais estime que lorsque la situation se sera stabilisée, il faudra attendre au moins deux semaines pour naviguer à nouveau.
Le président de la Confédération Guy Parmelin s’est rendu à Bienne jeudi pour constater la situation au bord du lac, selon l’ATS, avant de se rendre dans le canton de Lucerne, l’une des régions les plus touchées par les intempéries . «J’ai pu constater de mes propres yeux à quel point la situation est critique», a commenté le Vaudois sur Twitter.
«J’ai pu constater de mes propres yeux à quel point la situation est critique» GUY PARMELIN, PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRATION
Le pire n’est toutefois pas encore venu, selon Matthias Rüttimann, porte-parole de l’organe de conduite régional, chargé de gérer la situation: «Ce matin, le lac de Bienne a atteint un niveau d’alerte de 4 sur 5. La limite où les inondations commencent à provoquer des dégâts a été dépassée. Il est probable que l’on dépasse les 431 mètres vendredi.» En 2007, dernière crue record enregistrée, l’eau était montée jusqu’à 430,88 mètres.
A 17h30 jeudi, le niveau de l’eau se situait à 430,7 mètres, après avoir franchi le niveau d’alerte 5 vers 13h30. «Le problème, c’est que nous ne pouvons vider le lac dans l’Aar que de façon restreinte à l’écluse de Port, car cela menacerait les cantons de Soleure et d’Argovie. Le canal de la Thielle évacue aussi de l’eau en direction du lac de Neuchâtel, mais nous serons bientôt à l’équilibre», poursuit Matthias Rüttimann.
Selon les données du canton de Berne, l’écluse de Port expulsait à la même heure 528 mètres cubes d’eau par seconde et la Thielle 362. Dans le même temps, le barrage de Hagnek, qui gère le débit de l’Aar en provenance de Berne, en déversait 955 dans le lac de
Bienne, et la Suze 36. Soit un différentiel positif de 102 mètres cube par seconde, contre 407 à midi.
Suivre les recommandations
«Les zones à risque sont surtout la commune de Nidau et son quartier de Beunden, mais aussi tout ce qui se trouve à proximité du lac, comme la SNLB ou les gymnases de Bienne. Nous avons aussi fermé les accès aux plages de Bienne et Nidau, aux parc de l’Île-de-la-Suze et aux Gorges du Taubenloch. Une cinquantaine de membres de la protection civile sont mobilisés pour surveiller les infrastructures sensibles, mais nous ne pouvons pas protéger tous les privés», indique encore Matthias Rüttimann.
Il invite donc la population à suivre les recommandations émises par la Confédération, à sortir les véhicules des parkings souterrains, vider les caves et respecter les interdictions d’accès mises en place: «Les services d’urgences seront très sollicités ces prochaines heures, et il faut éviter toute mise en danger inutile».
En conclusion, Matthias Rüttimann relève que les procédures d’urgences élaborées après les crues de 2005 et 2007 ont permis à l’organe de contrôle d’être mieux préparé et de réagir plus rapidement face à ce type de situation.
Jeudi à 18h, la police cantonale bernoise avait enregistré 120 annonces liées aux intempéries sur l’ensemble du territoire bernois, sur une période de 24h, principalement pour des infiltrations d’eau, des routes inondées ou des chutes d’arbres. Aucun blessé n’était à déplorer.
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