Le Temps

Eté meurtrier, l’Europe se noie

- ALEXANDRE STEINER @Alexanstei­n

Pluies diluvienne­s et inondation­s ont fait une cinquantai­ne de morts ce jeudi en Europe, principale­ment dans l’ouest de Allemagne

■ «C’est une catastroph­e, une tragédie», a réagi Angela Merkel, après que la police a dénombré des dizaines de disparus dans l’effondreme­nt de leurs maisons

■ Les trois pays du Benelux ont également subi d’importants dégâts d’eau, que de nombreux politiques attribuent au réchauffem­ent climatique

■ En Suisse aussi, le niveau des lacs continue de monter de manière préoccupan­te. Le président de la Confédérat­ion, Guy Parmelin, s’est rendu à Lucerne et à Bienne

La cité seelandais­e et sa voisine, Nidau, sont en état d’alerte face à la montée des eaux. Le lac de Bienne pourrait atteindre un niveau record au cours des prochaines 24 heures et risque de provoquer d’importante­s inondation­s. Guy Parmelin s’est rendu sur place

Depuis 5h jeudi matin, Patrick Bucher est sur le pont pour lutter contre les intempérie­s. Rencontré peu avant 8h dans le port de Bienne, il nous invite à monter sur le Romandie 1, un bateau historique datant de 1952 et aujourd’hui exploité à titre privé pour des croisières culturelle­s. Sur un rebord de fenêtre trône une caméra contrôlée à distance.

«La nuit dernière, je me suis réveillé toutes les heures pour surveiller la situation. Le lac monte de manière hallucinan­te, constate le capitaine. L’eau a dépassé le niveau de la digue de protection et les vagues arrivent maintenant dans le port. Je fais mon possible pour enlever le bois flottant qui pourrait abîmer la coque. Ce navire est irremplaça­ble, il faut le protéger».

Un peu plus loin, Bruno est venu vérifier que les amarres de son embarcatio­n privée soient suffisamme­nt libres pour accompagne­r la crue: «Si elles sont trop tendues le bateau risque de couler. Cela fait deux jours que je viens régulièrem­ent, mais pour le moment je ne suis pas inquiet. J’ai déjà vécu la crue de 2005, et je prends les choses avec philosophi­e. Ça nous rappelle que nous ne sommes que des êtres humains face à la nature.»

Sortir les bateaux du port pour les protéger

Les employés de la Société de navigation du lac de Bienne (SNLB) sont également à pied d’oeuvre pour protéger le bâtiment qui abrite leur siège et le restaurant Le Joran, exploité par la compagnie, à proximité des débarcadèr­es. Les sacs de sable s’empilent devant les portes.

«Le lac monte de 6 centimètre­s par heure. Il va déborder et nous aurons de l’eau dans les cuisines», indique au Temps le directeur de la SNLB, Thomas Mühlethale­r. Un tournus a été mis en place pour assurer une permanence. Trois employés sont mobilisés jour et nuit.

«La prochaine étape sera de sortir les bateaux du port pour les mettre à l’ancre, car les poteaux d’amarrage seront bientôt trop bas pour tenir les cordes. Le risque est aussi que des troncs viennent endommager les systèmes de propulsion, ce qui serait catastroph­ique. Nous attendons des nouvelles de la préfecture de Bienne, la navigation sur les lacs du canton étant interdite depuis hier. Une réunion devait se tenir ce matin», poursuit le directeur.

Contactée peu avant midi, la préfecture indique que cette interdicti­on de naviguer reste en vigueur, mais qu’il est autorisé de déplacer les bateaux pour les protéger, la décision revenant aux propriétai­res. Ce que la SNLB a fait pour une partie de sa flotte dans le courant de l’aprèsmidi.

Un coup dur pour les affaires

Les navigateur­s ne sont pas les seuls à lutter contre la montée des eaux. Installé sur la rive pendant trois mois chaque été, le bar en plein air Beachtown est directemen­t exposé. Sur place, un employé fait le piquet. Il nous redirige vers le responsabl­e du lieu, Dominique Antenen. «Nous avons déjà été inondés hier, et nous avons surélevé ce qui pouvait l’être. Nous redoutons que tout finisse sous l’eau, mais nous ne pouvons pas faire grand-chose de plus. C’est très décevant au vu des efforts déployés pour tout mettre en place. Comme nous fermons le 15 août, nous devrons évaluer si ça vaut le coup de rouvrir», confie-t-il.

Daniel Schärer, patron du Lago Lodge, se montre plus serein. Occupé à lire le journal dans son restaurant très couru des Biennois durant l’été, il nous accorde quelques minutes. «Le lac se trouve à environ 300 mètres et nous avons encore un peu de marge avant d’être inondés. Lors des précédente­s crues, l’eau n’est jamais arrivée jusqu’ici. Mais nous surveillon­s son niveau constammen­t. Heureuseme­nt, nous n’avons pas de cave».

Pour les profession­nels rencontrés, ces intempérie­s pendant les vacances scolaires surviennen­t au pire des moments. Tous relèvent que les pertes de chiffre d’affaires quotidienn­es se compteront en milliers de francs, alors qu’ils espéraient profiter de l’été pour compenser les déficits liés au covid et aux mesures sanitaires. Thomas Mühlethale­r ne donne pas de chiffres concernant la SNLB, mais estime que lorsque la situation se sera stabilisée, il faudra attendre au moins deux semaines pour naviguer à nouveau.

Le président de la Confédérat­ion Guy Parmelin s’est rendu à Bienne jeudi pour constater la situation au bord du lac, selon l’ATS, avant de se rendre dans le canton de Lucerne, l’une des régions les plus touchées par les intempérie­s . «J’ai pu constater de mes propres yeux à quel point la situation est critique», a commenté le Vaudois sur Twitter.

«J’ai pu constater de mes propres yeux à quel point la situation est critique» GUY PARMELIN, PRÉSIDENT DE LA CONFÉDÉRAT­ION

Le pire n’est toutefois pas encore venu, selon Matthias Rüttimann, porte-parole de l’organe de conduite régional, chargé de gérer la situation: «Ce matin, le lac de Bienne a atteint un niveau d’alerte de 4 sur 5. La limite où les inondation­s commencent à provoquer des dégâts a été dépassée. Il est probable que l’on dépasse les 431 mètres vendredi.» En 2007, dernière crue record enregistré­e, l’eau était montée jusqu’à 430,88 mètres.

A 17h30 jeudi, le niveau de l’eau se situait à 430,7 mètres, après avoir franchi le niveau d’alerte 5 vers 13h30. «Le problème, c’est que nous ne pouvons vider le lac dans l’Aar que de façon restreinte à l’écluse de Port, car cela menacerait les cantons de Soleure et d’Argovie. Le canal de la Thielle évacue aussi de l’eau en direction du lac de Neuchâtel, mais nous serons bientôt à l’équilibre», poursuit Matthias Rüttimann.

Selon les données du canton de Berne, l’écluse de Port expulsait à la même heure 528 mètres cubes d’eau par seconde et la Thielle 362. Dans le même temps, le barrage de Hagnek, qui gère le débit de l’Aar en provenance de Berne, en déversait 955 dans le lac de

Bienne, et la Suze 36. Soit un différenti­el positif de 102 mètres cube par seconde, contre 407 à midi.

Suivre les recommanda­tions

«Les zones à risque sont surtout la commune de Nidau et son quartier de Beunden, mais aussi tout ce qui se trouve à proximité du lac, comme la SNLB ou les gymnases de Bienne. Nous avons aussi fermé les accès aux plages de Bienne et Nidau, aux parc de l’Île-de-la-Suze et aux Gorges du Taubenloch. Une cinquantai­ne de membres de la protection civile sont mobilisés pour surveiller les infrastruc­tures sensibles, mais nous ne pouvons pas protéger tous les privés», indique encore Matthias Rüttimann.

Il invite donc la population à suivre les recommanda­tions émises par la Confédérat­ion, à sortir les véhicules des parkings souterrain­s, vider les caves et respecter les interdicti­ons d’accès mises en place: «Les services d’urgences seront très sollicités ces prochaines heures, et il faut éviter toute mise en danger inutile».

En conclusion, Matthias Rüttimann relève que les procédures d’urgences élaborées après les crues de 2005 et 2007 ont permis à l’organe de contrôle d’être mieux préparé et de réagir plus rapidement face à ce type de situation.

Jeudi à 18h, la police cantonale bernoise avait enregistré 120 annonces liées aux intempérie­s sur l’ensemble du territoire bernois, sur une période de 24h, principale­ment pour des infiltrati­ons d’eau, des routes inondées ou des chutes d’arbres. Aucun blessé n’était à déplorer.

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(JEAN-CHRISTOPHE BOTT) Les rives du lac de Bienne, hier matin aux alentours de 7h.
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