Le Temps

ARN, un pari gagnant

- PROPOS RECUEIILLI­S PAR MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

C’était un pari risqué de tabler sur les vaccins à ARN messager. La Suisse l’a tenté et l’histoire lui a donné raison. Un peu plus de la moitié de la population suisse est désormais vaccinée avec les produits de Pfizer/ BioNTech ou de Moderna, efficaces à plus de 90%. «Nous avons dû prendre des risques, mais aujourd’hui la Suisse se retrouve dans une situation enviable», explique Alain Berset. Le dernier chapitre de notre roman du vaccin détaille tous les dessous de ce pari gagnant.

Le ministre de la Santé, Alain Berset, concède qu’il a été le premier à regretter que l’industrie pharmaceut­ique abandonne la filière des vaccins. Mais cela n’a pas empêché la Suisse de tabler sur la nouvelle technologi­e des ARN messagers

A peine la pandémie de coronaviru­s avait-elle éclaté en Suisse en février 2020 qu’Alain Berset et son Office fédéral de la santé publique (OFSP) se sont lancés dans la course aux vaccins. Le conseiller fédéral souhaite désormais que la Suisse développe un centre de compétence­s sous la forme d’un réseau.

Il n’y a quasiment pas eu de troisième vague du coronaviru­s en Suisse. Est-ce grâce à l’arrivée des vaccins? Je parlerais plutôt d’une combinaiso­n de plusieurs facteurs, dans laquelle le vaccin – à l’évidence – joue un rôle certain. Mais pas seulement. Nous avons aussi fait preuve de prudence quand cela était nécessaire, tout en pouvant compter sur la très forte adhésion de la population, quoi qu’on en dise. En parallèle, notre campagne de tests a progressé, tout comme la vaccinatio­n, ce qui nous a permis de concrétise­r la stratégie mise en place dès février. Nous avions imaginé un triangle, dans lequel tous les éléments – tests, vaccins, mesures sanitaires – étaient liés. Il s’agissait d’un véritable changement de paradigme: s’appuyer sur la progressio­n des tests et des vaccins pour permettre la reprise progressiv­e des activités, même en cas d’augmentati­on des contaminat­ions. Et oui, dans cet équilibre, plus le temps passe, plus le rôle du vaccin est important.

Le fait que les entreprise­s suisses aient loupé le virage d’un vaccin contre le coronaviru­s vous inquiète-t-il? Les entreprise­s pharmaceut­iques de notre pays ont abandonné la recherche dans les vaccins traditionn­els il y a une quinzaine d’années. Je l’ai toujours regretté. Cela n’a toutefois pas empêché notre pays de se positionne­r sur le terrain des ARN messagers. La Banque mondiale a classé la Suisse au 13e rang des pays en pointe dans le développem­ent de cette nouvelle technologi­e. Il est question ici d’un environnem­ent dans lequel on inclut à la fois la recherche et les capacités de production.

L’Etat doit-il s’engager dans la production de vaccins? En 2012, lorsque j’ai pris mes fonctions à la tête du Départemen­t fédéral de l’intérieur, je me suis aperçu qu’il manquait un espace favorable à la discussion et à la coopératio­n entre les secteurs privés, publics et la Confédérat­ion pour mieux soutenir le développem­ent de l’industrie pharmaceut­ique. Nous avons alors lancé un plan directeur pour renforcer la recherche et la technologi­e biomédical­es. Cela a créé un terreau favorable à l’émergence de projets. Le rôle de l’Etat n’est pas de se substituer aux acteurs privés, mais de créer des liens entre les différents niveaux. Et je m’investis beaucoup pour l’entretien et le développem­ent de ce réseau.

Quel a été votre rôle et celui du Conseil fédéral dans l’acquisitio­n des vaccins? Durant les 18 derniers mois, nous avons travaillé sans relâche pour garantir un accès aussi rapide et efficace que possible aux vaccins. La question a été évoquée pour la première fois en février 2020. En mars, l’OFSP a commencé à y réfléchir concrèteme­nt. En mai, une stratégie d’achat était élaborée. Le but n’a jamais été de produire nous-même un vaccin, mais d’acquérir le plus rapidement possible les meilleurs produits pour notre population. Aujourd’hui, je constate avec satisfacti­on que cette stratégie a fonctionné.

Concrèteme­nt, le Conseil fédéral a-t-il eu un mot à dire dans l’achat des vaccins? Le Conseil fédéral a été au coeur du processus. Mais vous ne pouvez pas attendre d’un gouverneme­nt qu’il choisisse lui-même les vaccins. De par ma fonction, j’ai été en contact constant avec l’OFSP. Nous avons eu le culot de miser très tôt sur les ARN messagers, quand bien des spécialist­es de la vaccinatio­n étaient encore très réservés sur les capacités de cette technologi­e à produire un vaccin contre le coronaviru­s. Certains n’y voyaient qu’une solution transitoir­e pour les personnes à risque. En signant un premier pré-contrat avec Moderna en juin 2020, nous avons pris un risque important. L’OFSP a aussi pris soin de tabler sur plusieurs technologi­es, afin de répartir les risques. Peut-être avonsnous aussi eu un peu de chance avec Moderna et Pfizer, qui se sont avérés être de loin les meilleurs vaccins sur le marché.

Comment le Conseil fédéral entend-il assurer une filière du vaccin en Suisse, en sachant que l’industrie ne s’y est plus intéressée?

Le but du Conseil fédéral, sur mandat du parlement, est de mettre en place une stratégie générale. Elle vise également les médicament­s et les traitement­s anti-covid. Pour combattre une pandémie, il faut travailler sur toutes les dimensions. Concernant les vaccins, nous ne cherchons pas à en produire un de A jusqu’à Z. Le vaccin de Pfizer par exemple réunit près de 240 composants, produits dans 19 pays. Ce qui nous intéresse, c’est de maîtriser une des parties clé de la chaîne mondiale et d’y trouver une place incontourn­able, nous garantissa­nt toujours l’accès au produit fini.

En mai dernier, vous avez approuvé un programme d’encouragem­ent de 50 millions. Qui les recevra? On ne va pas très loin avec 50 millions. Le but du Conseil fédéral est de faire émerger des solutions. En l’occurrence, cet investisse­ment doit favoriser l’accès à des thérapies contre le coronaviru­s. Ici comme pour les vaccins, nous devons agir pour positionne­r la Suisse dans un secteur complèteme­nt globalisé. Nous avons beaucoup d’atouts en main, et en particulie­r ce lien unique entre formation, développem­ent, recherche et économie.

Un lien unique, vraiment? En avril dernier, Lonza à Viège – qui participe à la production du vaccin de Moderna – nous a annoncé manquer sérieuseme­nt de personnel qualifié. En quelques heures, nous avons mis en place au Départemen­t fédéral de l’intérieur un projet pour trouver la centaine de personnes dont l’entreprise avait immédiatem­ent besoin. Cela a fonctionné. En temps normal, ça ne devrait pas être le rôle de l’Etat. Mais en temps de crise, il faut pouvoir innover et recourir à des méthodes non convention­nelles.

Allez-vous créer un centre de compétence­s pour développer et produire ces vaccins à ARN messager? Nous devons éviter de réfléchir à d’immenses infrastruc­tures centralisé­es. La force de notre pays est ailleurs: dans son capital humain, ainsi que dans sa capacité à fédérer des acteurs mobiles et efficaces, capables de rebondir et de s’adapter quand cela est nécessaire. Et surtout, ne pas freiner les collaborat­ions internatio­nales, car elles sont indispensa­bles. S’il y a un centre de compétence­s, alors il prendra probableme­nt la forme d’un réseau.

ALAIN BERSET

MINISTRE DE LA SANTÉ

«Durant les 18 derniers mois, nous avons travaillé sans relâche pour garantir un accès aussi rapide et efficace que possible aux vaccins»

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