ARN, un pari gagnant
C’était un pari risqué de tabler sur les vaccins à ARN messager. La Suisse l’a tenté et l’histoire lui a donné raison. Un peu plus de la moitié de la population suisse est désormais vaccinée avec les produits de Pfizer/ BioNTech ou de Moderna, efficaces à plus de 90%. «Nous avons dû prendre des risques, mais aujourd’hui la Suisse se retrouve dans une situation enviable», explique Alain Berset. Le dernier chapitre de notre roman du vaccin détaille tous les dessous de ce pari gagnant.
Le ministre de la Santé, Alain Berset, concède qu’il a été le premier à regretter que l’industrie pharmaceutique abandonne la filière des vaccins. Mais cela n’a pas empêché la Suisse de tabler sur la nouvelle technologie des ARN messagers
A peine la pandémie de coronavirus avait-elle éclaté en Suisse en février 2020 qu’Alain Berset et son Office fédéral de la santé publique (OFSP) se sont lancés dans la course aux vaccins. Le conseiller fédéral souhaite désormais que la Suisse développe un centre de compétences sous la forme d’un réseau.
Il n’y a quasiment pas eu de troisième vague du coronavirus en Suisse. Est-ce grâce à l’arrivée des vaccins? Je parlerais plutôt d’une combinaison de plusieurs facteurs, dans laquelle le vaccin – à l’évidence – joue un rôle certain. Mais pas seulement. Nous avons aussi fait preuve de prudence quand cela était nécessaire, tout en pouvant compter sur la très forte adhésion de la population, quoi qu’on en dise. En parallèle, notre campagne de tests a progressé, tout comme la vaccination, ce qui nous a permis de concrétiser la stratégie mise en place dès février. Nous avions imaginé un triangle, dans lequel tous les éléments – tests, vaccins, mesures sanitaires – étaient liés. Il s’agissait d’un véritable changement de paradigme: s’appuyer sur la progression des tests et des vaccins pour permettre la reprise progressive des activités, même en cas d’augmentation des contaminations. Et oui, dans cet équilibre, plus le temps passe, plus le rôle du vaccin est important.
Le fait que les entreprises suisses aient loupé le virage d’un vaccin contre le coronavirus vous inquiète-t-il? Les entreprises pharmaceutiques de notre pays ont abandonné la recherche dans les vaccins traditionnels il y a une quinzaine d’années. Je l’ai toujours regretté. Cela n’a toutefois pas empêché notre pays de se positionner sur le terrain des ARN messagers. La Banque mondiale a classé la Suisse au 13e rang des pays en pointe dans le développement de cette nouvelle technologie. Il est question ici d’un environnement dans lequel on inclut à la fois la recherche et les capacités de production.
L’Etat doit-il s’engager dans la production de vaccins? En 2012, lorsque j’ai pris mes fonctions à la tête du Département fédéral de l’intérieur, je me suis aperçu qu’il manquait un espace favorable à la discussion et à la coopération entre les secteurs privés, publics et la Confédération pour mieux soutenir le développement de l’industrie pharmaceutique. Nous avons alors lancé un plan directeur pour renforcer la recherche et la technologie biomédicales. Cela a créé un terreau favorable à l’émergence de projets. Le rôle de l’Etat n’est pas de se substituer aux acteurs privés, mais de créer des liens entre les différents niveaux. Et je m’investis beaucoup pour l’entretien et le développement de ce réseau.
Quel a été votre rôle et celui du Conseil fédéral dans l’acquisition des vaccins? Durant les 18 derniers mois, nous avons travaillé sans relâche pour garantir un accès aussi rapide et efficace que possible aux vaccins. La question a été évoquée pour la première fois en février 2020. En mars, l’OFSP a commencé à y réfléchir concrètement. En mai, une stratégie d’achat était élaborée. Le but n’a jamais été de produire nous-même un vaccin, mais d’acquérir le plus rapidement possible les meilleurs produits pour notre population. Aujourd’hui, je constate avec satisfaction que cette stratégie a fonctionné.
Concrètement, le Conseil fédéral a-t-il eu un mot à dire dans l’achat des vaccins? Le Conseil fédéral a été au coeur du processus. Mais vous ne pouvez pas attendre d’un gouvernement qu’il choisisse lui-même les vaccins. De par ma fonction, j’ai été en contact constant avec l’OFSP. Nous avons eu le culot de miser très tôt sur les ARN messagers, quand bien des spécialistes de la vaccination étaient encore très réservés sur les capacités de cette technologie à produire un vaccin contre le coronavirus. Certains n’y voyaient qu’une solution transitoire pour les personnes à risque. En signant un premier pré-contrat avec Moderna en juin 2020, nous avons pris un risque important. L’OFSP a aussi pris soin de tabler sur plusieurs technologies, afin de répartir les risques. Peut-être avonsnous aussi eu un peu de chance avec Moderna et Pfizer, qui se sont avérés être de loin les meilleurs vaccins sur le marché.
Comment le Conseil fédéral entend-il assurer une filière du vaccin en Suisse, en sachant que l’industrie ne s’y est plus intéressée?
Le but du Conseil fédéral, sur mandat du parlement, est de mettre en place une stratégie générale. Elle vise également les médicaments et les traitements anti-covid. Pour combattre une pandémie, il faut travailler sur toutes les dimensions. Concernant les vaccins, nous ne cherchons pas à en produire un de A jusqu’à Z. Le vaccin de Pfizer par exemple réunit près de 240 composants, produits dans 19 pays. Ce qui nous intéresse, c’est de maîtriser une des parties clé de la chaîne mondiale et d’y trouver une place incontournable, nous garantissant toujours l’accès au produit fini.
En mai dernier, vous avez approuvé un programme d’encouragement de 50 millions. Qui les recevra? On ne va pas très loin avec 50 millions. Le but du Conseil fédéral est de faire émerger des solutions. En l’occurrence, cet investissement doit favoriser l’accès à des thérapies contre le coronavirus. Ici comme pour les vaccins, nous devons agir pour positionner la Suisse dans un secteur complètement globalisé. Nous avons beaucoup d’atouts en main, et en particulier ce lien unique entre formation, développement, recherche et économie.
Un lien unique, vraiment? En avril dernier, Lonza à Viège – qui participe à la production du vaccin de Moderna – nous a annoncé manquer sérieusement de personnel qualifié. En quelques heures, nous avons mis en place au Département fédéral de l’intérieur un projet pour trouver la centaine de personnes dont l’entreprise avait immédiatement besoin. Cela a fonctionné. En temps normal, ça ne devrait pas être le rôle de l’Etat. Mais en temps de crise, il faut pouvoir innover et recourir à des méthodes non conventionnelles.
Allez-vous créer un centre de compétences pour développer et produire ces vaccins à ARN messager? Nous devons éviter de réfléchir à d’immenses infrastructures centralisées. La force de notre pays est ailleurs: dans son capital humain, ainsi que dans sa capacité à fédérer des acteurs mobiles et efficaces, capables de rebondir et de s’adapter quand cela est nécessaire. Et surtout, ne pas freiner les collaborations internationales, car elles sont indispensables. S’il y a un centre de compétences, alors il prendra probablement la forme d’un réseau.
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ALAIN BERSET
MINISTRE DE LA SANTÉ
«Durant les 18 derniers mois, nous avons travaillé sans relâche pour garantir un accès aussi rapide et efficace que possible aux vaccins»