Aides publiques, un nouveau bras de fer s’engage à l’OMC
Encore un front contre la Chine. Ses entreprises publiques sont dans le collimateur de nombreux membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Les Etats-Unis, l’Union européenne (UE) et leurs alliés les accusent de concurrence déloyale. Dans le cadre de réformes envisagées de l’organisation, ils réclament de nouvelles règles en la matière.
Cette revendication a été entendue par la nouvelle directrice de l’OMC, Ngozi Okonjo-Iwaela. Le sujet s’est même imposé comme l’une de ses priorités. En effet, la prochaine conférence ministérielle de l’organisation, qui aura lieu fin novembre 2021 à Genève, traitera de plusieurs sujets liés aux aides publiques, notamment à l’agriculture et à la pêche. Son succès ou son échec dépendra de la façon dont les Etats s’entendront sur la question.
La paille dans l’oeil du voisin…
La Chine ne refuse pas le débat. Lors d’une table ronde organisée la semaine passée par l’institut européen Bruegel, Justin Lin Yifu, professeur d’économie à l’Université de Pékin et ancien chef économiste de la Banque mondiale, a relevé que le poids des entreprises publiques chinoises dans l’économie nationale diminue au fil des années. Toutefois, selon lui, un pays dont le revenu par habitant est le quart de celui d’un Américain ou d’un Européen aurait toute légitimité pour porter à bout de bras certains secteurs.
De toute évidence, la main invisible d’Adam Smith ne parvient pas à créer l’équilibre entre l’offre et la demande et ne répond pas aux impératifs de maintenir un certain niveau de vie. Politiquement, économiquement et socialement, ce n’est pas absurde qu’un Etat soutienne, par exemple, une industrie naissante ou une agriculture qui se pratique dans des conditions spécifiques. Mais en pointant du doigt la Chine, les Etats-Unis et l’UE voient la paille dans l’oeil du voisin sans réaliser qu’une poutre encombre le leur.
Farm Bill et politique agricole commune
Voyons. Le Farm Bill aux Etats-Unis et la politique agricole commune au sein de l’UE sont les instruments phares pour aider leur agriculture respective de façon massive. Maquillés «en prestations diverses en faveur de l’environnement ou du maintien du paysage», les 428 milliards de dollars pour 2018-2022 aux Etats-Unis et les 371 milliards d’euros pour 2014-2020 pour l’UE d’aides directes et indirectes faussent les règles du marché, accuse le groupe de Cairns, qui réunit 19 pays producteurs et exportateurs agricoles dont le Canada, l’Australie, l’Indonésie, les Philippines ou encore le Brésil et l’Argentine. La Chine elle-même subventionne son agriculture à hauteur de 200 milliards de dollars, selon certaines sources américaines.
La Suisse, qui n’a pas d’ambition offensive exportatrice dans cette branche, injecte 4 milliards de francs dans l’agriculture, soit près de 5% du budget annuel pour soutenir une paysannerie difficile et coûteuse. Ce qui ne la protège pourtant pas de la concurrence de certains produits agricoles européens, le vin par exemple, exporté grâce au soutien public au grand dam de vignerons suisses.
On ne réalise peut-être pas le drame provoqué par les exportations agricoles européennes subventionnées (bas morceaux du poulet, lait en poudre ou condensé, farine, tomates en boîte) en Afrique. Le paysan sénégalais ou congolais n’arrivera jamais à les concurrencer parce qu’elles sont vendues à des prix défiant toute concurrence. De la même façon, les pays du Sahel, grands producteurs de coton, ne pèseront jamais lourd face au coton industriel américain. A ce sujet, les aides américaines illégales ont déjà été condamnées à l’OMC.
Pêche, vingt ans de négociations
S’il y a un sujet qui peut faire capoter la prochaine réunion ministérielle de l’OMC, c’est bien celui des subventions à la pêche. Le sujet est sensible du fait que des aides publiques participent à la surpêche, qui à son tour menace le gagne-pain de millions de familles qui vivent de la mer. Tout le monde, des EtatsUnis à la Chine, en passant par l’UE et le Japon, est en cause. Des négociations pour discipliner ces aides ont débuté en 2001. Vingt ans plus tard, aucun compromis n’est en vue.
Bref. Les subventions ont aidé à sortir des millions de familles de la pauvreté. Et surtout, elles ont garanti la pérennité de plusieurs activités économiques dans le monde. Mais à présent, elles posent un problème politique entre, d’une part, les Etats-Unis, l’UE et leurs alliés et, d’autre part, la Chine.
■