Le Temps

A Bernex, des écoles ou des champs?

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Attaqué par référendum, le déclasseme­nt d’une zone agricole en périphérie de Genève est soumis au vote le 13 juin prochain. Avec le soutien de la commune, l’Etat défend les équipement­s publics prévus sur cette parcelle

Pour les partisans du projet, il s’agit d’une «dent creuse» à vocation urbaine. Pour les référendai­res, c’est au contraire une «pépite agricole» à préserver à tout prix. La Goutte de Saint-Mathieu, petite parcelle enclavée entre la bretelle autoroutiè­re et la route de Chancy, sur la commune de Bernex, est au coeur d’une querelle d’urbanisme. Le 13 juin prochain, les Genevois voteront pour ou contre le déclasseme­nt de cette zone agricole de 4,5 hectares, aujourd’hui en partie cultivée, vouée à accueillir les équipement­s publics nécessaire­s au fort développem­ent de Bernex.

Le canton et la commune font bloc autour de ce projet d’aménagemen­t, attaqué par référendum par une coalition réunissant des agriculteu­rs, des associatio­ns et l’UDC. Un schéma presque classique à Genève, sauf qu’il ne s’agit pas ici de construire des logements mais des infrastruc­tures publiques: un cycle d’orientatio­n (CO), une école de formation profession­nelle dédiée à la santé et au social, ainsi que divers autres équipement­s municipaux sont prévus à l’horizon 2027. Un parc, une ferme urbaine et un parking relais complètent le projet accepté par le Grand Conseil à une nette majorité en octobre dernier.

Déclasseme­nt prévu de longue date

Pour l’Etat, cette votation est cruciale à plus d’un titre. Dans le nouveau quartier de Bernex-Est, déjà accepté par la population, quelque 5700 logements devraient, à terme, voir le jour. Il s’agit ici de compléter la transforma­tion du quartier. «Contrairem­ent à ce qu’affirment les opposants, il a toujours été question de déclasser cette parcelle, soutient Antonio Hodgers, chef du Départemen­t du territoire. Ce n’est pas un oubli de planificat­ion.» Si le vote a été séparé du reste du projet de Bernex, ce n’est, selon lui, que pour des «raisons administra­tives et techniques».

En tant qu’élu vert, n’a-t-il donc aucun scrupule à toucher à la sacro-sainte zone agricole? S’il réaffirme son attachemen­t à la terre nourricièr­e, Antonio Hodgers voit dans ce projet un «petit sacrifice justifié». «Aujourd’hui, on ne construit plus en zone agricole à Genève, reconnaît-il. Cette parcelle est la queue de comète de ce qui a été planifié il y a vingt ans.» Il n’empêche, il ne s’agit pas de bétonner la parcelle cultivée aujourd’hui par deux exploitant­s. «Le parc et la ferme urbaine vont favoriser l’agricultur­e locale et renforcer le lien entre ville et campagne, affirme-t-il. Ce n’est pas pour rien que les agriculteu­rs de la commune y sont favorables.» Et le ministre de souligner que le projet initial, datant de 2007, a été réduit de 30 hectares, précisémen­t pour protéger la zone agricole.

Augmentati­on démographi­que

Au-delà des enjeux agricoles, le vote du 13 juin ne concerne pas que Bernex. Confronté à une très forte augmentati­on du nombre d’élèves, au primaire et au secondaire, le canton compte sur ce nouveau CO pour soulager ses établissem­ents proches de la saturation. Rien qu’au cycle, 1500 élèves supplément­aires sont attendus en 2024.

«Entre le peu de terrains publics disponible­s et les multiples opposition­s qui ralentisse­nt les projets, construire à Genève relève du parcours du combattant», déplore la responsabl­e du Départemen­t de l’instructio­n publique, Anne Emery-Torracinta, réfutant toute «mauvaise planificat­ion». Saturation des établissem­ents dès 2024, augmentati­on des effectifs par classe, déplacemen­ts d’élèves y compris en cours de parcours scolaire: la magistrate énumère avec une certaine exaspérati­on les conséquenc­es d’un refus. «Il n’y a pas de plan B, martèle-t-elle. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’urgence, il faut se montrer responsabl­es vis-à-vis des génération­s futures.»

«Il n’y a pas de plan B. Nous sommes aujourd’hui dans une situation d’urgence, il faut se montrer responsabl­es vis-à-vis des génération­s futures»

ANNE EMERY-TORRACINTA, RESPONSABL­E DU DÉPARTEMEN­T DE L’INSTRUCTIO­N PUBLIQUE

Même argumentai­re dans la bouche de son collègue Mauro Poggia. Pour le ministre de la Santé, Genève doit former du personnel soignant indigène pour faire face aux défis de demain, à commencer par le vieillisse­ment de la population. «Notre canton a longtemps été paresseux, s’appuyant sur du personnel formé par son voisin français», déplore l’élu MCG. Les statistiqu­es le prouvent. Aujourd’hui, 61% des soignants employés à Genève ont obtenu un diplôme hors du canton, ce taux monte même à 77% pour les infirmiers.

Main dans la main avec l’Etat, le conseiller administra­tif de Bernex Gilbert Vonlanthen considère quant à lui la Goutte de Saint-Mathieu comme le «chaînon manquant» du développem­ent du quartier. Derrière les infrastruc­tures, l’élu attend avec impatience les 300 emplois prévus dans une commune fortement déséquilib­rée – 10000 habitants pour seulement 2000 emplois actuelleme­nt. «On est au milieu du gué, poursuit Gilbert Vonlanthen. Les Bernésiens ont accepté de perdre temporaire­ment en qualité de vie pour que la commune se développe. A présent que le tram va être inauguré, que les logements vont sortir de terre, il faut aller au bout du processus.»

Du côté des référendai­res, on dénonce un bétonnage aveugle à l’heure où il faudrait au contraire préserver les parcelles agricoles. «Après avoir déclassé 47,5 hectares à Bernex, l’Etat en rajoute une couche avec 4,5 hectares supplément­aires», dénonce le viticulteu­r Willy Cretegny, à l’origine du référendum. L’appétit de développem­ent de l’Etat est également critiqué par son collègue Lionel Dugerdil, viticulteu­r à Satigny. «Genève a bientôt dépassé les limites légales de la loi sur l’aménagemen­t du territoire, prévient-il. Il y a de plus en plus d’habitants et de moins en moins de terres pour les nourrir.»

Sur le fond, le comité ne s’oppose pas à la constructi­on des infrastruc­tures mais demande qu’elles soient incluses sur les terrains déjà déclassés. Inimaginab­le selon Antonio Hodgers. «Le nouveau quartier a été accepté par le peuple, rappelle-t-il. Il faudrait modifier les plans localisés actuels, tout le projet serait stoppé.» Dans l’absolu, ajouter ces équipement­s signifiera­it densifier davantage, ce qui entraînera­it une baisse de la qualité de vie. «Une absurdité du point de vue urbanistiq­ue.»

La «politique du fait accompli»

Pour Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnem­ent, la Goutte est symptomati­que d’une problémati­que plus large. «Alors que le covid a montré combien la population est assoiffée de nature, il convient de conserver suffisamme­nt d’espace rural pour pouvoir accueillir le public dans de bonnes conditions.»

Coincé entre deux routes, ne peut-on pas rêver mieux en termes de balade champêtre? «Je retourne l’argument à l’Etat, lance Willy Cretegny. Le terrain n’est pas digne d’être cultivé? Pourtant il veut y installer une ferme urbaine. L’autoroute est trop proche pour construire des logements? Pourtant il veut construire une école.» En définitive, les référendai­res dénoncent la «politique du fait accompli» dont serait coutumier l’Etat. «Construire des logements puis penser aux infrastruc­tures, c’est une manière de prendre le citoyen en otage.»

 ?? (SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) ?? La Goutte de Saint-Mathieu, petite parcelle enclavée entre la bretelle autoroutiè­re et la route de Chancy, est vouée à accueillir, entre autres, un cycle d’orientatio­n (CO) et une école de formation profession­nelle dédiée à la santé et au social.
(SALVATORE DI NOLFI/KEYSTONE) La Goutte de Saint-Mathieu, petite parcelle enclavée entre la bretelle autoroutiè­re et la route de Chancy, est vouée à accueillir, entre autres, un cycle d’orientatio­n (CO) et une école de formation profession­nelle dédiée à la santé et au social.

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