Le Temps

70 ans de paix et de prospérité en Europe occidental­e

- FRANÇOIS BUGNION DOCTEUR ÈS SCIENCES POLITIQUES

Quand on voit la panade dans laquelle s’est mis le Royaume-Uni, on ne peut manquer d’être consterné par la relative indifféren­ce avec laquelle le Conseil fédéral, une partie de la classe politique suisse, ainsi que les syndicats, semblent accueillir la perspectiv­e d’un naufrage du projet d’accord-cadre et l’échec des négociatio­ns avec l’Union européenne. Le président de la Confédérat­ion s’est rendu en personne à Bruxelles. Il en est rentré bredouille et n’a même pas pu annoncer une date pour la reprise du dialogue.

Et pourtant, les leçons du Brexit sont sans appel: chute de 41% des exportatio­ns britanniqu­es vers le continent européen en janvier 2021 par rapport à janvier 2020; délocalisa­tion de nombreuses activités bancaires vers d’autres places financière­s, alors que les services financiers sont la locomotive de l’économie britanniqu­e; prochaines fermetures d’usines. Même James Dyson, l’un des rares industriel­s qui aient fait campagne en faveur du Brexit, s’est empressé de transférer le siège de son entreprise à Singapour dans les semaines qui ont suivi le vote du 23 juin 2016. A terme, cela signifie une stagnation de l’économie, une baisse des revenus et une hausse dramatique du chômage. Est-ce le chemin que nous voulons suivre?

Que la Suisse défende ses intérêts à Bruxelles est parfaiteme­nt légitime. Ce qui, en revanche, ne l’est pas, c’est l’incapacité du Conseil fédéral à parler d’une seule voix et à fixer un cap dans ce dossier vital pour l’avenir de notre pays. C’est l’incapacité de la classe politique à surmonter des intérêts sectoriels pour parvenir à une vision politique à long terme.

On a souvent dit que l’Union européenne n’a pas de projet politique. C’est faux, car l’Union européenne est un projet politique dont le pilier principal est la paix en Europe occidental­e. Or, il n’y a pas de plus haut projet politique que la paix. Dans les déchiremen­ts de la Seconde Guerre mondiale, des visionnair­es, comme Jean Monnet et Robert Schuman, tout en luttant sans compromiss­ion contre le nazisme, ont cherché les moyens de faire en sorte que la fin de la Seconde Guerre mondiale ne prépare pas la Troisième, comme la fin de la Première Guerre mondiale avait semé les graines de la Seconde.

Leur réponse: unir les minerais de fer français aux charbonnag­es allemands pour produire de l’acier européen, puisque le charbon et l’acier représenta­ient alors les deux piliers de l’économie; créer des interdépen­dances qui rendent impossible une nouvelle guerre franco-allemande. Les pays du Benelux, qui sortaient de cinq années d’occupation, ainsi que l’Italie, qui avait besoin d’acier pour son industrie mais n’avait pas de minerais, se sont joints à cette entente et ont en quelque sorte «encadré» le couple franco-allemand.

C’est l’origine de la «Communauté européenne du charbon et de l’acier», fondée sur le Traité de Paris du 18 avril 1951, qui est le point de départ du Marché commun puis de l’Union européenne, et c’est ce processus de constructi­on européenne qui a permis de tourner la page de 1500 ans de guerres en Europe occidental­e. Jamais, depuis la chute de l’Empire romain d’Occident au Ve siècle de notre ère, l’Europe n’avait connu ne serait-ce que 50 années de paix. Jamais. Aucune génération, avant 1945, n’a été épargnée par la guerre. Durant plusieurs siècles, les années de guerre ont été plus nombreuses que les années de paix, entraînant dans leur sillage massacres, viols, pillages, famines et épidémies.

Lorsqu’on jette un coup d’oeil aux relations franco-allemandes, de l’invasion des Huns au Ve siècle à l’occupation de la France sous Hitler, en passant par les guerres de 1870 et 1914, c’est un miracle de voir que la France et l’Allemagne sont associées dans la même union économique, utilisent la même monnaie, ont développé des interdépen­dances économique­s, sociales et culturelle­s qui rendent inimaginab­le une nouvelle guerre entre ces deux pays, alors que la guerre a dominé leurs relations durant 1500 ans. Au vu de ce que la Pologne a subi au fil des siècles et, en particulie­r, lors de la Seconde Guerre mondiale, il n’est pas moins miraculeux de voir l’Allemagne et la Pologne unies dans le cadre de l’Union européenne.

De cela, nous bénéficion­s aussi. Depuis 70 ans, la Suisse a profité de la stabilité et de la prospérité que la constructi­on européenne a assurées à l’Europe occidental­e. Disons-le tout net: l’Union européenne fait plus pour la sécurité de la Suisse que notre armée, et cela ne nous coûte pas un centime.

La Suisse n’est pas une île. Par la géographie et par l’histoire, elle est au coeur de l’Europe occidental­e. Elle a, depuis 70 ans, profité de la stabilité, de la prospérité et de la sécurité dont l’Europe occidental­e a bénéficié grâce à la constructi­on européenne. Au lieu de voir l’Union européenne comme une menace, comme un adversaire auquel on doit tenir tête, il est temps de la percevoir pour ce qu’elle est: notre unique voisin – sous réserve du Liechtenst­ein –, notre partenaire et notre allié dans la recherche de la paix et de la prospérité. ■

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