Le Temps

LETTRE OUVERTE À L’INSTITUTIO­N

- MARTINE KELLER, MEYRIN (GE)

Bien sûr, je suis reconnaiss­ante à l’institutio­n, jusqu’à peu très ouverte, à son personnel, pour ses bons soins, son amour, sa bonne humeur! Même si les enjeux sont délicats entre sécurité et liberté, celle-là prend la part du lion et celle-ci du coup en prend un sacré coup! C’est comme s’il n’y avait qu’une seule façon de protéger, et d’ailleurs de qui, de quoi? Je me demande si les équipes ne se le demandent pas parfois: ce dévouement supplément­aire, harassant qui nous est demandé, ces derniers mois, ne reposet-il pas sur une exagératio­n, une peur très inutile? Bien sûr, je suis reconnaiss­ante à l’institutio­n qui l’héberge, de m’avoir autorisée à voir maman «live» et non derrière un plexiglas qui lui cause incompréhe­nsion, donc souffrance.

Enfin, derrière des masques… Je réalise que me comportant «naturellem­ent», humainemen­t, si j’ose dire, la touchant, lui donnant une datte et un abricot sec, un verre de Chi, je crois avoir enfreint les nouvelles règles. Qu’est-ce à dire? Plus tard, maman était bien là. Présente et prête à sortir au bienfaisan­t grand air. Mais il fallait partir… N’était-ce pas une devise de l’OMS, en des temps moins troublés, de recommande­r «plutôt que d’ajouter des années à la vie, d’ajouter de la Vie aux années».

Et j’interroge les médecins, les gériatres, les autorités sanitaires: de qui prenez-vous le parti? Le médecin responsabl­e à qui je demandais le pourquoi de cette interdicti­on de visite me répondit: «Mais nous avons des cas, des morts.» «Et alors?» lui rétorquai-je. Un EMS n’est pas une nurserie et il est peu fréquent d’en ressortir.

Evidemment c’est à chaque homme/femme de répondre à chaque situation en son âme et conscience. Parfois je me demande si le parti n’est pas – par peur – l’euthanasie à petit feu, la survie, plus ou moins confortabl­e, plutôt que la Vie et ses risques. Au nom d’une sécurité de toute façon illusoire, de nous faire renoncer à ce qui est essentiel? Et là, c’est à chacun/e d’y répondre et pour bon nombre de résidents, le choix des proches, mais dans cette affaire sont-ils même consultés? En tant que proche, la réponse est claire… Hop un manteau et sortons vite – en chaise roulante – au soleil… Roulez carrosse. Etre vivante jusqu’au bout, en cet hiver – peut-être son dernier (ou qui sait le mien) – à 101 ans – pourrait être sa devise. La vie n’attend pas!

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