Le Temps

L’heure de vérité pour Guy Parmelin

CONSEIL FÉDÉRAL Le conseiller fédéral UDC est élu ce mercredi à la présidence de la Confédérat­ion pour 2021. S’il «déçoit en bien» à la tête de l’Economie, il souffre d’un manque d’autorité naturelle qui peut le handicaper durant son année présidenti­elle

- VINCENT BOURQUIN @bourquvi

La Suisse vit l’une des pires crises de son histoire. Elle est fortement critiquée pour sa gestion de la pandémie, qui fait d’elle l’un des plus mauvais élèves d’Europe. Le Conseil fédéral est également secoué. On est très loin de l’union sacrée célébrée au printemps. Le ministre de la Santé, Alain Berset, peine de plus en plus à imposer sa vision sanitaire. Le pays est lui aussi divisé, avec des cantons alémanique­s qui refusent de prendre des mesures adéquates pour lutter contre le covid.

C’est dans ce contexte, extrêmemen­t tendu, que la Suisse change de président. Guy Parmelin succédera dès le 1er janvier à Simonetta Sommaruga. La Bernoise a joué la Mère de la nation. Elle est intervenue dans les moments clés à la fois pour lancer des appels solennels et rassurer. Aujourd’hui, Guy Parmelin est encore loin d’incarner cette figure forte si utile en période mouvementé­e.

Sera-t-il le président dont la Suisse a besoin en pleine crise? Les sceptiques sont largement majoritair­es. L’homme souffre d’un manque de charisme et n’est pas à l’abri de gaffes.

Le spectre de la présidence catastroph­ique de Johann Schneider-Ammann, lui aussi ministre de l’Economie, hante les couloirs du Palais fédéral. Au mois d’avril, Guy Parmelin avait déclaré que l’aide apportée par la Confédérat­ion aux entreprise­s ne devait pas devenir «un oreiller de paresse». Les réactions courroucée­s n’ont pas tardé. Espérons que ce faux pas serve de leçon au nouveau président, qui devra soigner sa communicat­ion.

Autre reproche, le Vaudois est un homme sous influence. Au sein de son départemen­t, il peine à se distancier du très libéral Secrétaria­t d’Etat à l’économie, fortement opposé à toute interventi­on publique. D’où des maladresse­s et des revirement­s dans le soutien aux cas de rigueur. Il doit aussi s’émanciper de son parti. Tâche très compliquée, particuliè­rement sur l’épineux dossier européen, car il est sous surveillan­ce. D’ailleurs, deux anciens secrétaire­s généraux de l’UDC suisse figurent dans sa garde rapprochée.

Guy Parmelin aura à coeur de donner tort à tous ses détracteur­s. Cette année est décisive pour sa carrière politique. Ne le sous-estimons pas totalement. Il y a encore quelques années, personne ne le voyait conseiller fédéral… sauf lui. Pragmatiqu­e et collégial, il peut, avec son bon sens terrien, rassurer les Suisses. Pour cela, il devra absolument éviter tout faux pas et épouser la fonction. Comme aiment à le dire les Vaudois, Guy Parmelin ne peut que décevoir en bien.

Sera-t-il à la hauteur dans cette période de crise? Les sceptiques sont plus que nombreux

Vaudoise, l’expression convient bien à un Vaudois: les responsabl­es économique­s du pays se disent «déçus en bien» par Guy Parmelin, mais avec des bémols parfois importants. L’Assemblée fédérale l’élit ce mercredi à la présidence de la Confédérat­ion pour 2021.

Guy Parmelin a été élu au Conseil fédéral en décembre 2015. Il succédait à Eveline Widmer Schlumpf, la «paria» de l’UDC. Personne n’était dupe. Si le jovial vigneron de Bursins a été choisi par l’Assemblée fédérale, c’est parce que celle-ci ne voulait pas des deux autres candidats présentés par l’UDC, le léguiste tessinois Norman Gobbi et le jusqu’au-boutiste zougois Thomas Aeschi, aujourd’hui chef du groupe parlementa­ire UDC.

L’agricultur­e et le reste

Sans surprise, Guy Parmelin a alors hérité du Départemen­t fédéral de la défense (DDPS). Il eut la responsabi­lité de reprendre l’épineux dossier de l’acquisitio­n d’un nouvel avion de combat et de poursuivre la modernisat­ion de l’armée. Sous la pression de son parti, qui voulait que ses deux conseiller­s fédéraux dirigent des départemen­ts de premier plan, Guy Parmelin a repris celui de l’Economie, de la formation et de la recherche (DEFR) le 1er janvier 2019, après le départ du PLR Johann Schneider-Ammann.

Qu’en a-t-il fait? «Il a mis un peu de temps pour comprendre que le DEFR n’était pas uniquement le ministère de l’agricultur­e», se souvient un acteur de l’économie globale. Aujourd’hui, plus aucun milieu ne reproche à Guy Parmelin de privilégie­r les besoins des producteur­s agricoles. «Il défend aussi bien les accords de libreéchan­ge, indispensa­bles pour les exportateu­rs, que les PME», résume un autre observateu­r.

Il a poursuivi la tradition des voyages mixtes, un art dans lequel Johann Schneider-Ammann excellait. Ces missions économique­s permettent au ministre de l’Economie d’ouvrir les portes des marchés étrangers aux investisse­urs suisses qui l’accompagne­nt. Parce qu’il n’a pas les mêmes connexions avec la grande industrie que son prédécesse­ur, ce volet de son activité était moins naturel pour Guy Parmelin. Mais il s’est attelé à cette tâche: il a emmené des patrons avec lui au Japon et au Vietnam en été 2019 et en Egypte en février 2020. Puis la crise sanitaire a tout stoppé.

«Nous sommes très satisfaits de la manière dont il travaille avec les partenaire­s sociaux et les associatio­ns économique­s», relève le conseiller national et président de l’Union suisse des arts et métiers (USAM), Fabio Regazzi. Le Tessinois regrette toutefois que Guy Parmelin n’ait pas davantage fait pression sur le Conseil fédéral pour que la consultati­on des partenaire­s sociaux, prévue explicitem­ent par la loi Covid19, soit respectée à chaque décision prise par le gouverneme­nt pour combattre la crise sanitaire.

Manque de punch

Le Vaudois est décrit unanimemen­t comme «facile d’accès». On lui reconnaît son «bon sens terrien», son «pragmatism­e», son «esprit d’ouverture», ainsi qu’une «grande aptitude à comprendre les rapports de force». Mais on lui reproche un manque de punch et de capacité à imposer ses vues au sein du collège gouverneme­ntal.

Plusieurs interlocut­eurs regrettent l’influence excessive du Secrétaria­t d’Etat à l’économie (Seco) au sein de son ministère. «Le Seco a pris l’habitude d’être puissant», résume un acteur économique. C’était déjà le cas du temps de Johann Schneider-Ammann, qui, par manque de culture politique, a laissé trop de marge à son administra­tion. Guy Parmelin n’a pas réussi à imposer son autorité politique sur celle-ci.

On lui reconnaît une «grande aptitude à comprendre les rapports de force»

La crise du coronaviru­s fournit quelques indices à ce sujet. Premier exemple: les loyers commerciau­x. La gauche lui reproche d’avoir manqué de leadership dans cette affaire. Deuxième exemple: les cas de rigueur. «Guy Parmelin a bien défendu l’économie et l’industrie ce printemps en allégeant les charges des entreprise­s. Mais les mesures pour les cas de rigueur ne sont pas venues de lui», regrettent plusieurs interlocut­eurs.

C’est en effet Ueli Maurer qui a défendu le dispositif d’aide pour les forains, voyagistes et autres entreprise­s en difficulté. La raison pour laquelle cela s’est passé ainsi porte un nom: Serge Gaillard. C’est le directeur de l’Administra­tion fédérale des finances (AFF) qui a pris les choses en main, et pas le Seco.

«Il est ouvert mais doit davantage imprimer sa patte sur son départemen­t et sur le Seco, qui est trop libéral», résume le conseiller national et président de l’Union syndicale suisse (USS), PierreYves Maillard (PS/VD). Cette absence d’autorité naturelle est relevée par d’autres observateu­rs. Elle peut se révéler problémati­que pour l’année présidenti­elle.

Nation de plus en plus divisée

En 2020, Simonetta Sommaruga aura été très présente, très écoutée et rassurante. Polyglotte, elle s’est régulièrem­ent adressée à la population lors de conférence­s de presse parfois suivies en ligne par des centaines de milliers de personnes. L’exercice sera plus difficile pour Guy Parmelin en 2021. Il n’a ni le charisme ni les facilités linguistiq­ues de la socialiste bernoise. «Il passe mal en Suisse alémanique», témoigne un responsabl­e économique d’outre-Sarine.

Or, l’an prochain, il devra reprendre ce rôle de rassembleu­r d’une nation de plus en plus divisée par la crise et par les remèdes qu’on lui administre. «Il devra en gérer les conséquenc­es économique­s et sociales, la casse sur l’emploi est en cours», avertit Pierre-Yves Maillard.

Il hérite aussi du dossier européen, particuliè­rement embarrassa­nt pour un conseiller fédéral issu de l’UDC. «A chaque fois qu’il a tenté de prendre ses distances avec son parti et de défendre collégiale­ment la voie bilatérale, par exemple dans le cadre de l’initiative de résiliatio­n de la libre circulatio­n des personnes, il s’est fait rabrouer par l’UDC», se souvient un «bilatérali­ste» convaincu.

Les pressions seront multiples. Il y a celles de l’UE, celles de son parti, celles d’Economiesu­isse, qui veut un accord-cadre, et celles de la gauche, qui rejettera tout affaibliss­ement de la protection salariale. 2021 sera l’année de tous les dangers pour le Vaudois. Peut-être aussi celle de sa très attendue émancipati­on. «C’est quand il est à la barre qu’on juge le capitaine», résume un élu qui le connaît bien. La présidence, c’est un peu son Vendée Globe. ■

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