SwissBorg, de la cyberbanque à l’app de trading
En plein boom du bitcoin, la start-up lausannoise avait levé plus de 50 millions de francs à la fin de 2017, avec le projet de créer une banque suisse moderne, basée sur la blockchain. Ce mardi, elle a dévoilé une application d’achat et de vente de cryptomonnaies. Comment expliquer le décalage par rapport à l’ambition initiale?
Fin 2017, SwissBorg avait levé plus de 50 millions de francs avec l’intention de créer la première banque suisse spécialisée dans les cryptomonnaies. Ce mardi, l’entreprise basée à Lausanne a dévoilé une application de trading de cryptomonnaies. Entre ces deux événements, SwissBorg a été l’objet de critiques de la part d’investisseurs mécontents et d’observateurs du milieu des technologies financières. Pourquoi le projet a-t-il changé à ce point? Que reste-t-il des fonds levés? Le lancement d’une banque est-il toujours envisagé?
Fin 2017, alors que le bitcoin était lancé dans sa hausse vertigineuse jusqu’à 20000 dollars, des dirigeants de SwissBorg avaient présenté au Temps leur projet de créer la première «cyberbanque». De lancer «une nouvelle époque pour la banque suisse». Les notions de banque et de «Swiss made» étaient omniprésentes dans leur discours et leur documentation.
Ce mardi, SwissBorg a lancé une application de trading, «connectée aux principales plateformes d’échange de cryptomonnaies, ce qui permet d’obtenir une meilleure liquidité et de meilleurs prix. Les détenteurs de jetons émis lors de notre ICO bénéficient de commissions réduites, conformément à une de nos promesses initiales», résume Cyrus Fazel, directeur général et fondateur de SwissBorg. Un peu moins de 2000 personnes se sont inscrites, l’objectif étant d’atteindre 70000 à 80000 utilisateurs et 100 millions d’actifs d’ici à fin 2020.
SwissBorg compte aujourd’hui 55 collaborateurs, une trentaine à Lausanne, le reste entre Toronto, Londres et l’Estonie. La société détient deux licences estoniennes pour ses activités financières, via une entité locale. En Suisse, une des entités du groupe est un intermédiaire financier surveillé au titre de la lutte contre le blanchiment. L’entreprise utilise des banques européennes pour opérer, précise notre interlocuteur.
Depuis l’ICO, SwissBorg a fait l’objet de beaucoup de rumeurs dans le microcosme fintech romand. Fin février 2019, un article de Bilan relatait les inquiétudes de certains investisseurs. SwissBorg avait répondu sur le site Medium, ce qui n’avait pas empêché Fazel d’être menacé physiquement.
«Le côté marchand de rêves de SwissBorg nuit à l’écosystème local et à l’image de la Suisse à l’international, relève un de leurs critiques, Yves Bennaïm, spécialiste du bitcoin et rédacteur du blog «Filouteries dans le monde des cryptomonnaies» sur le site du Temps. Comme la plupart des ICO, j’ai l’impression qu’ils jouent sur l’attirance des gens pour le bitcoin mais sans respecter les principes de base à l’origine de sa valeur, qui sont la transparence et la décentralisation.»
A l’inverse, Cyril Lapinte, spécialiste des levées de fonds crypto (ICO/ STO), estime que «SwissBorg a délivré un produit, ses dirigeants n’ont pas disparu de la circulation. Lorsqu’on investit dans une start-up, il faut s’attendre à passer un ou deux ans sans recevoir de nouvelles, pendant que l’entreprise travaille sur son produit. Les capital-risqueurs spécialisés le savent bien, les petits investisseurs peut-être moins.»
Interrogé sur l’état des finances de son entreprise, Cyrus Fazel répond qu’il reste environ 13 millions de francs de réserve, après que la société en a dépensé 17 pour les salaires des développeurs en Suisse depuis 2017. Et le reste des fonds levés? «Il s’agissait majoritairement de cryptomonnaies, or leur cours s’est effondré dès 2018. Si nous n’avions pas protégé nos avoirs, le montant levé dans le cadre de l’ICO ne représenterait plus que 16 millions», détaille l’ancien banquier.
Immédiatement après l’ICO, le cours du jeton numérique de SwissBorg (CHSB) s’est écrasé, passant de plus de 8 centimes en février 2017 à 0,7 centime mi-août. Il vaut actuellement près de 2 centimes.
Maintenant que SwissBorg a sorti une application de cryptomonnaies, n’y a-t-il pas tromperie sur la marchandise, lorsqu’on a attiré des investisseurs sur la promesse de créer une banque? Cyrus Fazel répond que la néobanque Revolut ou Alipay, la filiale d’e-commerce d’Alibaba, ont aussi des apps et que «ce qui compte est la technologie, pas la structure juridique de l’entreprise. A ce stade, nous n’avons pas les autorisations pour opérer comme une banque, nous sommes une entreprise fintech.»
Le projet de créer une banque reste-t-il d’actualité, ou était-ce une maladresse dans la communication? «Nous avions initialement indiqué que nous voulions devenir une banque en 2022 et nous avions utilisé ce terme avant de lancer l’ICO, mais durant l’ICO nous avons toujours parlé de «Wealth Management» et c’est ce que la majorité des personnes intéressées a retenu. Nous sommes en train de mettre en oeuvre ce plan. Notre entreprise évoluera vers des activités bancaires lorsque nous aurons les autorisations pour le faire», soutient notre interlocuteur.
La mention du mot banque ou de «cyberbank» a été retirée du site internet et de la documentation de SwissBorg peu avant l’ICO, suite à une lettre de la Finma (l’utilisation du mot «banque» est interdite sans détenir de licence bancaire). L’autorité des marchés n’avait pas lancé de procédure d’enforcement ni prononcé de sanction ou d’amende, précise Cyrus Fazel. ▅
Immédiatement après l’ICO, le cours du jeton numérique de SwissBorg s’est écrasé