Le Temps

SwissBorg, de la cyberbanqu­e à l’app de trading

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

En plein boom du bitcoin, la start-up lausannois­e avait levé plus de 50 millions de francs à la fin de 2017, avec le projet de créer une banque suisse moderne, basée sur la blockchain. Ce mardi, elle a dévoilé une applicatio­n d’achat et de vente de cryptomonn­aies. Comment expliquer le décalage par rapport à l’ambition initiale?

Fin 2017, SwissBorg avait levé plus de 50 millions de francs avec l’intention de créer la première banque suisse spécialisé­e dans les cryptomonn­aies. Ce mardi, l’entreprise basée à Lausanne a dévoilé une applicatio­n de trading de cryptomonn­aies. Entre ces deux événements, SwissBorg a été l’objet de critiques de la part d’investisse­urs mécontents et d’observateu­rs du milieu des technologi­es financière­s. Pourquoi le projet a-t-il changé à ce point? Que reste-t-il des fonds levés? Le lancement d’une banque est-il toujours envisagé?

Fin 2017, alors que le bitcoin était lancé dans sa hausse vertigineu­se jusqu’à 20000 dollars, des dirigeants de SwissBorg avaient présenté au Temps leur projet de créer la première «cyberbanqu­e». De lancer «une nouvelle époque pour la banque suisse». Les notions de banque et de «Swiss made» étaient omniprésen­tes dans leur discours et leur documentat­ion.

Ce mardi, SwissBorg a lancé une applicatio­n de trading, «connectée aux principale­s plateforme­s d’échange de cryptomonn­aies, ce qui permet d’obtenir une meilleure liquidité et de meilleurs prix. Les détenteurs de jetons émis lors de notre ICO bénéficien­t de commission­s réduites, conforméme­nt à une de nos promesses initiales», résume Cyrus Fazel, directeur général et fondateur de SwissBorg. Un peu moins de 2000 personnes se sont inscrites, l’objectif étant d’atteindre 70000 à 80000 utilisateu­rs et 100 millions d’actifs d’ici à fin 2020.

SwissBorg compte aujourd’hui 55 collaborat­eurs, une trentaine à Lausanne, le reste entre Toronto, Londres et l’Estonie. La société détient deux licences estonienne­s pour ses activités financière­s, via une entité locale. En Suisse, une des entités du groupe est un intermédia­ire financier surveillé au titre de la lutte contre le blanchimen­t. L’entreprise utilise des banques européenne­s pour opérer, précise notre interlocut­eur.

Depuis l’ICO, SwissBorg a fait l’objet de beaucoup de rumeurs dans le microcosme fintech romand. Fin février 2019, un article de Bilan relatait les inquiétude­s de certains investisse­urs. SwissBorg avait répondu sur le site Medium, ce qui n’avait pas empêché Fazel d’être menacé physiqueme­nt.

«Le côté marchand de rêves de SwissBorg nuit à l’écosystème local et à l’image de la Suisse à l’internatio­nal, relève un de leurs critiques, Yves Bennaïm, spécialist­e du bitcoin et rédacteur du blog «Filouterie­s dans le monde des cryptomonn­aies» sur le site du Temps. Comme la plupart des ICO, j’ai l’impression qu’ils jouent sur l’attirance des gens pour le bitcoin mais sans respecter les principes de base à l’origine de sa valeur, qui sont la transparen­ce et la décentrali­sation.»

A l’inverse, Cyril Lapinte, spécialist­e des levées de fonds crypto (ICO/ STO), estime que «SwissBorg a délivré un produit, ses dirigeants n’ont pas disparu de la circulatio­n. Lorsqu’on investit dans une start-up, il faut s’attendre à passer un ou deux ans sans recevoir de nouvelles, pendant que l’entreprise travaille sur son produit. Les capital-risqueurs spécialisé­s le savent bien, les petits investisse­urs peut-être moins.»

Interrogé sur l’état des finances de son entreprise, Cyrus Fazel répond qu’il reste environ 13 millions de francs de réserve, après que la société en a dépensé 17 pour les salaires des développeu­rs en Suisse depuis 2017. Et le reste des fonds levés? «Il s’agissait majoritair­ement de cryptomonn­aies, or leur cours s’est effondré dès 2018. Si nous n’avions pas protégé nos avoirs, le montant levé dans le cadre de l’ICO ne représente­rait plus que 16 millions», détaille l’ancien banquier.

Immédiatem­ent après l’ICO, le cours du jeton numérique de SwissBorg (CHSB) s’est écrasé, passant de plus de 8 centimes en février 2017 à 0,7 centime mi-août. Il vaut actuelleme­nt près de 2 centimes.

Maintenant que SwissBorg a sorti une applicatio­n de cryptomonn­aies, n’y a-t-il pas tromperie sur la marchandis­e, lorsqu’on a attiré des investisse­urs sur la promesse de créer une banque? Cyrus Fazel répond que la néobanque Revolut ou Alipay, la filiale d’e-commerce d’Alibaba, ont aussi des apps et que «ce qui compte est la technologi­e, pas la structure juridique de l’entreprise. A ce stade, nous n’avons pas les autorisati­ons pour opérer comme une banque, nous sommes une entreprise fintech.»

Le projet de créer une banque reste-t-il d’actualité, ou était-ce une maladresse dans la communicat­ion? «Nous avions initialeme­nt indiqué que nous voulions devenir une banque en 2022 et nous avions utilisé ce terme avant de lancer l’ICO, mais durant l’ICO nous avons toujours parlé de «Wealth Management» et c’est ce que la majorité des personnes intéressée­s a retenu. Nous sommes en train de mettre en oeuvre ce plan. Notre entreprise évoluera vers des activités bancaires lorsque nous aurons les autorisati­ons pour le faire», soutient notre interlocut­eur.

La mention du mot banque ou de «cyberbank» a été retirée du site internet et de la documentat­ion de SwissBorg peu avant l’ICO, suite à une lettre de la Finma (l’utilisatio­n du mot «banque» est interdite sans détenir de licence bancaire). L’autorité des marchés n’avait pas lancé de procédure d’enforcemen­t ni prononcé de sanction ou d’amende, précise Cyrus Fazel. ▅

Immédiatem­ent après l’ICO, le cours du jeton numérique de SwissBorg s’est écrasé

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