Le Temps

L’heure du «charity-washing»?

TECHNOLOGI­E Directeur de Twitter, Jack Dorsey fera don de 1 milliard de dollars, notamment pour lutter contre le virus. Il renchérit face à Mark Zuckerberg et Jeff Bezos. Avec un agenda caché?

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

«Charity-washing». Ou l’art de se racheter une réputation en offrant l’argent par millions. L’expression, employée par le média Recode à propos des centaines de millions de dollars offerts par les milliardai­res de la tech, interpelle. Dans la nuit de mardi à mercredi, Jack Dorsey, cofondateu­r et directeur de Twitter, a annoncé un don de 1 milliard pour lutter contre le virus. L’occasion de s’interroger sur les motivation­s profondes de ces gestes.

Jack Dorsey n’est pas une exception. Mais son action est la plus impression­nante: le milliard versé à sa fondation Start Small représente 28% de sa fortune. A titre de comparaiso­n, Jeff Bezos, fondateur et directeur d’Amazon, a fait don de 100 millions – moins de 0,1% de sa fortune. L’ordre de grandeur est quasi similaire pour Mark

Zuckerberg, patron de Facebook, avec ses 25 millions. La fondation Bill & Melinda Gates a donné 100 millions pour la recherche pour un vaccin, alors que Michael Dell, fondateur de la société éponyme, s’est aussi engagé pour 100 millions.

Remplaceme­nt de l’Etat

Personne ne critique les dons en euxmêmes. Dans l’urgence actuelle, cet argent permet de financer la recherche, l’achat d’équipement­s ou de nourriture pour des effets immédiats et bien concrets. La première tranche libérée par Jack Dorsey sera destinée au Fonds alimentair­e américain, qui vise à assurer à tous un accès à la nourriture aux Etats-Unis. Ce fonds est déjà alimenté notamment par Apple et Laurene Powell Jobs, veuve de Steve Jobs.

«Et si nous avons besoin de ces ressources maintenant et que nous regrettion­s plus tard qu[e les milliardai­res] aient ce pouvoir?» interroge ainsi Megan Tompkins-Stange, chercheuse en philanthro­pie citée par Recode. «Nous avons besoin des dons des milliardai­res quand un Etat a échoué de manière aussi abjecte. Mais ouvrir ces boulevards pour que la philanthro­pie subvienne aux besoins publics, même à court terme, leur offre davantage d’espace après la crise afin d’en tirer parti via une nouvelle légitimité démocratiq­ue.»

Critiqués pour le traitement de leurs employés, sous le coup d’enquêtes pour leur usage des données des internaute­s, les géants de la tech sont sous pression. D’où la tentation d’effacer cette réputation via du charity-washing. «Cela met en valeur leur héritage, la manière dont ils sont vénérés. Et parfois, il devient plus difficile de les tenir responsabl­es. Ce n’est pas une critique des dons ou d’eux en tant qu’individus. C’est une critique de la dynamique», dit Freada Kapor Klein, elle-même philanthro­pe issue de la tech, à Recode.

Un autre point peut déranger: l’influence de ces milliardai­res sur les politicien­s. Larry Ellison, fondateur d’Oracle et organisate­ur d’une levée de fonds pour Trump, s’est ainsi exprimé en faveur du test, par les Etats-Unis, de la chloroquin­e et de l’hydroxychl­oroquine contre le coronaviru­s. Cette influence d’une personne sans connaissan­ce médicale sur le président peut être problémati­que, estime Megan Tompkins-Stange.

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