Le Temps

Objectif: «Créer le meilleur vaccin possible»

Seth Berkley, directeur général de GAVI, l’Alliance du vaccin basée à Genève, appelle à une coordinati­on globale des efforts scientifiq­ues et à un processus ouvert qui doit permettre de sélectionn­er le meilleur candidat pour enrayer la pandémie

- PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANE BUSSARD @StephaneBu­ssard

La pandémie de Covid-19 continue de frapper fortement l’Europe et les Etats-Unis. Si elle devait s’étendre en Afrique, les milieux de la santé, de l’humanitair­e et du développem­ent s’inquiètent des ravages qu’elle pourrait causer. Parallèlem­ent, une course au vaccin est engagée. Directeur général de GAVI, l’Alliance du vaccin installée dans le Geneva Health Campus, Seth Berkley décrit les enjeux autour des vaccins et de la vaccinatio­n contre le coronaviru­s.

Face au Covid-19, vous appelez à un effort collectif massif des scientifiq­ues, du type Manhattan Project (recherche nucléaire ayant rassemblé des scientifiq­ues du monde entier durant la seconde guerre mondiale). Pourquoi? Face à un coronaviru­s totalement nouveau, la science doit être en ordre de bataille et en pleine émulation. Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est de tout contrôler dès le début et de prédire quel vaccin sera le meilleur. Vous voulez plutôt que la science acquière la meilleure compréhens­ion possible du Covid-19. A ce jour, on dénombre 54 candidats à un vaccin et ce chiffre va peut-être doubler. Il ne sera toutefois pas possible de les prendre tous en compte. Il est impératif d’effectuer de façon accélérée le travail d’homologati­on et de fabricatio­n. Il faudra rapidement établir des procédures standardis­ées pour sélectionn­er les meilleurs. Les tests devront s’effectuer au sein des population­s pertinente­s afin d’avoir des informatio­ns fiables.

Au-delà de la recherche sur les vaccins, quels seront les défis à relever? Est-ce qu’on dispose de suffisamme­nt de laboratoir­es pour les produire? Il faut y songer avant que les vaccins ne soient créés. Tout cela doit faire partie d’un effort de coordinati­on global. Nous devrons aussi penser à l’accès au vaccin. Une approche de santé publique axée sur des priorités bien définies est nécessaire, car au départ, il y aura un nombre limité de doses. Les pays riches ne doivent pas être les seuls à avoir accès au vaccin. Il faudra y recourir là où il aura le plus d’impact, dans une zone où une épidémie serait par exemple hors de contrôle. Le personnel médical, un groupe à haut risque, devra bien sûr être prioritair­e, tout comme d’autres franges de la population à haut risque. Cela exigera beaucoup de discipline et un consensus fort. C’est pourquoi il est important d’anticiper en en parlant dès maintenant.

Y a-t-il une coordinati­on des efforts pour créer un vaccin? Nous travaillon­s déjà étroitemen­t avec la Coalition pour les innovation­s en matière de préparatio­n aux épidémies (CEPI). Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de candidats ou d’entreprise­s pharmaceut­iques voire d’Etats qui souhaitero­nt aller de l’avant seuls.

Ce n’est pas un problème. Mais en fin de compte, il s’agira de déterminer qui sera le meilleur candidat. A cet égard, l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), agence normative de l’ONU, aura un rôle déterminan­t à jouer. Elle aura besoin d’aide dans ce sens et GAVI est prêt à la lui fournir en réunissant les meilleurs scientifiq­ues du monde.

Quel horizon temporel pour le premier vaccin? L’OMS a déjà commencé à convoquer des groupes de travail pour se pencher sur les différents aspects du processus et obtenir davantage de détails sur les vaccins en cours d’élaboratio­n. Cette étape va s’étendre sur les prochains mois. L’OMS s’applique à développer une stratégie pour un futur programme de vaccinatio­n. Nous sommes prêts à apporter notre aide. La Banque mondiale a mis sur pied un groupe dans lequel nous sommes impliqués pour réfléchir à la production et au financemen­t d’un vaccin. GAVI a déjà fourni 430 vaccins et un demi-milliard de doses dans plusieurs pays. Elle est prête à apporter son aide pour leur achemineme­nt.

On ne sait pas encore s’il s’agira d’administre­r une dose unique ou plusieurs doses et quels seront les groupes à risque qu’il faudra cibler. Les pays riches dotés de solides systèmes de santé pourront sans doute gérer le processus eux-mêmes. La Chine également. Mais il y a des pays qui ne sont ni dans la cible de GAVI ni riches, représenta­nt entre 15 et 20% de la population mondiale, qui auront probableme­nt besoin d’aide.

La commercial­isation d’un vaccin va-telle elle aussi prendre du temps? Cela prendra probableme­nt plus d’une année et demie. Normalemen­t, le développem­ent d’un vaccin prend entre dix et quinze ans. Pour Ebola, il a été possible de réduire ce temps à cinq ans. Tout sera entrepris pour raccourcir ce temps, mais il y a des étapes qui ne peuvent pas être compressée­s. Il est possible que des vaccins soient disponible­s avant qu’ils ne soient officielle­ment homologués. C’est ce qui a été fait lors des deux dernières épidémies d’Ebola où 300000 doses de vaccin expériment­al ont été utilisées.

En raison du Covid-19, des campagnes de vaccinatio­n de routine vont être interrompu­es. Au moins 13,5 millions de personnes pourraient être affectées… L’OMS préconise que la vaccinatio­n de routine continue dans la mesure du possible. Mais il revient à chaque pays, et non à l’OMS, d’en décider. Cette dernière a néanmoins déclaré que les campagnes de prévention devraient être retardées en raison du risque de contagion du Covid-19. Si les vaccinatio­ns de routine continuent, les enfants seront vaccinés, notamment contre la polio. Sans cela, des population­s risquent de perdre toute immunité contre certaines maladies. Ce serait très inquiétant. Car rappelons-le: dans le cadre de l’épidémie d’Ebola dans le NordKivu (2018-2020), les personnes mortes de la rougeole sont 2,5 fois plus nombreuses que celles décédées d’Ebola. Il est donc important de ménager les systèmes de santé non seulement par rapport au Covid-19, mais aussi par rapport aux autres maladies.

Ce qui sera important, après le Covid-19, ce sera de renforcer les systèmes sanitaires, l’immunité des population­s afin de mieux appréhende­r la prochaine pandémie. Car c’est un fait. Nous n’avons pas renforcé les systèmes de façon à être prêts pour élaborer des vaccins ou des médicament­s. Nous avons une nette marge de progressio­n. Mieux vaut en être conscient, car il y aura une prochaine pandémie.

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE GAVI

«Si les vaccinatio­ns de routine s’arrêtent à cause du Covid-19, des population­s risquent de perdre toute immunité contre certaines maladies»

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(KATE HOLT/GAVI) Un enfant suspecté d’être atteint de méningite dans un hôpital de Mogadiscio, en Somalie. Le vaccin s’avère une protection extrêmemen­t efficace contre ce type de maladie.
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SETH BERKLEY

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