Jean Daniel, mort d’un grand témoin
Le journaliste et essayiste français, décédé mercredi à 99 ans, était l’un des derniers grands témoins de la France de l’après-guerre et de la décolonisation
Le journalisme est l’art du temps qui passe et Jean Daniel y excellait. Décédé mercredi soir à Paris à l’âge de 99 ans, le fondateur du Nouvel Observateur (devenu L’Obs et désormais propriété du groupe Le Monde, actionnaire du Temps) restera comme l’un des grands témoins de son époque marquée par la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation et les accords d’Evian (mars 1962), les Trente Glorieuses sur le plan économique et l’accession de la gauche au pouvoir avec la victoire de François Mitterrand à la présidence de la République en 1981.
Un témoin qui, engagé très jeune dans les Forces françaises libres à partir de son Algérie natale, mena ensuite un combat éditorial et politique inspiré par deux hommes: le grand écrivain Albert Camus (disparu en janvier 1960) et le leader de la «deuxième gauche», Michel Rocard (décédé en juillet 2016). Au service d’une cause: la social-démocratie aujourd’hui tellement remise en question par la mondialisation, la montée des inégalités et les populismes.
Mélanger les genres
Grande signature de la presse française, dont il dirigea l’hebdomadaire de gauche de référence – un succès commercial noué grâce au soutien constant de son propriétaire, l’industriel Claude Perdriel, aujourd’hui âgé de 93 ans – Jean Daniel sut toujours mélanger les genres, à cheval entre la fréquentation des personnalités internationales (qui le conduisit à interviewer le président John F. Kennedy en 1963, puis à convoyer un message pour le Cubain Fidel Castro, qui lui accorda aussi un entretien exclusif), les longs reportages, le commentaire d’actualité (il tenait chaque semaine son bloc-notes dans L’Obs et publia plusieurs tomes de son journal)… et la littérature.
Homme de l’écrit, aux antipodes de l’information télévisuelle en continu, Jean Daniel symbolisait aussi une intelligentsia parisienne qui, peu à peu à partir des années 1990, s’est retrouvée coupée des réalités face à l’émergence de la finance internationale, à la désindustrialisation de la France et à l’effritement du consensus républicain face à l’islamisme et à la paupérisation de nombreux quartiers. Ce grand témoin le savait: ses éditoriaux dans L’Obs étaient de plus en plus ceux d’un «survivant» d’un temps révolu.
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