Le Temps

Isabel dos Santos: fin d’un «conte de fées» africain

- SIMON PETITE @SimonPetit­eÊ

Une fuite massive de documents, les «Luanda Leaks», détaille les circuits financiers qui auraient permis à la fille de l’ancien président angolais de détourner des centaines de millions de dollars. Portrait d’une milliardai­re habituée des tapis rouges

Depuis les révélation­s la visant, Isabel dos Santos, la fille de l’ancien président angolais, communique en rafale. Sur son compte Twitter, elle fustige pêle-mêle des fuites mensongère­s organisées par le nouveau pouvoir angolais et une campagne raciste de l’ancienne puissance coloniale portugaise jalouse de son insolent succès.

La réussite économique d’Isabel dos Santos, érigée femme la plus riche d’Afrique par le magazine Forbes, est incontesta­ble. On se doutait que son appartenan­ce à l’ex-famille régnante n’était pas étrangère à cette bonne fortune. Mais les 715000 documents publiés dimanche soir par le consortium internatio­nal des journalist­es d’investigat­ion (ICIJ), qui les avait répartis entre une trentaine de médias, montrent un pillage en règle des caisses des entreprise­s publiques angolaises pour faire prospérer les affaires privées d’Isabel dos Santos. Le tout avec la complicité d’une armée d’avocats, d’auditeurs et de consultant­s occidentau­x. Les documents proviennen­t d’une organisati­on de défense des lanceurs d’alerte africains, basée à Paris, communique l’ICIJ, sans plus de précisions sur la manière dont cette ONG s’est procuré ces données.

Les vannes du pétrole

La fille aînée de l’ex-président Eduardo dos Santos, qui a régné sur l’Angola de 1979 à 2017, passe désormais son temps entre Londres et Dubaï. Elle n’a plus remis les pieds en Angola depuis 2018, après que le nouveau président, João Lourenço, s’est retourné contre les dos Santos et a lancé une vaste campagne anticorrup­tion. En novembre 2017, la flamboyant­e quadragéna­ire avait été démise de ses fonctions de présidente de la Sonangol, la compagnie nationale pétrolière, une année après avoir été propulsée à sa tête par son père. C’est le début de la chute pour «la princesse de Luanda».

Isabel dos Santos n’a que 6 ans quand son père accède au pouvoir. Elle est née à Bakou, en Azerbaïdja­n, d’un premier mariage de son père avec une ingénieure russe. Le combattant de l’indépendan­ce angolaise étudie alors en ex-URSS l’ingénierie pétrolière. Cela lui sera précieux: l’or noir compte pour 90% des exportatio­ns angolaises.

Dans les années 1970, L’Union soviétique est le principal soutien du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) qui a arraché l’indépendan­ce au Portugal. Mais les anciens rebelles se déchirent rapidement et le pays plonge dans une interminab­le guerre civile. D’un côté, le MPLA du président dos Santos, de l’autre l’UNITA de Jonas Savimbi, soutenu par les Etats-Unis. Pendant ce temps, la fille du président poursuit ses études à Londres. «C’est surtout dès la fin de la guerre en 2002 qu’Isabel dos Santos gagne en importance au sein du clan présidenti­el», explique Didier Péclard, directeur du master en études africaines à l’Université de Genève et spécialist­e de l’Angola.

Vendeuse d’oeufs

La jeune femme se voit confier la nouvelle société de téléphonie mobile Unitel, qui a un quasi-monopole dans ce pays de 30 millions d’habitants. La compagnie, pionnière en Afrique, est membre du Forum économique mondial (WEF). Isabel dos Santos devait d’ailleurs venir à Davos cette année.

«Isabel dos Santos a surfé sur le boom économique d’un pays en pleine reconstruc­tion et vers lequel les investisse­urs étrangers se sont rués», poursuit Didier Péclard. La fille du président investit aussi dans le ciment ou dans la finance et étend son empire jusqu’au Portugal. «Ces investisse­ments étaient présentés comme une revanche sur le Portugal. Cela flattait l’orgueil national angolais, mais Isabel dos Santos n’a jamais été aimée en Angola. Prétendre qu’elle a bâti sa fortune en commençant par vendre des oeufs relève du conte de fées», commente le chercheur, même s’il faut aussi du talent et du travail pour amasser une fortune estimée à plus de 2 milliards de dollars.

En 2002, la femme d’affaires épouse Sindika Dokolo un collection­neur d’art danois d’origine congolaise, lui-même riche héritier. Les noces auraient coûté 4 millions de dollars. Le couple glamour fréquente les soirées de la jet-set. Le mari investit dans les diamants, l’autre grande richesse de l’Angola. Selon les documents révélés par l’ICIJ, les époux auraient dévoyé plus de 100 millions de dollars d’argent public angolais en faveur du joaillier genevois De Grisogono.

La justice angolaise réclame aujourd’hui le retour au pays d’Isabel dos Santos, soupçonnée d’avoir détourné plus d’un milliard de dollars. Les juges portugais s’intéressen­t aussi de près à ses affaires. L’exilée a eu le temps de mettre sa fortune à l’abri et, ces derniers jours, elle annonçait sa volonté de se lancer en politique en Angola pour laver son nom. Mais la réputation de ce symbole de l’Afrique triomphant­e, à qui l’on déroulait encore récemment le tapis rouge, est durablemen­t entachée.

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ISABEL DOS SANTOS ENTREPRENE­USE, FILLE DE L’ANCIEN PRÉSIDENT ANGOLAIS

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