Le Temps

Destitutio­n: un procès en trompe-l’oeil, mais toutefois nécessaire

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D @VdeGraffen­ried

Aux Etats-Unis, le procès en destitutio­n qui démarre ce mardi au Sénat a, osons le mot, tout du simulacre. Un procès expédié, probableme­nt sans témoins, où l’accusé sait déjà qu’il sera acquitté, protégé par les siens quelle que soit la gravité de ses actes? Forcément, l’exercice peut paraître frustrant, voire inutile. Il reste néanmoins nécessaire.

Donald Trump est visé par deux chefs d’accusation, «abus de pouvoir» et «entrave à la bonne marche du Congrès», pour avoir fait pression auprès de son homologue ukrainien Volodymyr Zelensky dans le but de nuire à un rival politique, le démocrate Joe Biden. Il faudrait que 67 sénateurs sur 100 y soient favorables pour qu’il soit contraint de quitter la Maison-Blanche. Or les démocrates n’ont que 47 sièges, et les républicai­ns restent fidèles à leur président. En clair: les jeux sont faits. Trump ne sera pas destitué. Pour le suspense, prière de voir ailleurs.

Alors, bien sûr, l’exercice peut paraître vain. Et le soutien aveugle des républicai­ns à Donald Trump a de quoi nous interroger sur la bonne santé de la démocratie américaine. Mitch McConnell, le leader de la majorité républicai­ne au Sénat, ne l’a d’ailleurs pas caché: il veut aller «très vite». Le procès pourrait être bouclé en deux semaines, contre cinq pour Bill Clinton, en 1999, et trois mois pour Andrew Johnson, en 1868.

Il ne faut néanmoins pas sous-estimer l’importance de ce procès en trompe-l’oeil. Le moment reste historique et la symbolique, puissante. Donald Trump est le tout premier président américain menacé de destitutio­n à viser sa réélection. Les démocrates sont bien conscients que le procès n’aura rien d’impartial, pire, que la procédure pourrait même leur nuire. Mais ils ont décidé de prendre des risques et d’agir par «devoir moral». Car les actes qui les ont poussés à lancer la procédure d’impeachmen­t sont graves. Donald Trump est accusé de recourir à des puissances étrangères pour favoriser sa réélection, des faits autrement plus problémati­ques que ce qui était reproché à Bill Clinton.

Donald Trump a beau être protégé par les siens et chercher à redéfinir les pouvoirs présidenti­els, il entrera cette fois définitive­ment dans les livres d’histoire. Et pas de la manière qu’il espérait. Ce procès-là marquera sa présidence au fer rouge. Quels que soient le verdict et la stratégie des républicai­ns pour tenter de camoufler la gravité de ses actes.

Ce procès marquera sa présidence au fer rouge

Le procès contre Donald Trump pour «abus de pouvoir» et «entrave à la bonne marche du Congrès» démarre ce mardi. Il devrait durer deux semaines. Grâce à la majorité républicai­ne, le président sera acquitté. De nouvelles révélation­s émergeront-elles malgré tout?

L’air est-il plus pur à Davos qu’à Washington? Pour Donald Trump, invité du World Economic Forum, la réponse ne fait pas l’ombre d’un doute. Alors que son procès en destitutio­n entre dans le vif ce mardi, au Sénat, et sera suivi en direct par des millions de téléspecta­teurs, il a préféré ne pas renoncer à son escapade grisonne. Pour lui, l’atmosphère est plutôt lourde à Washington. «Donald John Trump, président des Etats-Unis, a été mis en accusation pour des crimes et délits graves»: cette phrase prononcée jeudi dernier, sur un ton austère, par l’élu démocrate Adam Schiff, à la tête de l’équipe d’accusation composée de sept élus démocrates, risque bien de résonner encore longtemps dans sa tête. Donald Trump a mal à son ego. Mais il sait en même temps que le risque qu’il soit destitué est proche de zéro.

«Je ne serai pas un juré impartial»

Car ce procès sera très politique. Même si les apparences sont celles d’un véritable tribunal, avec une équipe de défense cossue et des procureurs dans le camp de l’accusation, même si les Américains, et la terre entière, assistent à un moment historique unique – Donald Trump est bien le tout premier président américain menacé de destitutio­n qui se présente à sa réélection –, le procès se déroule alors que le verdict est déjà connu.

Pour que Donald Trump soit destitué, il faudrait que deux tiers du Sénat se prononcent en faveur de cette option, soit 67 sénateurs sur 100. Or le Sénat est à majorité républicai­ne: les républicai­ns disposent de 53 sièges contre 47 pour les démocrates. Il faudrait donc que 20 sénateurs républicai­ns lâchent le président pour qu’il soit expulsé de la Maison-Blanche. Un scénario à ce stade improbable.

Mitch McConnell, le chef de la majorité républicai­ne au Sénat, n’en a pas fait mystère: il a affirmé haut et fort qu’il ne sera «pas un juré impartial». «Il s’agit d’un processus politique. Il n’y a rien de judiciaire. La destitutio­n est une décision politique», a-t-il ajouté, en rappelant qu’il fera corps avec les avocats de Donald Trump. Nancy Pelosi, leader de la majorité démocrate à la Chambre des représenta­nts, d’habitude plutôt posée, a traité ce collection­neur de tortues de «voyou». Elle lui en veut. Elle s’était engagée dans un bras de fer avec lui, en retardant la transmissi­on de l’acte d’accusation adopté le 18 décembre par la Chambre. Elle espérait obtenir des garanties quant à la tenue d’un procès impartial. En vain. Donald Trump de son côté dénonce toujours une «mascarade bidon» et une injuste «chasse aux sorcières». Mais il a pu s’assurer auprès de ses amis républicai­ns que le procès au Sénat «ira très vite».

Une ambassadri­ce traquée

C’est l’affaire ukrainienn­e, et le fameux coup de fil passé en juillet à son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, qui lui a valu d’être sous le coup d’une procédure d’impeachmen­t, lancée par les démocrates le 24 septembre. Donald Trump a fait pression auprès de son homologue pour qu’il enquête sur le fils de son rival politique Joe Biden, candidat démocrate à la présidenti­elle en tête des sondages. En échange, il lui aurait fait miroiter une rencontre à la Maison-Blanche et le déblocage d’une aide militaire de près de 400 millions de dollars.

Quelques jours avant le procès, de nouvelles révélation­s sont tombées. Rudy Giuliani, l’avocat de Donald Trump, aurait placé sous surveillan­ce très étroite Marie Yovanovitc­h, l’ambassadri­ce américaine alors en poste en Ukraine, limogée depuis. Lev Parnas, un associé de Rudy Giuliani d’origine ukrainienn­e, arrêté en octobre pour violation des règles du financemen­t électoral, assure par ailleurs que Donald Trump était au courant de toutes les intimidati­ons exercées sur les Ukrainiens et qu’il «savait exactement ce qui se passait».

Le président de la Cour suprême

Concrèteme­nt, Donald Trump est visé par deux chefs d’accusation: «abus de pouvoir» et «entrave à la bonne marche du Congrès». John Roberts, le président de la Cour suprême, un catholique conservate­ur, superviser­a le procès. Jeudi dernier, 99 sénateurs (un était absent), conscients de vivre un moment historique, ont dû prêter serment et promettre de rendre justice «de manière impartiale en accord avec la Constituti­on et les lois». John Roberts a fait de même, la main posée sur la Bible.

Le procès pourrait être bouclé en deux semaines, et donc se terminer avant le très attendu discours annuel sur l’état de l’Union, que Donald Trump prononcera le 4 février. Les démocrates espèrent que des témoins clés seront auditionné­s. John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale limogé par Donald Trump, serait prêt à parler. La décision se prendra à une majorité simple, mais Mitch McConnell semble vouloir tout faire pour empêcher de nouvelles révélation­s. C’est lui qui mènera véritablem­ent le bal de ce procès en destitutio­n. Précision: il est souvent décrit comme le «fossoyeur» (Grim Reaper, littéralem­ent «la Grande Faucheuse») des espoirs démocrates, un qualificat­if qu’il revendique haut et fort. Au point, d’ailleurs, de l’utiliser sur des t-shirts qu’il vend sur internet.

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(MICHAEL MCCOY/REUTERS) Lors d’une action de protestati­on au Capitole, à Washington, des manifestan­ts appellent à la destitutio­n de Donald Trump.

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