En Algérie, la fin de l’ancienne garde
Bien qu’un nouveau président algérien, Abdelmadjid Tebboune, ait été élu lors d’une élection controversée, le vrai détenteur du pouvoir était Gaïd Salah, chef de l’état-major et vice-ministre de la Défense. Malgré sa mort, l’armée va rester au centre du j
Abdelmadjid Tebboune a beau avoir été élu à la présidence de l’Algérie le 12 décembre lors d’un scrutin largement boycotté. Le vrai détenteur du pouvoir, ce n’était pas lui, c’était Ahmed Gaïd Salah. Chef d’état-major et vice-ministre de la Défense, ce dernier est décédé lundi d’une crise cardiaque à l’âge de 79 ans. L’homme terne, sans grande vision, n’avait rien du grand stratège politique. Il restait un militaire.
Témoignant d’une loyauté sans faille au président Abdelaziz Bouteflika qui l’avait nommé à la tête de l’armée en 2004, il l’a néanmoins sacrifié en avril sous la pression du mouvement populaire de contestation Hirak, alors que le chef d’Etat envisageait un cinquième mandat. Beaucoup verront dans cette concession une tentative habile de sauver le régime face à une rue algérienne de plus en plus vindicative.
Ahmed Gaïd Salah a été récemment décoré par le nouveau président Tebboune de la médaille de l’Ordre du mérite. Une manière de remercier celui qui l’a aidé à accéder à la tête de l’Etat algérien.
Gaïd Salah, né dans la région de Batna, à 300 kilomètres d’Alger, a gravi tous les échelons militaires, ralliant les rangs de l’Armée de libération nationale en 1957 alors qu’elle combattait les forces coloniales françaises. A l’indépendance en 1962, il fait ses armes dans une académie militaire soviétique. Il accédera au poste de commandant des forces terrestres en 1994, en pleine guerre civile, puis à celui de chef d’état-major.
Seul face au Hirak
Durant les années Bouteflika, il s’applique à ne pas contrarier le président, obtenant en contrepartie que l’armée bénéficie des juteux revenus du pétrole. Il saura aussi éliminer les concurrents, notamment le célèbre Département du renseignement et de la sécurité (DRS) qui constituait jusqu’ici l’un des trois pôles du pouvoir en Algérie avec la présidence et l’armée.
Avec la démission de Bouteflika, Gaïd Salah sera le seul face au Hirak. Son rôle: «S’assurer que n’apparaisse aucun séparatisme, aucune scission au sein de l’armée. Celle-ci, explique Luis Martinez, directeur de recherche à Science Po Paris et spécialiste de l’Algérie, doit faire bloc face à tout soubresaut social. Au sein de l’armée, certains officiers sont sans doute proches du Hirak et en faveur d’un Etat de droit et de plus de transparence. Mais à l’interne, on est tous d’accord sur une chose: on ne peut pas prendre le risque de se diviser face à des questions politiques majeures.» Les années 1990 seront éclairantes à ce propos.
Quelles conséquences aura sa disparition pour l’Algérie, plongée depuis février 2019 dans une crise majeure en raison des manifestations menées par le mouvement Hirak né de la volonté du président Bouteflika de convoiter un cinquième mandat? Ahmed Gaïd Salah a refusé plusieurs demandes de la rue, notamment le report de l’élection présidentielle.
Incarnant le vieux régime, étant l’un des derniers représentants de la guerre d’indépendance, il était l’homme à abattre. Luis Martinez le relève: «Depuis mai 2019, le mouvement Hirak a rejeté Gaïd Salah, qui est devenu un bouc émissaire. Sa disparition va, si j’ose dire, satisfaire certains intérêts politiques. Elle offre aussi au nouveau président de nouvelles marges de manoeuvre. Son successeur pourrait être plus compatible avec la présidence ainsi qu’avec le mouvement Hirak.»
A l’avenir, Abdelmadjid Tebboune pourrait ne pas se contenter d’une réponse purement stratégique et sécuritaire, ajoute le chercheur, mais davantage politique. «Cependant, le décès de Gaïd Salah ne changera rien dans la position qu’occupe l’armée dans l’Etat algérien», analyse Luis Martinez.
Modèle marocain et non tunisien
La distance entre le Hirak et le pouvoir est-elle trop grande pour que la moindre tentative de désamorcer la crise ait une chance? «Pour Tebboune, il sera difficile d’aller trop loin en direction du Hirak, car le mouvement de contestation milite pour un changement radical de régime, poursuit Luis Martinez. Son positionnement actuel empêche toute base de négociation. Le rôle du président sera de montrer à la rue algérienne que tout changement radical est voué à l’échec et que seuls des compromis permettront d’aller de l’avant.»
Le chercheur met d’ailleurs en garde contre trop d’optimisme: «Ceux qui croient en un avenir démocratique à la tunisienne se font beaucoup d’illusions. L’Algérie d’aujourd’hui, c’est davantage le modèle marocain. Au Maroc, il existe une vie politique relativement ouverte, mais dans le cadre d’une monarchie. En Algérie, l’équivalent monarchique, c’est l’armée.»
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