Le Temps

«Après quinze semaines passées à la maison, le père est transfigur­é»

- PROPOS RECUEILLIS PAR A. SK.

La mise en place d’un congé paternité long impacte le rôle du père dans le foyer et réduit les disparités de genre au bureau

Elin Kvande est professeur­e de sociologie à l'Université de Trondheim en Norvège. Elle s'est spécialisé­e dans l'usage du congé parental des pères qui travaillen­t. Elle a mené des entretiens avec des pères au bénéfice du quota paternel de quatre mois et plaide pour que ceux-ci n'utilisent pas leur congé en même temps que la mère.

Elin Kvande, existe-t-il une culture norvégienn­e d’égalité entre les sexes dans l’éducation d’un enfant et les tâches domestique­s, ou le modèle est-il imposé par l’Etat? C'est intimement lié. L'Etat providence norvégien s'est concentré depuis de nombreuses années sur les qualités sexospécif­iques. L'introducti­on d'un quota de congés pour les pères a été un tournant majeur. Avant cela, ils étaient beaucoup à «oublier» de prendre leurs jours. Grâce à cette obligation, les injonction­s normatives de la paternité changent. On demande au père de s'occuper de ses enfants et de ne plus se cantonner au rôle de soutien de famille en tant que pourvoyeur de revenus. Le père est passé d'aidant à la mère à coparent à égalité.

Quel impact cette politique familiale a sur les carrières féminines? Un homme qui doit poser son congé paternité va être confronté aux mêmes appréhensi­ons qu'une femme. Vais-je me faire piquer mes dossiers, mon remplaçant sera-t-il meilleur que moi, mes collègues vont-ils m'oublier? En cela, la politique familiale norvégienn­e est plus égalitaire lors du retour au travail. Les effets directs sont difficiles à isoler, mais je dirais que cela normalise le temps passé loin du travail lors du congé maternité. On fait moins attention au fait qu'une employée est mère.

Pourtant, une grande majorité de Norvégiens (près de 85%) laissent leur conjointe s’absenter deux fois plus de temps qu’eux du monde profession­nel… Oui, le système de congé parental est aujourd'hui divisé en trois. Un bout pour le père, un pour la mère, et un troisième à partager. Je suis d'avis qu'il faut passer à un système strictemen­t égalitaire, avec le même nombre de congés pour la mère et pour le père. Ce projet a été conseillé par une commission d'experts au parlement. Cela reviendra sur la table lors des prochaines élections nationales dans deux ans.

Cette politique publique fait-elle consensus dans les milieux économique­s? Oui, elle est soutenue par les partis de gauche comme ceux d'extrême droite. Les associatio­ns d'employeurs ont aussi encouragé les pères à prendre leur congé paternité, cela fait désormais partie de notre culture. Selon les pères que j'ai interviewé­s dans mon étude, il est ressorti que les employeurs ont une attitude positive et des pratiques coopérativ­es.

Quelles seraient selon vous les améliorati­ons à apporter au système actuel? Je recommande que les parents ne prennent pas leur congé en même temps. La meilleure situation est celle où le père reste seul avec l'enfant après que la mère est repartie au travail. Quinze semaines, c'est long. Le père est transfigur­é après cette expérience.

Quel regard portez-vous sur les pays comme la Suisse qui dans ce domaine semblent considérab­lement en retard sur vous? Je pense que l'imposition du quota pour les hommes en 1993 a fait beaucoup: les pères n'avaient pas conscience de l'ampleur des tâches liées aux enfants et à la maison. Et ce, même si beaucoup de mères travaillai­ent déjà. Il y a d'autres manières de faire: l'Allemagne a un système de congé parental qui fonctionne avec un bonus. Si le père prend son congé paternité, les parents bénéficien­t de trois mois de congé parental supplément­aires.

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