Soulèvement libanais: la méfiance des réfugiés syriens
Absents des manifestations, ils se retrouvent confrontés à un choix ardu devant la possibilité que la contestation se transforme en guerre
Pour marquer le premier mois du soulèvement, les manifestants de la ville de Taalabaya, dans la Bekaa, ont redoublé d’efforts. Le drapeau libanais est déroulé sur la façade de la mosquée, une estrade placée devant, et une sonorisation digne d’un festival de musique crache une alternance de techno et de chants révolutionnaires, au son desquels des centaines de contestataires s’agitent. A quelques mètres de là, Walid met un point d’honneur à rester en retrait. Ce Syrien venu de la banlieue d’Alep fait partie du million de réfugiés que compte le Liban, et observe les évènements qui s’y déroulent depuis le 17 octobre avec une certaine défiance.
Tandis que le premier ministre libanais sortant Saad Hariri a démissionné le 29 octobre, les discussions parlementaires préliminaires à la nomination d’un successeur n’ont toujours pas été entamées. Le 16 novembre, un accord a été conclu pour désigner l’homme d’affaires Mohammad Safadi en tant que nouveau chef du gouvernement mais, face à la pression de la rue, cet ancien ministre des Finances a renoncé. Depuis, la contestation s’est renforcée et les manifestants ont réussi lundi à repousser une session parlementaire durant laquelle devait avoir lieu l’examen d’une loi d’amnistie générale très controversée. Cette dernière engloberait notamment les personnes condamnées ou soupçonnées d’implication dans des affaires d’évasion fiscale ainsi que de crimes environnementaux, selon les militants.
Réfugiés critiqués par les politiciens
Absents des protestations, les réfugiés syriens concentrent depuis des mois les critiques de nombreux politiciens. Ils font également l’objet de signatures de décrets pour les pousser au retour. «Je suis allé voir les manifestations mais je ne m’approche pas car c’est petit, Taalabaya, les gens se connaissent et parlent beaucoup, explique Walid, 34 ans. Il y a des désaccords même entre les Libanais, certains sont pour la révolution et d’autres non, donc ça pourrait créer des problèmes s’il y a en plus des Syriens», poursuit cet agriculteur, avant d’avouer avoir peur. «Quand j’ai vu la révolution commencer ici, j’avais le sourire, comme 70% des Syriens en 2011. Je me suis dit que c’était la même chose que chez nous et qu’en plus le Liban est plus démocratique et avec plus de libertés», étaye Walid. Ce père de quatre enfants a déchanté après avoir noté des ressemblances entre les deux mouvements: «Il y a des gens qui commencent à dire que des étrangers financent une révolution, d’autres que les manifestants viennent armés. Les partis veulent instrumentaliser le mouvement.»
De son côté, Salem, venu de Daraya, près de Damas, s’est rendu aux manifestations à Beyrouth à deux reprises. «On regarde beaucoup les informations sur les réseaux sociaux avec ma famille et mes amis. Ça me rappelle lorsqu’on se réunissait en Syrie tous les jours pour partager les nouvelles.» Pour ce cultivateur de roses, «ce qu’il y a de différent par rapport à la Syrie c’est qu’ici, il y a des familles, des profs, et l’armée réunis au même endroit».
Quelles options en cas de guerre?
Pour la plupart des réfugiés syriens dans le pays, l’existence du soulèvement libanais pose la question de son évolution. «La plupart de ceux avec qui on regarde les nouvelles ont peur que ça dégénère, mais moi, je suis persuadé que ce ne sera pas le cas», estime Salem. Dans son café du centre de Saadnayel, ville voisine de Taalabaya, Jomah, 19 ans, explique être ravi de cette contestation mais ne s’y rend pas, de peur que les services de renseignement ne l’inquiètent, étant illégal au Liban. Pour lui, une guerre est inévitable car «les gens ont faim et n’ont plus d’argent!» Si cela arrive, poursuit ce natif de Deir ez-Zor, il rentrera en Syrie, même si c’est synonyme de service militaire.
En cas de guerre, Walid envisage, quant à lui, trois options, dont il parle beaucoup avec ses proches: «Rentrer en Syrie et se terrer, rester au Liban et faire la révolution ou aller en Europe, ce qui est compliqué.»
Face à la mosquée de Taalabya, une dizaine de jeunes Libanais font le pied de grue tous les jours depuis le début du soulèvement, dans l’attente de mettre en place un barrage et de bloquer la rue principale. Pour Salem, même si une guerre éclate au Liban, il restera, car, assure-t-il, «on doit tous mourir quelque part».
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