Même en crise, le multilatéralisme se transforme
Au moment où l’Assemblée générale de l’ONU entame son grand débat annuel, comment se porte le multilatéralisme? Pour Antonio Guterres, secrétaire général de l’organisation, il n’a jamais été aussi nécessaire, mais il est en crise: «Nous sommes en train de perdre la course contre le réchauffement climatique.» Dans la mise en oeuvre des Objectifs du développement durable, le monde est «hors piste». Les tensions montent de partout. L’inégalité s’accroît, la haine et l’intolérance augmentent, le monde est témoin de guerres ouvertes et de guerres commerciales, la course aux armements s’accélère… Le temps de l’action est venu, mais peut-on croire que les dirigeants qui se presseront à New York vont soudain réussir à calmer les craintes des opinions publiques? Le salut viendra-t-il du multilatéralisme?
Il est clair qu’il n’existe pas d’alternative à la coopération internationale pour résoudre les problèmes globaux tels que le changement climatique, les pandémies, le surarmement, la migration, la crise financière mondiale… Mais, selon Francis Gurry, directeur général de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, lors d’un colloque à l’Université de Genève le 16 septembre dernier, le système international créé en 1945 est inadapté aux réalités et aux besoins de la société internationale d’aujourd’hui. Et la volonté politique de le réformer en profondeur fait défaut. Pour autant, le multilatéralisme n’est pas figé. Il est soumis à une double transformation. Il est contraint de s’ouvrir au secteur privé et aux organisations non gouvernementales. Le partenariat public-privé est sans doute une formule d’avenir, comme le relève Laurence Boisson de Chazournes, professeure de droit à l’Université de Genève. A cet égard, Genève joue un rôle d’incubateur, par exemple avec le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme ou au sein de l’Alliance du vaccin. Ces deux organismes présentent des résultats significatifs. Dans la mutation du multilatéralisme, Genève tire son épingle du jeu. Des organisations comme l’OIT, l’OMS ou même l’OMC ont adopté cette année des recommandations ou des déclarations à caractère normatif à l’unanimité. Autre caractéristique, la mobilisation des jeunes et l’intérêt croissant porté au thème de l’environnement incitent à l’optimisme. Directeur de Microsoft, Jean-Yves Art fait remarquer le rôle opérationnel reconnu des entreprises privées dans la gouvernance mondiale: elles possèdent les infrastructures cruciales de la digitalisation. Cependant, le maintien de la paix et de la sécurité internationale dépend exclusivement des Etats. C’est là qu’intervient l’autre facteur de transformation de la mondialisation, soit la montée de l’influence de la Chine. Elle la fait valoir en recourant à deux instruments, la politique du personnel et le financement. La Chine place dans les postes à responsabilité des cadres de grande qualité professionnelle. Quatre des quinze principaux directeurs généraux d’institutions du Système des Nations unies sont chinois. La Chine verse d’importantes contributions volontaires. Elle a fait endosser par l’ONU le concept des nouvelles Routes de la soie. Comme le relève Kristine Lee dans un récent article de Foreign Affairs, elle s’en prend subtilement au principe d’universalité des droits de l’homme, au nom de la souveraineté, en lui substituant des formules d’apparence anodine mais qui dégradent le consensus existant dans la Charte des Nations unies: elle prône des «coopérations win-win», une «communauté de destin» ou la «démocratisation des relations internationales», qui relativisent l’unité d’action des Etats. C’est en fait chacun pour soi… Ainsi, 22 Etats dont la Suisse ont déploré au Conseil des droits de l’homme l’attitude de Pékin à propos des Ouïgours du Xinjiang, mais quelques jours plus tard, 37 pays félicitaient la Chine pour le progrès qu’elle apportait à cette même région…
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