Le Temps

Le Labour se déchire sur le Brexit

Au congrès annuel du Labour, Jeremy Corbyn a imposé sa ligne politique ambiguë sur le Brexit, dans la plus intense confusion

- ÉRIC ALBERT, BRIGHTON @IciLondres

Le Brexit vient d’atteindre un nouveau niveau de surréalism­e. Après un weekend particuliè­rement mouvementé, pendant lequel le Parti travaillis­te s’est déchiré sur la politique à suivre sur ce dossier brûlant, l’heure était finalement au vote des militants lundi soir.

Toute la journée, au congrès annuel du Labour, deux camps s’étaient violemment affrontés en public, contre toutes les habitudes de ce genre d’exercice ronronnant. D’un côté se trouvaient la majorité des députés et une large partie des militants, qui veulent faire campagne ouvertemen­t pour rester dans l’Union européenne; de l’autre figuraient ceux qui préfèrent conserver l’ambiguïté actuelle, ne disant pas s’ils sont pour un Brexit «doux» ou pour rester dans l’UE. Jeremy Corbyn, le leader travaillis­te, soutient cette deuxième voie.

Moitié-moitié

Après des heures de discours, Wendy Nichols, la présidente des débats, a finalement appelé au vote à main levée. La motion pour rester dans l’UE était au vote. Des mois de tension, de colère, de mauvais coups étaient sur le point d’être résolus. «Qui est pour?» Près de la moitié de la salle lève le bras. «Qui est contre?» Une autre moitié, peut-être très légèrement supérieure, se manifeste.

Hésitation­s de la présidente… «Attendez, ma voisine [du comité exécutif] pense le contraire de moi… Non… Je crois que la motion est rejetée.»

Si c’est le cas, il s’agirait d’une grande victoire de Jeremy Corbyn. Il aurait ainsi réussi à imposer sa ligne complexe, ménageant la chèvre et le chou. Mais une partie des militants est furieuse. Une participan­te monte au podium: «C’est la décision la plus importante qu’on prendra de toute une décennie. Nous avons le droit à un vote par carte [où chaque voix serait comptée individuel­lement, plutôt qu’à main levée].»

La présidente hésite, les joues pourpres. Elle s’embrouille. Elle tranche finalement: elle ne changera pas, la motion a été «approuvée»… euh non, «rejetée», se reprend-elle, se perdant dans ses explicatio­ns. C’est la conclusion des débats. Sur ce vote à la majorité particuliè­rement floue, la politique officielle du Parti travaillis­te a été tranchée. Jeremy Corbyn a gagné.

Quelle est exactement sa politique? S’il arrive au pouvoir, il propose de négocier avec l’UE un nouvel accord de sortie, puis de le soumettre par référendum aux Britanniqu­es. Mais ferait-il campagne pour défendre son accord ou pour rester

«Attendez, ma voisine [du comité exécutif ] pense le contraire de moi…»

WENDY NICHOLS, PRÉSIDENTE DES DÉBATS

dans l’UE? «Cela dépend de l’accord», répond-il. Théoriquem­ent, il suggère donc qu’il pourrait demander aux Britanniqu­es de voter contre l’accord qu’il aurait lui-même négocié. Comprenne qui pourra.

Le Parti travaillis­te britanniqu­e devrait traverser une période dorée. Avec près d’un demi-million de membres, il est de loin le premier mouvement politique du Royaume-Uni en nombre de militants. En face, les conservate­urs sont dans une dérive droitière, emmenés par Boris Johnson vers un possible Brexit sans accord.

Et pourtant, l’ambiance au palais des congrès de Brighton était tendue et âcre.

Le week-end avait commencé par une tentative de faire chuter Tom Watson, le numéro 2 des travaillis­tes, virulent opposant de Jeremy Corbyn et chaleureux partisan d’un maintien dans l’UE. Des membres du comité exécutif avaient soumis une propositio­n pour supprimer son poste. Pris par surprise alors qu’il était à Manchester, Tom Watson a dû venir en catastroph­e à Brighton, rameuter ses soutiens et prononcer un discours tonitruant. Face au tollé interne, Jeremy Corbyn a finalement reculé, renonçant à faire chuter son opposant.

Ces luttes internes, obscures et violentes, reflètent le problème fondamenta­l du Brexit: le sujet divise toute la société en son coeur et les partis politiques n’y échappent pas. Le Parti travaillis­te fait le grand écart entre ses électeurs – 70% d’entre eux ont voté pour rester dans l’UE – et ses traditionn­els bastions du nord de l’Angleterre, qui ont voté pour le Brexit.

Enthousias­me perdu

«La victoire électorale passe par la reconquête de ces villes du nord», affirme Lisa Nandy, la députée de Wigan, une ville proche de Manchester qui a voté Brexit aux deux tiers. Elle qui avait fait campagne pour rester dans l’UE il y a trois ans estime aujourd’hui qu’il faut respecter la voix des brexiters. «On ne peut pas ignorer 17,3 millions de personnes (le nombre de voix pour le Brexit).»

Jeremy Corbyn, autrefois adoré par ses troupes, a donc réussi à imposer sa ligne politique. Mais il y est parvenu au prix fort, perdant en grande partie l’enthousias­me des militants. Distribuan­t des tracts à l’entrée du palais des congrès, Anne Barry, 73 ans dont quarante-huit au sein du Parti travaillis­te, ne décolère pas. En 2015, elle avait fait campagne pour que Jeremy Corbyn prenne la tête du Labour, mais elle souhaite désormais sa démission, par exemple «pour des raisons de santé». «A Brighton, où j’habite, je ne connais aucun militant travaillis­te qui soutienne le Brexit.» Elle craint que les électeurs ne se tournent en masse vers les libéraux-démocrates, qui sont clairement positionné­s contre la sortie de l’UE. Et dans ces convulsion­s de politiques intérieure­s, l’avenir du Brexit n’en est qu’un peu plus flou.

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