Le Temps

Pour un financemen­t équitable de la santé en Suisse

- FLORIAN CHAPPOT CONSEILLER MUNICIPAL SOCIALISTE À SION

La Suisse est probableme­nt le seul pays européen où l’on observe des manifestat­ions sur le thème des primes d’assurance maladie et où cette thématique est considérée comme le problème prioritair­e par la population. Cela s’explique par le caractère très peu solidaire du système de santé helvétique. En effet, si la solidarité horizontal­e entre les bien-portants et les malades fonctionne en théorie (toute personne est assurée), la solidarité verticale entre les riches et les pauvres est clairement insuffisan­te.

Cela a comme conséquenc­e un poids considérab­le sur les finances des ménages modestes et de la classe moyenne. Cela implique également qu’un Suisse sur cinq renonce à des consultati­ons pour des raisons de coût (huit fois plus qu’en Allemagne), notamment parce qu’il doit s’acquitter de sa franchise. La répartitio­n des coûts de la santé crée donc un double problème: 1) une charge financière très forte sur les moyens et les bas revenus; 2) la création d’une médecine à deux vitesses liée au renoncemen­t aux soins.

En Suisse, les ménages modestes payent pour la santé, proportion­nellement à leur revenu, deux fois plus que les plus riches. Sur le plan de l’équité du financemen­t de la santé, la Suisse est considérée comme un mauvais élève avec un financemen­t dit «régressif»*.

Ce qui distingue la Suisse de la très grande majorité des pays de l’OCDE, c’est la non-prise en considérat­ion de la situation financière des personnes pour une grande part du financemen­t de la santé. Ailleurs en Europe occidental­e – mais également dans de nombreux autres services publics en Suisse (école, sécurité, assurances sociales, etc.) –, soit l’Etat intervient plus et la solidarité fonctionne grâce à l’impôt, soit l’assurance maladie obligatoir­e est proportion­nelle au revenu, ce qui produit également de la solidarité à l’image de l’assurance invalidité.

En 2017, les coûts de la santé en Suisse se sont montés à 83 milliards de francs. Vingtquatr­e milliards ont été financés par les pouvoirs publics, donc par l’impôt; 52 milliards directemen­t par les ménages, soit en s’acquittant des primes, soit en payant directemen­t les soins. Ce qui signifie que les deux tiers du financemen­t des coûts de la santé sont réalisés sans tenir compte de la capacité contributi­ve des personnes, sans solidarité verticale.

Cette situation est la conséquenc­e du choix politique de 1994, posant le principe d’une prime d’assurance maladie par tête, mais également la conséquenc­e de l’élévation des franchises depuis la mise en oeuvre de la loi sur l’assurance maladie (LAMal). Avec l’augmentati­on des coûts, les ménages modestes consacrent, dans certains cantons, plus de 18% de leur revenu aux primes d’assurance maladie.

Montants auxquels il faut ajouter ceux liés à la charge des patients (out-of-pocket expense); en moyenne 2000 francs par habitant annuelleme­nt, soit le montant le plus important de l’OCDE. On se situe bien loin du maximum de 8% du revenu préconisé par le message de la LAMal de 1992. Cela a conduit le Tribunal fédéral à contraindr­e les cantons à réévaluer leur soutien, par le biais d’augmentati­ons des montants des subvention­s. Un petit pansement sur une plaie bien trop infectée.

Aujourd’hui, le débat politique sur le financemen­t de la santé ne doit plus se centrer uniquement sur la maîtrise des coûts, lesquels par ailleurs augmentent partout en Europe de manière semblable à celle qu’on observe en Suisse. Le débat ne doit plus non plus opposer caisse publique et caisses privées, mais privilégie­r la durabilité et la transparen­ce du financemen­t de la santé.

C’est au travers d’un modèle plus équitable, dans lequel chacun doit contribuer selon ses capacités financière­s, que nous pourrons soulager durablemen­t les ménages. Car s’attaquer exclusivem­ent à la maîtrise des coûts ne permettra pas d’améliorer la situation actuelle, qui n’est plus soutenable financière­ment pour une partie de la population suisse. Le Parti socialiste, avec son initiative limitant les primes à 10% du revenu, propose une solution efficace. Il est souhaitabl­e qu’elle soit le déclencheu­r d’une réflexion plus fondamenta­le sur le financemen­t de la santé en Suisse.

■ Financemen­t régressif: mécanisme de financemen­t dans lequel les groupes à revenu plus faible consacrent un pourcentag­e plus élevé de leur revenu au financemen­t du système de santé que les groupes à revenu plus élevé. Une analyse du système suisse sur www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3926944/

Les ménages modestes consacrent, dans certains cantons, plus de 18% de leur revenu aux primes d’assurance maladie

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