Pour un financement équitable de la santé en Suisse
La Suisse est probablement le seul pays européen où l’on observe des manifestations sur le thème des primes d’assurance maladie et où cette thématique est considérée comme le problème prioritaire par la population. Cela s’explique par le caractère très peu solidaire du système de santé helvétique. En effet, si la solidarité horizontale entre les bien-portants et les malades fonctionne en théorie (toute personne est assurée), la solidarité verticale entre les riches et les pauvres est clairement insuffisante.
Cela a comme conséquence un poids considérable sur les finances des ménages modestes et de la classe moyenne. Cela implique également qu’un Suisse sur cinq renonce à des consultations pour des raisons de coût (huit fois plus qu’en Allemagne), notamment parce qu’il doit s’acquitter de sa franchise. La répartition des coûts de la santé crée donc un double problème: 1) une charge financière très forte sur les moyens et les bas revenus; 2) la création d’une médecine à deux vitesses liée au renoncement aux soins.
En Suisse, les ménages modestes payent pour la santé, proportionnellement à leur revenu, deux fois plus que les plus riches. Sur le plan de l’équité du financement de la santé, la Suisse est considérée comme un mauvais élève avec un financement dit «régressif»*.
Ce qui distingue la Suisse de la très grande majorité des pays de l’OCDE, c’est la non-prise en considération de la situation financière des personnes pour une grande part du financement de la santé. Ailleurs en Europe occidentale – mais également dans de nombreux autres services publics en Suisse (école, sécurité, assurances sociales, etc.) –, soit l’Etat intervient plus et la solidarité fonctionne grâce à l’impôt, soit l’assurance maladie obligatoire est proportionnelle au revenu, ce qui produit également de la solidarité à l’image de l’assurance invalidité.
En 2017, les coûts de la santé en Suisse se sont montés à 83 milliards de francs. Vingtquatre milliards ont été financés par les pouvoirs publics, donc par l’impôt; 52 milliards directement par les ménages, soit en s’acquittant des primes, soit en payant directement les soins. Ce qui signifie que les deux tiers du financement des coûts de la santé sont réalisés sans tenir compte de la capacité contributive des personnes, sans solidarité verticale.
Cette situation est la conséquence du choix politique de 1994, posant le principe d’une prime d’assurance maladie par tête, mais également la conséquence de l’élévation des franchises depuis la mise en oeuvre de la loi sur l’assurance maladie (LAMal). Avec l’augmentation des coûts, les ménages modestes consacrent, dans certains cantons, plus de 18% de leur revenu aux primes d’assurance maladie.
Montants auxquels il faut ajouter ceux liés à la charge des patients (out-of-pocket expense); en moyenne 2000 francs par habitant annuellement, soit le montant le plus important de l’OCDE. On se situe bien loin du maximum de 8% du revenu préconisé par le message de la LAMal de 1992. Cela a conduit le Tribunal fédéral à contraindre les cantons à réévaluer leur soutien, par le biais d’augmentations des montants des subventions. Un petit pansement sur une plaie bien trop infectée.
Aujourd’hui, le débat politique sur le financement de la santé ne doit plus se centrer uniquement sur la maîtrise des coûts, lesquels par ailleurs augmentent partout en Europe de manière semblable à celle qu’on observe en Suisse. Le débat ne doit plus non plus opposer caisse publique et caisses privées, mais privilégier la durabilité et la transparence du financement de la santé.
C’est au travers d’un modèle plus équitable, dans lequel chacun doit contribuer selon ses capacités financières, que nous pourrons soulager durablement les ménages. Car s’attaquer exclusivement à la maîtrise des coûts ne permettra pas d’améliorer la situation actuelle, qui n’est plus soutenable financièrement pour une partie de la population suisse. Le Parti socialiste, avec son initiative limitant les primes à 10% du revenu, propose une solution efficace. Il est souhaitable qu’elle soit le déclencheur d’une réflexion plus fondamentale sur le financement de la santé en Suisse.
■ Financement régressif: mécanisme de financement dans lequel les groupes à revenu plus faible consacrent un pourcentage plus élevé de leur revenu au financement du système de santé que les groupes à revenu plus élevé. Une analyse du système suisse sur www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3926944/
Les ménages modestes consacrent, dans certains cantons, plus de 18% de leur revenu aux primes d’assurance maladie