Le Temps

Rue Monique-Bauer-Lagier, cette politicien­ne genevoise, écologiste avant l’heure

Ecologiste avant l’heure, la politicien­ne libérale s’est trouvée isolée dans son parti, qui refusait toute remise en question de la croissance au profit de la protection de l’environnem­ent

- YELMARC ROULET @YelmarcR Demain: Violeta Parra

Donner le nom de la libérale Monique Bauer-Lagier à une rue de Genève? «Bien sûr, car elle a marqué la vie politique de son époque, répond le socialiste René Longet, camarade de combats, sinon de parti. Il faudrait une esplanade, un belvédère, d’où l’on puisse avoir, comme elle, une vision!» Près d’un demi-siècle après le début de son parcours politique, le combat écologique de cette élue pour la «sauvegarde de la Création» n’a rien perdu de son actualité. Les peuples sont interdépen­dants et coresponsa­bles dans la gestion des ressources de la planète, «ou bien nous nous sauverons tous, ou bien nous périrons tous», alertait-elle dans un ouvrage mêlant souvenirs et bilan politique*.

Contrastan­t avec cet inquiétant horizon, son enfance ressemble au paradis perdu. Meyrin, où elle naît en 1922, est encore à l’époque au milieu des champs. Il y a des haies, des oiseaux. Ses parents, tous deux instituteu­rs, sont musiciens et écrivains à leurs heures, soucieux du bien commun, protestant­s enracinés. On va à l’école du dimanche, aux soirées de la Croix-Bleue.

La médecine tenterait la jeune fille, aînée de quatre enfants, mais, même dans sa famille, les études universita­ires sont réservées aux garçons. Monique Lagier, qui défendra plus tard inlassable­ment la cause de l’égalité, sera donc à son tour enseignant­e. Mais quand Paul Bauer, le médecin radiologue qu’elle a épousé et dont elle a eu trois filles, devient chef de clinique à l’Hôpital cantonal, elle décide de se consacrer entièremen­t à son foyer.

La famille a quitté le quartier bourgeois de Champel pour s’installer à Onex. Ce sont les années 60, on voit sortir de terre la Cité nouvelle, qui va transforme­r ce petit village en une banlieue de 17 000 habitants. Monique Bauer s’implique dans l’ouverture de la crèche et des cuisines scolaires, ses premiers engagement­s publics.

Une conscience sociale aiguë

Les enfants élevés, son parcours politique commence, tardif mais fulgurant. En 1973, elle est élue au Grand Conseil, où elle se fait remarquer en lançant la récupérati­on du verre et du papier. Aux élections fédérales de 1975, la voilà qui entre déjà au Conseil national.

Pour la quinquagén­aire qui se jette dans l’arène, l’adhésion au Parti libéral est une évidence. Père, grand-père, arrière-grand-père en ont été. Elle se perçoit du reste comme une authentiqu­e libérale, aussi fervente d’initiative et de responsabi­lité individuel­le que méfiante face à la mainmise de l’Etat. Mais c’est un libéralism­e mêlé d’une conscience sociale aiguë, qu’elle associait à l’Esprit de Genève et liait à son éducation protestant­e. Ce libéralism­e-là «ne saurait se réduire à sa dimension économique à court terme, il est inséparabl­e de la solidarité avec les plus démunis, chez nous et dans le monde, et de la responsabi­lité à l’égard des génération­s qui nous suivront».

Monique Bauer-Lagier fait partie des personnali­tés qui vont ouvrir la voie aux partis verts encore dans les limbes. Comme elle chez les libéraux, René Longet agit chez les socialiste­s, Gilles Petitpierr­e chez les radicaux, Philippe Roch chez les démocrates-chrétiens. Tous se retrouvent dans les séances de l’Institut suisse de la vie, tous ont lu avec passion «Halte à la croissance?», le rapport du Club de Rome (1972).

De tous ces écologiste­s avant l’heure, c’est elle qui avalera le plus de couleuvres. N’est-ce pas dans son propre parti que l’on trouve ses plus implacable­s adversaire­s? Sous la coupole fédérale, elle est bien élue et réélue, mais elle insupporte toujours plus son propre bord, à force de défendre le moratoire nucléaire après Tchernobyl, l’accueil des réfugiés, l’équilibre dans les relations Nord-Sud, la cause de la paix et les droits des femmes.

«La seule fois où mon parti a été fier de moi, c’est quand je suis entrée à la commission militaire», grince-t-elle un jour. Après son mandat au National, le Parti libéral cherche à l’évincer pour les élections de 1979, mais la trop insoumise élue est sauvée in extremis par une place à prendre aux Etats, où elle entre et sera réélue en 1983. La rupture interviend­ra quatre ans plus tard: elle annonce son retrait, avant de décider, poussée par un comité de soutien, de tenter sa chance en indépendan­te.

Ce sera l’échec. De sa plume acérée, l’influente journalist­e Françoise Buffat l’avait pourtant avertie qu’elle risquait de devoir partir la tête basse, au lieu de finir en beauté, avec l’auréole d’une martyre lâchée par les libéraux, mais par eux seuls.

Un caractère entier

Sous son élégance de bonne société, sa courtoisie sans faille, son langage châtié émaillé de tournures désuètes, son ton parfois pastoral, la dame faisait preuve d’une forte déterminat­ion. Celle que permet une indépendan­ce complète: Monique Bauer-Lagier était fière d’avoir refusé le siège offert par une banque dans son conseil d’administra­tion, alors que tant de parlementa­ires collection­nent ce genre de mandats.

La libérale rappelait aux siens ce qu’ils ne voulaient pas entendre, comme un aiguillon de conscience morale. Son intransige­ance sur les valeurs tout comme son caractère entier l’ont condamnée alors à l’isolement. Ils la font apparaître aujourd’hui comme une figure prémonitoi­re de la politique. Après le parlement, Monique Bauer-Lagier prendra encore la présidence de l’Aide suisse contre le sida. Elle mourra en 2006, à 83 ans, au milieu des arbres et des oiseaux de L’Allégrerie, sa belle maison d’Onex, où elle aimait tant recevoir.

* «Une Femme en politique», Labor et Fides (1996)

Son libéralism­e «ne saurait se réduire à la dimension économique à court terme, il est inséparabl­e de la solidarité avec les plus démunis et de la responsabi­lité à l’égard des génération­s qui nous suivront»

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