Un voyage au coeur des entrailles
Jusqu’au 4 août, la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, consacre l’une de ses expositions temporaires au microbiote. Cette dernière a été conçue avec Giulia et Jill Enders, auteures du best-seller «Le charme discret de l’intestin»
En lisant ce texte, vous serez peutêtre en train de boire votre café matinal, d’entamer un repas copieux, voire de grignoter un en-cas… Si tel est le cas, et sans que vous en soyez tout à fait conscient, sachez que votre corps vient d’enclencher un long processus débuté dans la bouche pour se terminer, près de huit mètres plus loin, au niveau de l’anus.
Entre deux, les aliments ingérés auront fait la rencontre, dans l’ordre et durant plus ou moins vingt-quatre heures, de l’oesophage, l’estomac, l’intestin grêle, le colon et le rectum. Sans oublier les milliards de micro-organismes qui composent le microbiote, et qui jouent un rôle central dans la digestion, mais aussi dans le bon fonctionnement du système immunitaire et nerveux.
C’est ce parcours que retrace l’exposition Microbiote d’après Le charme discret de l’intestin – le best-seller de Giulia Enders –, à la Cité des sciences et de l’industrie, à Paris, conçue notamment en collaboration avec l’auteure et sa soeur, Jill, illustratrice du livre. «Nous avons voulu parler aux visiteurs de quelque chose qu’ils amènent avec eux, mais qui est encore méconnu», explique Dorothée Vatinel, commissaire de l’exposition. Florilège de découvertes:
1•DANS LA BOUCHE, UN ÉLIXIR PRÉCIEUX
Commençons par une mise en bouche: composée à 99,5% d’eau, notre salive est une vraie armoire à pharmacie. Grâce à ses différents composants, comme l’haptocorrine – dont le but est de protéger la vitamine B12 jusqu’à l’intestin grêle où elle est assimilée –, le lysozyme, la lactoferrine ou encore la lactoperoxydase – qui réduisent la concentration en bactéries dans la bouche –, cette dernière constitue un véritable pare-feu protecteur pour le système immunitaire.
La salive contient par ailleurs de l’opiorphine, une molécule découverte en 2006 par l’Institut Pasteur, qui présente des propriétés analgésiques. Selon les chercheurs qui, en 2016, ont mis au point un dérivé stable de l’opiorphine, cette substance pourrait même s’avérer tout aussi efficace que la morphine pour lutter contre les douleurs aiguës, sans toutefois provoquer les possibles effets secondaires de l’opioïde, comme la détresse respiratoire ou la dépendance.
2•DES VILLOSITÉS COMME DU VELOURS
Le parcours en immersion se poursuit dans la machinerie complexe de l’intestin. «J’ai été très surprise lorsque j’ai vu pour la première fois un intestin, confie la voix de Giulia Enders dans une alcôve où se tient un organe conservé par plastination. C’est une merveille à la fois gratuite et précieuse, qui se plie en quatre pour nous offrir la plus grande surface de digestion possible.» Sans les nombreux plis au niveau de sa muqueuse, on estime en effet que l’intestin devrait mesurer 18 mètres pour nous faire bénéficier d’une surface digestive équivalente.
Et ce n’est pas tout: sur un seul millimètre carré, l’intestin grêle accumule aussi une trentaine de villosités, sortes de petits fanons donnant au tissu intestinal une structure proche du velours. Chacune de ces cellules est sertie de nouvelles villosités hérissées d’innombrables molécules rappelant les bois d’un cerf: le glycocalyx. Si l’on mettait tout cela à plat, notre intestin atteindrait une longueur d’environ 7 kilomètres!
3•UNE COLLECTION PERSONNELLE DE MICROBES
Imaginons-nous à présent à la place d’une de ces minuscules villosités. Nous serions alors entourés de près de 40 mille milliards d’organismes s’entassant sur les parois en relief du tube digestif, tels que les bactéries – qui composent 90% de notre population intestinale –, les levures, les archées – qui se nourrissent des déchets d’autres bactéries –, et les virus. «Nulle part ailleurs dans le corps il n’y a une telle variété d’espèces différentes», explique Nathalie Puzenat, l’une des muséographes de l’exposition.
Chaque être humain possède sa collection personnelle de bactéries, constituée en fonction de ce que nous mangeons, de l’endroit où nous vivons ou de celles ou ceux que nous embrassons. Ces dernières ont plusieurs fonctions: elles décomposent les restes de nourriture, alimentent nos intestins en énergie, éliminent les toxines, fabriquent des vitamines, participent au bon fonctionnement du système immunitaire et évitent la prolifération de bactéries pathogènes. «Le poids du microbiote peut varier entre 200 grammes et 1,5 kilo selon les individus, ajoute Nathalie Puzenat. Plus le régime alimentaire est riche en fibres, plus la population de bactéries grossit.»
4•CERVEAU SOUS INFLUENCE
Les micro-organismes présents dans notre système digestif produisent aussi des molécules capables de traverser la muqueuse intestinale et d’influencer l’ensemble de notre corps, dont le cerveau. Les curateurs de l’exposition se sont montrés très prudents sur cet aspect bien spécifique, bien que de nombreuses études scientifiques tendent désormais à mettre en lumière le lien supposé entre le microbiote et l’apparition de maladies neurodégénératives ou neuropsychiatriques, comme Alzheimer, Parkinson ou l’autisme.
Une étude publiée ce lundi 4 février dans la revue Nature Microbiology et réalisée sur plus de 1000 participants en Belgique, a aussi montré que deux groupes de bactéries, les coprocoques et Dialister, étaient réduits chez les personnes souffrant de dépression. Les scientifiques ont également constaté une corrélation positive entre la qualité de vie et la capacité potentielle du microbiote intestinal à synthétiser un produit de dégradation de la dopamine, un neurotransmetteur permettant la communication au sein du système nerveux et ayant une influence directe sur le comportement. Bien que ces résultats ne soient que des corrélations, cette recherche semble encore un peu plus renforcer le lien entre la flore intestinale et le cerveau.
5•EN SELLE
A l’heure de se soulager, on retiendra que notre communauté microbienne intestinale est si riche que l’on compte davantage de bactéries dans un gramme d’excrément que d’êtres humains sur terre. D’ailleurs, les scientifiques se penchent aujourd’hui de plus en plus sur les vertus thérapeutiques de la transplantation fécale, qui consiste à injecter des échantillons de selles provenant d’une personne saine à un individu malade.
Cette technique est principalement utilisée en cas d’infection intestinale grave due à la bactérie Clostridium difficile lorsque celle-ci s’avère résistante aux antibiotiques, avec un taux de succès de 90%. Des essais sont aussi en cours pour d’autres pathologies comme le diabète de type 2 ou les troubles fonctionnels intestinaux. De quoi voir le caca autrement, non?
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