Quel modèle de laïcité pour Genève?
Les Genevois se prononcent ce dimanche sur la nouvelle loi sur la laïcité. Un texte qui vise à interdire les signes d’appartenance religieuse aux fonctionnaires et aux élus et qui a soulevé de nombreuses oppositions.
A quelques jours de la votation, Ensemble à gauche lance un nouveau projet de loi sur les rapports entre l’Etat et les communautés religieuses. Ce qui éclaire la division de la gauche autour du voile islamique pour les représentants de l’Etat
La députée genevoise d’Ensemble à gauche Salika Wenger n’est jamais avare de saillies poilantes. Aussi a-telle prévenu son groupe, majoritairement opposé à la loi sur la laïcité de l’Etat (LLE) soumise au vote dimanche prochain, qu’elle lui réservait, en cas de refus populaire, une facétie dont elle a le secret: «Je leur ai promis de venir siéger en cornette de bénédictine. Je leur expliquerai que ce n’est pas un costume religieux, mais une nouvelle collection de mon cru à base de coton amidonné.»
Une manière de prendre son parti à son propre piège. Car le souci de son groupe, et de la gauche en général, c’est de défendre le choix des musulmanes voilées. Salika Wenger fait partie de ces députés farouchement attachés aux valeurs républicaines, et donc partisans d’une loi qui proscrit les signes extérieurs d’appartenance religieuse aux représentants de l’Etat. Etant entendu que le voile islamique fait davantage débat qu’une croix en pendentif. Or son parti, non content de fustiger le texte soumis au peuple, annonce déposer un nouveau projet de loi baptisé «loi sur la neutralité religieuse de l’Etat», à quelques jours de la votation, et selon une méthode éprouvée. Objectif: offrir à ceux qui hésitent à voter «non» de pouvoir le faire en toute bonne conscience, puisque le plan B suit. Autrement dit: torpiller la LLE, dont le parlement a accouché péniblement après plus de deux ans de travaux parlementaires et attaquée par quatre référendums et des recours en justice pour le cas où elle serait adoptée.
«Spécialiste du coup fourré»
Salika Wenger n’est pas la seule que cela heurte. Pour le député PLR Jean Romain, «ce projet de loi sorti des limbes a tout de la guérilla parlementaire. Ensemble à gauche est coutumier du fait. Ce parti n’a cessé de répéter qu’il ne fallait pas légiférer sur la laïcité, et le voilà qui se contredit. Vous imaginez le parlement revenir avec un projet de loi au lendemain d’une votation où le peuple se sera exprimé?»
Que répond Pierre Vanek, artisan de ce projet de loi? «Il est vrai que nous n’estimions pas nécessaire de légiférer. Mais nous avons entendu plusieurs personnes estimant qu’une loi se justifie.» Pour le député d’extrême gauche, même un «oui» sorti des urnes ne solderait pas l’histoire: «Ce paquet ficelé est si complexe qu’une acceptation ne permettra pas d’être interprétée comme un assentiment de tous ses aspects.»
Cette obstination fait ressembler le parlement à un stade où jamais ne retentit le coup de sifflet final. Pierre Gauthier, conseiller municipal hors parti en ville de Genève et président du Parti radical de gauche: «Ensemble à gauche est le spécialiste du coup fourré. Le plus grave, c’est qu’avant même que le résultat soit connu, il annonce qu’il ne le respectera pas. Plus antidémocratique, on ne peut pas.» Même au PS, qui combat aussi la loi, cette manoeuvre d’Ensemble à gauche ne convainc guère: «Nous n’avons pas parlé de ce projet, dit le député Cyril Mizrahi. Ensemble à gauche a sans doute voulu montrer ce qu’on aurait pu faire comme plus petit dénominateur commun. Cette loi arrive un peu tard, mais elle peut être une contribution au débat.» Discrimination à l’égard des femmes voilées
Si la loi comporte de multiples aspects – neutralité de l’Etat, contribution religieuse volontaire prélevée par l’Etat, interdiction de manifestations religieuses culturelles sur le domaine public, enseignement du fait religieux à l’école –, c’est bien l’islam qui est au coeur de la discussion. Pour le PS, les Verts et Ensemble à gauche, ainsi que les syndicats et des associations féministes et musulmanes, le fait de proscrire les signes ostentatoires pour les représentants de l’Etat (fonctionnaires en contact avec les usagers, mais aussi députés et conseillers municipaux) constitue une discrimination à l’égard des femmes voilées. Une loi liberticide, contraire aux droits humains, clament-ils. De l’autre côté, les partisans répondent que le voile est le signe de la soumission, et que son acceptation dans le cadre de l’Etat nourrit les communautarismes.
Cette lecture est aussi celle de plusieurs députés socialistes ou verts, qui désobéiront à leur parti à l’heure du vote. Et bien sûr celle de l’association La Laïcité, ma liberté, qui réunit une centaine de membres de toutes les couleurs politiques: «La gauche qui combat la loi veut que les fonctionnaires représentent la diversité de la population. Comment peut-on assumer de vouloir trier les gens selon leur appartenance religieuse? C’est de l’apartheid, estime Pierre Gauthier, du comité La Laïcité, ma liberté. Le droit à la différence n’est pas la différence de droit.»
Pendant que la gauche s’écharpe, la droite a mené une campagne plutôt molle, alors que les Eglises se sont mobilisées en faveur de la loi. Pour certains libéraux pur jus, la loi est sans doute trop contraignante. Quant à l’affiche du PDC, elle a au moins le mérite de dédramatiser l’affaire: «de Dieu, de Dieu» se trouve barré, au profit de «de bleu, de bleu».
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«J’ai promis de venir siéger en cornette de bénédictine en cas de refus populaire»
«Nous avons entendu plusieurs personnes estimant qu’une loi se justifie»