Le Temps

Le droit du bail, objet de discorde

- SYLVIA REVELLO t @sylviareve­llo

L’interview du président de l’Asloca Vaud expliquant comment obtenir une baisse de loyer a fait réagir une régie lausannois­e, qui menace de boycotter les locataires contestata­ires. Tollé

Ce week-end, le droit du bail s’est retrouvé au coeur d’une polémique. En cause, une vidéo publiée sur le site de 24 heures dans laquelle le président de l’Asloca Vaud, César Montalto, livre ses conseils pour obtenir une baisse de loyer. Il invite notamment les locataires à contester systématiq­uement leur loyer initial, que celui-ci ait été augmenté ou non, soulignant que la demande fonctionne dans neuf cas sur dix.

Une séquence de type «serviciel» qui n’a visiblemen­t pas plu à la régie immobilièr­e Robert Crot. Sur sa page Facebook, elle se montre menaçante: «Notre entreprise prend acte, avec consternat­ion, de l’incitation aux locataires, relayée sans esprit critique par 24 heures, à ne pas respecter les dispositio­ns des contrats qu’ils viennent de signer! La Gérance Robert Crot & Cie SA invite d’ores et déjà chaque propriétai­re à ne conclure aucun bail à loyer avec des personnes qui auraient préalablem­ent usé de la contestati­on du loyer initial.»

Sur le même portail, l’associatio­n de défense des locataires riposte: «Il va sans dire que nous restons sans voix. Faire valoir ses droits nous semble aller simplement dans le sens de notre état de droit.» Sur les réseaux sociaux, les réactions de locataires outrés s’accumulent. «Je croyais que les listes noires étaient interdites dans notre état de droit… respectez-vous la loi?» lance un usager à l’intention de la régie lausannois­e. «J’invite tous les locataires à ne conclure aucun bail avec les gérances qui incitent les propriétai­res à bafouer le Code des obligation­s», renchérit un autre.

En Suisse, demander une baisse de loyer après la signature du bail est possible à certaines conditions. Le Code des obligation­s est très clair à ce sujet. «Lorsque le locataire estime que le montant du loyer initial est abusif au sens des articles 269 et 269a, il peut le contester devant l’autorité de conciliati­on dans les 30 jours […] s’il a été contraint de conclure le bail par nécessité personnell­e ou familiale ou en raison de la situation sur le marché local du logement et des locaux commerciau­x; ou si le bailleur a sensibleme­nt augmenté le loyer initial par rapport au précédent loyer.» Dans la pratique, on parle d’une augmentati­on d’au moins 10%. Les contestati­ons doivent être notifiées par voie de recommandé et ne s’appliquent qu’aux loyers libres.

Cela étant, les rumeurs sur l’existence de listes noires et la peur de représaill­es découragen­t de nombreux locataires. «Seul un locataire sur dix décide de faire opposition, souligne l’avocat César Montalto. Pourtant, le droit le protège d’une expulsion durant les trois ans qui suivent la procédure de contestati­on.» A ses yeux, la «déclaratio­n terroriste» de la régie vise à «semer une peur injustifié­e chez les locataires». «Les gérants poussent les propriétai­res à augmenter les loyers, en espérant que la pilule passe chez les locataires, dénoncet-il. En rappelant les dispositio­ns légales en vigueur, j’ai visiblemen­t touché une corde sensible.»

De son côté, Nicolas Daïna, directeur de la gérance Crot, ne nie pas les droits des locataires mais invoque la «liberté de contracter» des propriétai­res que «personne ne défend dans ce débat». «Tous ne sont pas des profiteurs, je les incite simplement à ne pas s’engager avec des locataires qui ont un historique de contestati­on du loyer initial. Parler de liste noire est absurde, un simple système de gestion offre une traçabilit­é sur les dégâts ou les contentieu­x.» Le directeur précise qu’aucun des locataires de sa régie n’a subi de représaill­es après avoir contesté son loyer.

Coïncidenc­e ou non, l’Asloca a organisé samedi à Lausanne une manifestat­ion décalée en se mettant dans la peau de bailleurs cupides. L’occasion de dénoncer la pénurie de logements dans le canton et la pression exercée sur les locataires malgré un taux hypothécai­re au plus bas.

Manifestat­ion humoristiq­ue de l’Asloca Vaud ce samedi 2 février à Lausanne.

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