Qui rit des gilets rira jaune
Le contraste était parfait. Mercredi passé, le parlement renouvelait le gouvernement en élisant deux femmes à la compétence reconnue, sans avoir besoin de plus d’un tour de scrutin à chaque fois.
Le même jour, l’exécutif français se réveillait avec la gueule de bois. Les suites d’une journée passée à faire aux manifestants en furie exactement le type de concessions qu’il s’était engagé à ne jamais pratiquer. En constatant de plus qu’elles ne seraient pas suffisantes.
Eruption populaire et vindicative contre institutions stables et apaisées. Voilà qui a fait dire à plus d’un commentateur que jamais nous n’aurions, en Suisse, de «gilets jaunes». C’est peut-être vrai sur la forme: la culture de la mobilisation sociale est différente ici. La démocratie directe, comme le fédéralisme, prévient dans bien des cas l’émergence d’un mouvement national. Mais sur le fond, est-ce aussi simple? J’ai quelques doutes.
Deux jours plus tard, le Conseil fédéral, obligé de se positionner sur le résultat des négociations sur un accord-cadre avec l’Union européenne, décide de ne rien décider. Jusque-là, rien de vraiment étonnant. Une rupture frontale aurait été un geste de rejet inutile. Quant à valider le projet, cela semble, à ce stade, strictement impossible, car il comprend de nombreuses remises en question des mesures d’accompagnement. Le fruit, sans doute, d’un peu de ce que nos voisins appellent la déconnexion des dirigeants. Car c’est bien une telle perte de repères qui a pu faire croire à un Conseiller fédéral qu’on pouvait vendre à l’opinion un affaiblissement de la protection des salaires…
Vue sous cet angle, la décision du Conseil fédéral d’ouvrir une large consultation publique sur le projet d’accord qu’il sait inacceptable rappelle un autre contre-feu. Celui, précisément, du premier ministre français qui décrétait lui aussi un grand débat national sur les taxes écologiques et le pouvoir d’achat.
Gardons-nous donc de donner trop de leçons. Sans doute, notre démocratie fonctionne mieux. Et pourtant, il peut arriver que le sommet de l’Etat ne sache pas comment prendre en compte des aspirations populaires qu’il ne comprend pas tout à fait. En Suisse, la colère façon «gilets jaunes» s’exprime aussi parfois: dans les urnes. Et sans une seule banderole ni un seul slogan, cette simple perspective peut désarmer un gouvernement.
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