L’émiettement du monde
Angela Merkel s’en va et l’UE n’ira pas mieux: Jair Bolsonaro arrive au Brésil et c’est le Mercosur, la communauté économique sud-américaine, qui peut s’inquiéter. Cela ne devrait pas rassurer la Suisse, engagée dans des négociations cruciales avec les Européens comme avec les Sud-Américains. Car, après d’autres événements, l’élection brésilienne nous contraint à dire adieu au monde d’hier. Celui qui croyait à un ordre mondial fait de négociations et de droit dans le cadre de traités ou d’organisations mondiales.
Après «America First», voici «Brasil Primeiro». Depuis l’élection de Donald Trump, on nous annonce la fin de l’ère des traités internationaux, désertés par les grandes puissances, pour faire place à la tentation des négociations pays par pays. C’est l’heure des rapports de force, des accords entre parrains et obligés, ou des regroupements régionaux sous l’égide de la Chine, des Etats-Unis ou de la Russie – Organisation de Shanghai, solidarité des émergents. Le retrait des Etats-Unis du Partenariat transpacifique, d’un traité de non-prolifération nucléaire et de l’Accord de Paris sur le climat, le Brexit, le refus de l’Autriche de demeurer dans le pacte sur les migrations ou le débat en Suisse sur le droit international confirment la dislocation des engagements. Le patron de la diplomatie helvétique, Ignazio Cassis, en faisait le constat un peu amer cet automne après sa prise de contact à l’ONU: «Le multilatéralisme est en crise. Je perçois une certaine lassitude et une inefficacité dans le système en place. Pourtant, c’est un instrument important pour la Suisse car il garantit une protection au pays.»
Hier dévalorisé comme pays émergent, le Brésil se sent désormais assez puissant pour vouloir jouer sa partition hors des accords régionaux. Comme vient de le signifier Paulo Guedes, prochain ministre de l’Economie et des Finances du Brésil, «le Mercosur n’est plus une priorité. Il empêche le Brésil de négocier des accords particuliers, selon ses intérêts propres.» Et le futur ministre de considérer que son pays est resté trop longtemps prisonnier d’une alliance idéologique dominée par la gauche bolivarienne. Qu’adviendra-t-il des négociations de libre-échange, à bout touchant, avec l’UE? Et celles, désormais bien avancées, que la Suisse pensait conclure l’an prochain dans le cadre de l’AELE? Berne peut espérer que le courant de libéralisme économique et les intérêts des grandes entreprises, qui ont participé à l’élection de Jair Bolsonaro, conduiront le nouveau gouvernement brésilien à parachever l’accord. Mais le passé très protectionniste de Jair Bolsonaro et la nécessité de remercier les grands exportateurs de produits agricoles créent une grande incertitude. Tout comme l’envie de Paolo Guedes de réformer de fond en comble le Mercosur ou de négocier pour le seul Brésil des accords plus favorables aux grandes entreprises.
Dans ce monde multipolaire, la Suisse ne peut guère compter sur la protection de l’OMC ou des grandes organisations internationales, paralysées. La Chine et les EtatsUnis ont les moyens de s’en dédouaner. Elle espère toujours comme contrepoids des accords stables et garantis par le droit international dans le cadre de grands accords régionaux, avec l’UE ou le Mercosur. Mais ces communautés sont à la peine. Dans un monde émietté, une Suisse privée d’alliés ne peut compter que sur elle-même.
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