Retour au Far West
Ce sont trois lieux distincts, sans aucun lien apparent entre eux. Et pourtant, un fil rouge relie aujourd’hui le consulat d’Arabie saoudite à Istanbul, le siège de l’organisation internationale de police (Interpol) à Lyon ainsi que la petite ville anglaise de Salisbury. A mesure qu’ils semblent se confirmer, les événements qui s’y sont déroulés n’apparaissent pas seulement comme le produit de très mauvais scénarios. Ils dessinent aussi le retour d’une brutalité inédite en matière de relations internationales.
Bien plus qu’un simple journaliste, Jamal Khashoggi était devenu le principal dénonciateur de la dérive autoritaire du prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane. Si les affirmations turques se confirment, il aurait été assassiné dans les locaux du consulat saoudien, avant que son corps soit littéralement coupé en morceaux. De son côté, le président d’Interpol, Meng Hongwei, a soudainement «disparu» au motif supposé qu’il commençait à faire de l’ombre au président chinois Xi Jinping. Dans un registre voisin, le bal des espions russes, de La Haye à Salisbury, en passant par Lausanne et Berne, semble être le signe d’une vaste opération de «déstabilisation», mêlant tentatives de meurtre et piratage tous azimuts.
Arabie saoudite, Chine, Russie: dans chaque cas, le passé récent de ces pays est lourd. Dans le désordre, la guerre au Yémen, l’arrestation de tout opposant par le pouvoir de Riyad, puis les Ouïgours du Xinjiang mis en coupe réglée par Pékin, puis les espaces de liberté qui se rétrécissent en Russie tandis que ses bombardiers massacrent les civils en Syrie…
Pourquoi donc, au vu de ce sombre panorama, insister sur ces seuls éléments récents? Parce que, exécutés au vu et au su de tous, ne provoquant pas même un semblant de gêne de la part de leurs auteurs et suscitant des démentis apathiques, voire loufoques, ces agissements apparaissent clairement pour ce qu’ils sont: des implacables affirmations de pouvoir. Peu importe la vraisemblance des dénégations, et peu importent les conséquences, le monde est prié de s’adapter à ces méthodes qui, il y a peu encore, auraient paru d’un autre âge. Une manière de faire d’autant plus alarmante que ces pratiques donnent l’impression de s’encourager les unes les autres, au risque de finir de transformer en Far West les enceintes diplomatiques, les organisations internationales ou… les environs du laboratoire bernois de Spiez.
Exécutés au vu et au su de tous