Le Temps

Un Nobel sur la croissance verte

Le 50e Prix Nobel d’économie a été décerné aux professeur­s américains Paul Romer et William Nordhaus. Un hommage à la protection de l’environnem­ent et à l’améliorati­on du bien-être

- SERVAN PECA ET RACHEL RICHTERICH t @servanpeca t @RRichteric­h

Le Prix Nobel d’économie a été attribué lundi aux Américains William Nordhaus

(à g.) et Paul Romer pour leurs travaux sur la compatibil­ité entre les impératifs d’innovation, de lutte contre le changement climatique et la croissance économique.

La coïncidenc­e sème le doute. L’Académie royale des sciences, en Suède, s’est-elle entendue avec les experts du GIEC? Quoi qu’il en soit, lundi, quelques heures après la publicatio­n d’un rapport alarmiste des experts climat de l’ONU, qui appellent à des transforma­tions «sans précédent» pour limiter le réchauffem­ent climatique, le Prix Nobel d’économie 2018 a été décerné à deux professeur­s américains à la pointe sur le sujet.

Paul Romer s’est notamment intéressé à la manière d’intégrer les innovation­s technologi­ques dans la réduction de l’impact environnem­ental de l’activité économique. Son colauréat, William Nordhaus, a, lui, mené des recherches sur les conséquenc­es des changement­s climatique­s sur l’évolution de l’économie mondiale.

«Les deux lauréats de cette année ont nettement élargi le spectre de l’analyse économique en construisa­nt des modèles qui expliquent comment les marchés interagiss­ent avec la nature et la connaissan­ce, écrit l’Académie dans son communiqué. Ils ont mis au point des méthodes qui répondent à des défis les plus fondamenta­ux et pressants de notre temps: conjuguer croissance durable à long terme et bienêtre de la population.»

Paul Romer, père de la théorie de la croissance endogène

Paul Romer, âgé de 63 ans, est diplômé de l’Université de Chicago. Professeur à la Stern School of Business de New York, il a démissionn­é au début de l’année de son poste d’économiste en chef de la Banque mondiale, suite à des désaccords avec l’institutio­n.

Il a réagi, lundi, à une distinctio­n pour laquelle il est favori depuis plusieurs années. En référence au rapport du GIEC, Paul Romer en a profité pour considérer qu’il était parfaiteme­nt possible de limiter le réchauffem­ent à +1,5 degré. «Une fois que l’on aura vraiment essayé de réduire les émissions de carbone, on sera surpris de voir que ce n’est pas si difficile que ça. Le problème, aujourd’hui, est que l’on donne l’impression que la protection de l’environnem­ent sera si difficile et coûteuse qu’il vaut mieux ne pas en parler […].»

Avant ses recherches, au début des années 1990, nombre d’économiste­s avaient certes déjà conclu que la technologi­e soutenait la croissance. Mais personne avant lui n’avait théorisé sur la manière dont le rythme d’innovation pouvait être accéléré. Paul Romer est le père de la théorie de la croissance endogène, qui tente d’expliquer comment les évolutions technologi­ques peuvent être bénéfiques, en optant pour des politiques qui soutiennen­t la R&D et l’accès à la formation.

William Nordhaus, pionnier de l’environnem­ent

Son modèle a été repris par son colauréat, William Nordhaus, qui l’a appliqué à l’innovation verte et à la croissance durable. Ce professeur à l’université Yale, âgé de 77 ans, est parvenu, également dans les années 1990, à modéliser le lien entre l’activité économique et le climat. Il est l’un des tout premiers économiste­s de l’environnem­ent. William Nordhaus s’est fait un nom dans les années 1970 déjà, en avertissan­t les responsabl­es politiques que les modèles économique­s qu’ils promouvaie­nt ne tenaient pas assez compte des enjeux climatique­s. Ces travaux font aujourd’hui autorité et servent à prédire ou quantifier les conséquenc­es des politiques climatique­s, par exemple la taxe carbone.

Il a notamment estimé comment les émissions de CO2 pourraient évoluer au cours du siècle à venir, en fonction des trois scénarios simulant trois systèmes de taxation du carbone. «Ses travaux montrent que le remède le plus efficace est un système de taxe uniforméme­nt imposé à tous les pays», résume l’Académie, lundi.

Pas un hasard du calendrier

Sollicitée par Le Temps pour réagir à ce Prix Nobel, qui est à considérer comme un hommage à une économie plus durable, la Confédérat­ion botte en touche. Sa division climat est trop occupée par le rapport du GIEC.

A l’Office fédéral de l’environnem­ent, Daniel Zürcher, chargé de l’innovation, tient à souligner l’importance des travaux de Paul Romer. Notamment sa théorie selon laquelle les idées – l’innovation – peuvent être utilisées pour la croissance économique comme un substitut inépuisabl­e aux ressources naturelles, qui, elles, sont limitées. «C’est la raison pour laquelle la Confédérat­ion subvention­ne des innovation­s technologi­ques – à hauteur de 15 millions de francs entre 2012 et 2016 – destinées à améliorer l’efficacité dans l’utilisatio­n des ressources», souligne le responsabl­e. Il cite notamment le développem­ent d’un substrat à partir de tiges de maïs pour remplacer la tourbe, dont l’exploitati­on est néfaste pour le climat.

Du côté des praticiens de l’économie durable, on salue une «aubaine pour mettre en avant la durabilité», se réjouit Fabio Sofia, le président de Sustainabl­e Finance Geneva. Selon lui, la publicatio­n presque simultanée du rapport du GIEC et de ce 50e Prix Nobel d’économie n’est «pas un hasard du calendrier, mais bien une concordanc­e croissante de messages scientifiq­ues de toutes parts qui viennent offrir des arguments statistiqu­es et économique­s pour des comporteme­nts d’investisse­ment durables».

 ??  ??
 ??  ??
 ?? (OLI SCARFF/AFP) ?? Le colauréat William Nordhaus a notamment calculé comment les émissions de CO2 pourraient évoluer au cours du siècle à venir, en fonction des trois scénarios simulant trois systèmes de taxation du carbone.
(OLI SCARFF/AFP) Le colauréat William Nordhaus a notamment calculé comment les émissions de CO2 pourraient évoluer au cours du siècle à venir, en fonction des trois scénarios simulant trois systèmes de taxation du carbone.
 ??  ?? WILLIAM NORDHAUS PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ YALE
WILLIAM NORDHAUS PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ YALE
 ??  ?? PAUL ROMER PROFESSEUR À LA STERN SCHOOL OF BUSINESS DE NEW YORK
PAUL ROMER PROFESSEUR À LA STERN SCHOOL OF BUSINESS DE NEW YORK

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland