L’héritage de la grande crise financière de 2008
Le 15 septembre 2018 a marqué le dixième anniversaire de la faillite de Lehman Brothers, un jour très noir pour les marchés financiers et plus largement la finance mondiale. Les cyniques diront que cet accident planétaire était à la fois inéluctable et surtout salutaire. Nous n’allons pas ici revenir sur la montée des risques et les mauvais comportements qui ont mené à cette crise, mais plutôt nous concentrer sur les conséquences visibles aujourd’hui encore pour les marchés financiers et la pratique des métiers de la gestion d’actifs.
Faire cohabiter austérité et relance
Premier constat préoccupant: la dette mondiale n’a cessé de progresser année après année, même si sa composition s’est profondément modifiée! La promesse de réduction du levier présent dans l’économie mondiale a fait long feu. Si le consommateur des pays développés a réduit de manière significative ses engagements financiers, le relais a été pris par les Etats. Certains d’entre eux ont dû intervenir pour sauver leur secteur bancaire et d’autres – notamment dans les pays émergents – ont poussé la relance par la dette. Plus généralement, le défi était très grand: faire cohabiter austérité et relance!
Les banques centrales ont donc joué un rôle essentiel dans ce processus de «guérison» de la crise en alimentant généreusement l’économie mondiale en liquidités et, par voie de conséquence, en maintenant artificiellement et durablement les taux d’intérêt à des niveaux très bas. Le piège s’est ensuite refermé, car tout le monde craint qu’une remontée brutale des taux ne mette de nouveau de nombreux débiteurs en grande difficulté. La prochaine crise sera probablement causée par l’excès de mauvais crédits.
Deuxième constat: les effets collatéraux de ces politiques monétaires non conventionnelles sont nombreux, à commencer par le creusement des inégalités sociales. Pensons aux épargnants et aux retraités à qui on a «vendu» pendant des générations les vertus de l’épargne: ils voient aujourd’hui leur capital dépouillé de toute rémunération, pire pénalisé par des taux négatifs dans certains cas. De son côté, l’emploi est globalement à la traîne, sauf aux Etats-Unis où les chiffres sont meilleurs, mais pas la qualité des profils des travailleurs. La formation continue et adaptée à l’évolution de la société doit absolument être promue comme la grande priorité des dirigeants.
La «forte dose médicamenteuse» injectée dès fin 2008 a permis d’enrayer assez rapidement la spirale de destruction économique et financière. Toutefois, les forces déflationnistes de la crise sont restées bien ancrées dans la mentalité des agents économiques. Le cycle qui prévaut depuis 2009 est modéré dans son intensité, mais particulièrement long dans sa durée. La montée brusque et récente du protectionnisme va certainement grever la dynamique du commerce mondial et partant précipiter la fin de ce cycle.
Enfin, un mot sur le concept évanescent de la liquidité des marchés: sa disparition en cas de crise accentue les décalages de cours et engendre une accélération des ventes forcées. Dans le passé, les banques étaient les principaux teneurs de marché, rôles qu’elles ont très largement abandonnés en raison de la montée de nouvelles exigences réglementaires. Certaines de ces fonctions, notamment celles de prêteur, ont été reprises par des grands gestionnaires d’actifs qui n’ont de leur côté aucune obligation d’être dans le marché quand les conditions se tendent… Il s’agit donc d’un contexte paradoxal, caractérisé par des banques centrales qui ont inondé l’économie de liquidités et de marchés financiers qui se sont clairement rétrécis en matière de liquidité transactionnelle!
La générosité peu commune des politiques monétaires avait pour objectif de faire baisser les taux et de permettre une reprise des cours des actifs. L’objectif a été atteint, tout en créant des distorsions de cours significatives, les banques centrales déployant des programmes d’achat indiscriminés. Le rôle accru de ces nouveaux acteurs a rendu progressivement la vie plus difficile pour les gérants d’actifs, induisant par conséquent un report massif et régulier de fonds vers la gestion indicielle, et plus spécifiquement vers les Exchange Traded Funds (ETF). Avec la réduction en cours des bilans de banques centrales, l’effet «marée qui fait monter tous les bateaux» pourrait bien s’atténuer…
Autre tendance de fond, la préférence marquée des grands investisseurs pour les placements privés, tant dans le capital que dans la dette des sociétés. Il s’agit véritablement d’un marché «d’initiés légalisés». L’attrait du marché public a très clairement régressé ces dernières années, de nombreuses sociétés préfèrent désormais rester privées afin de poursuivre leur développement avec un cercle d’actionnaires aligné sur leur projet. De plus, il existe une certaine «prime d’illiquidité» dont l’investisseur bénéficie sur la durée de son placement.
Nous observons également la montée des exigences en matière de transparence, de performance et de réduction des frais de gestion. Cette pression se traduit par un regroupement des compétences de gestion au sein d’entités plus grandes et plus efficientes, tant dans le monde des capitaux de prévoyance que de la gestion d’actifs pour tiers. Les fonds ou gestionnaires de taille moyenne sans véritable avantage concurrentiel sont appelés à disparaître.
Montée de la finance durable
Enfin, la prise en compte de critères de durabilité (social, environnemental, gouvernance) est désormais généralisée, particulièrement dans le cadre des capitaux de prévoyance. Cette approche conduit à l’intensification du dialogue entre investisseurs et entreprises, à l’augmentation des exigences de transparence et à la définition de nouveaux équilibres sectoriels dans les portefeuilles.
Aujourd’hui comme demain, le succès accompagnera les acteurs qui prennent en compte ces tendances lourdes et qui font pleinement recours aux constants développements technologiques: large utilisation des données de toute nature, développement d’algorithmes qui facilitent les travaux d’analyse, engagement permanent des outils de gestion du risque notamment. Mais comme toujours, ceux qui trouveront le bon équilibre entre processus éprouvé, utilisation accrue de la technologie et flair feront la différence.
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La dette mondiale n’a cessé de progresser année après année, même si sa composition s’est profondément modifiée