Quand la santé publique se fait complice des cigarettiers
En décembre dernier, Alain Berset présentait le deuxième projet de loi sur les produits du tabac (LPTab2). Le ministre de la Santé a été forcé par le parlement d'y ancrer la protection de la jeunesse sans pour autant interdire la publicité! Exigences contraires et qui s'opposent à la Constitution, puisque la Confédération légifère «sur les produits chimiques qui peuvent présenter un danger pour la santé…» et que «les enfants et les jeunes ont droit à une protection particulière de leur intégrité».
La restriction par la LPTab2 sur la publicité visant les mineurs ne limitera point le message de la publicité en général, perçu constamment par tous les enfants: «X est une marque parmi d'autres, cela ne peut être dangereux, sinon sa publicité serait illicite.» Adressée aux adultes, elle ajoute: «Attention, X est réservé aux grands!», message renforcé par l'interdiction de la vente aux mineurs. Ainsi, fumer devient attrayant pour les jeunes, car le goût de la transgression les incite justement à goûter ce qui leur est interdit.
La LPTab2 conservera donc les conditions pour qu'au moins 12% des garçons et 9% des filles de 15 ans, ainsi que 28% des 20-24 ans commencent à fumer. La dépendance à la nicotine se fixant facilement dans le cerveau des adolescents, cela garantit des clients à vie à l'industrie du tabac. Le projet de loi est donc contraire à la loi sur les médicaments: «Est illicite la publicité destinée au public pour les médicaments qui font fréquemment l'objet d'un usage abusif ou qui peuvent engendrer une accoutumance ou une dépendance.» C'est ici exactement l'effet des produits soumis à la LPTab2.
Par leur perfectionnement afin de les rendre attrayants et d'en augmenter le potentiel addictif, ils créent des dépendants, dont il faut rappeler que la moitié décédera prématurément. Le législateur limite la liberté du commerce des pharmas pour protéger la santé alors que les effets secondaires de tels médicaments sont minimes comparés aux dégâts causés par la nicotine. A plus forte raison, les produits responsables de l'épidémie tabagique devraient être soumis à une interdiction similaire aux produits pharmaceutiques.
La LPTab2 ouvre le marché suisse aux «produits alternatifs», car «moins dangereux» selon l'OFSP, c'est-à-dire le snus (tabac oral, uniquement légal en Suède), les cigarettes électroniques et le tabac dont on inhale la vapeur lorsqu'il est chauffé par un dispositif électronique, interdits jusqu'à maintenant. Par cela, on contourne la loi sur la sécurité des produits. «Peuvent être mis sur le marché les produits qui présentent un risque nul ou minime pour la santé, [tenant] compte de la durée d'utilisation indiquée ou prévisible du produit [et] du fait que le produit sera de manière prévisible utilisée par de catégories de personnes plus vulnérables que d'autres [par exemple, des enfants].» A cause de l'addiction nicotinique, l'utilisation des «produits alternatifs» se poursuivra et leur toxicité à long terme reste inconnue pour le moment.
Présumer l'innocuité par la comparaison avec la cigarette tabac, hautement toxique, par rapport à laquelle ces produits seraient donc «moins nocifs» est inacceptable. La loi ne permet pas de négliger les toxicités du snus, de la cigarette électronique et du tabac «chauffé pas brûlé». Et les conséquences seront loin d'être «minimes» si l'on permet à l'industrie de les utiliser comme instruments à répandre la consommation d'une drogue «banale», mais dont les dépendants toucheront tôt ou tard à la cigarette classique, moyen inégalé pour amener rapidement la nicotine au cerveau.
La LPTab2 protège les cigarettiers et non la santé comme elle le devrait. Toute la communication commerciale reste disponible pour répandre par les nouveaux produits l'addiction nicotinique, base de leur modèle d'affaires. Le refus de ratifier la convention cadre contre le tabac de l'OMS les protège des mesures légales pour faire respecter son article 5.3. Celui qui doit empêcher que des lois de la protection de la santé soient contournées. La non-ratification prive les autres pays d'un partenaire essentiel, car elle fait du pays siège des multinationales du tabac leur paradis politique. En se désolidarisant de la lutte contre les cigarettiers et contre leur conquête des pays pauvres, la Suisse saborde son rôle de garde des traités multilatéraux.
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En se désolidarisant de la lutte contre les cigarettiers et contre leur conquête des pays pauvres, la Suisse saborde son rôle de garde des traités multilatéraux