Le «reset» qui fait pschitt
«Ignazio, reste modeste!» S’il est un seul conseil de son prédécesseur que le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis serait avisé de suivre, c’est celui que lui donna Didier Burkhalter en lui remettant les clés du département. La modestie, c’est de la prudence. Et la prudence voudrait que l’on ne nous vende pas pour nouvelle stratégie ce qui n’est que la poursuite de la politique européenne de Didier Burkhalter. Et le pschitt de la touche «reset».
Après le fiasco de la visite de Jean-Claude Juncker et la cacophonie des conseillers fédéraux au Forum de Davos, le Conseil fédéral s’est enfin mis d’accord sur deux points dans son approche avec l’UE: la conclusion rapide d’un accord institutionnel et le recours à un tribunal arbitral pour trancher des différends dans l’application du droit européen. Or, on sait que hormis Didier Burkhalter et Alain Berset, tous les autres conseillers fédéraux tergiversaient sur le rythme des négociations. L’un voulait attendre ce qui se passerait avec le Brexit, les autres le vote sur l’initiative UDC pour la suprématie du droit national et les deux nationalistes ne voulaient rien savoir. Et chacun négociait dans son coin son propre dossier. Lâché par son propre parti de plus en plus aligné sur l’UDC, Didier Burkhalter a jeté l’éponge. L’électrochoc provoqué par la menace de Bruxelles sur la reconnaissance de l’équivalence de la Bourse suisse a réussi là où le Neuchâtelois avait échoué: siffler la fin de la récréation.
S’agissant du tribunal arbitral appelé à juger des différends entre l’UE et la Suisse, rappelons à ceux qui ont perdu la mémoire que cette piste figurait déjà dans le mandat de négociation de 2013. C’est bien une idée suisse et non celle de Jean-Claude Juncker. Et si l’UE s’y est longtemps opposée en raison de la volonté d’omnipotence de la Cour de justice de l’Union européenne, une percée avait eu lieu au début de 2017. Quelques semaines avant son départ, en mars, devant les commissions de politique extérieure du Parlement, le négociateur en chef Jacques de Watteville pouvait annoncer que la Commission, de guerre lasse, était entrée en matière. Le Temps (LT du 31.03.2017 puis du 21.09.2017) avait largement détaillé le processus sur lequel Suisses et Européens s’étaient mis d’accord. Même si beaucoup d’obstacles demeuraient. Sans doute conseillé par Jacques de Watteville, le candidat au Conseil fédéral Pierre Maudet avait fait de cette solution un point de référence de sa campagne.
Pour des raisons de communication politique, le Conseil fédéral cherche à faire passer pour un nouveau départ ce qui n’est que la reprise des négociations là où l’ancien secrétaire d’Etat Jacques de Watteville les avait amenées. Il s’agit pour Berne d’effacer toute allusion à la période Burkhalter dont le seul nom provoque régulièrement des boutons à la NZZ ou au PLR. Il y a donc dans cette opération beaucoup d’enfumage. Ainsi se vérifie une fois de plus que la Suisse, pays de réaction et non de révolution, ne bouge que sous la pression extérieure: règlement des fonds juifs en déshérence, fin du secret bancaire, alignement sur les règles fiscales de l’OCDE, etc. Le climat apaisé n’a jamais motivé l’opinion. Par un étrange renversement du système physiologique des peuples, chez nous, ce qui passe par les coups de pied aux fesses est mieux assimilé que par la raison. Les Européens l’ont bien compris et ne s’en privent pas.
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