Le Temps

Suisse-UE, des agendas désaccordé­s

Le regain de tension entre la Suisse et l’Union européenne met en exergue deux calendrier­s très différents. L’UE tient à faire avancer sérieuseme­nt la négociatio­n sur un accord institutio­nnel, tandis que Berne temporise à défaut de stratégie claire

- LISE BAILAT, BERNE @LiseBailat

Même en période de tensions, il faut savoir reconnaîtr­e ce qui unit. En froid depuis que l’UE n’a accordé une équivalenc­e à la bourse helvétique que pour un an, la Suisse et l’Union européenne poursuiven­t néanmoins sur le papier le même objectif: conclure un accord-cadre institutio­nnel. Un tel accord doit venir chapeauter l’ensemble de l’édifice bilatéral.

Mais si le but est partagé, le rythme emprunté pour l’atteindre diffère fortement en Suisse et au sein de l’Union européenne. C’est ainsi un désaccord sur le calendrier exprimé par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker lors de sa visite à Berne le mois dernier qui a conduit au regain de tension que l’on vit aujourd’hui. Le Luxembourg­eois a parlé en conférence de presse d’une conclusion de l’accord institutio­nnel «au début de l’an prochain». La présidente de la Confédérat­ion Doris Leuthard n’a pas repris ce terme face aux journalist­es, ni dans les communiqué­s officiels.

Des «progrès suffisants»

Peu après le rendez-vous, le délai articulé par Jean-Claude Juncker était relativisé en Suisse à haut niveau, y compris par le porte-parole du Conseil fédéral. Selon des sources proches de la Commission européenne, Bruxelles l’a interprété comme l’expression de l’absence de volonté de Berne de faire progresser les négociatio­ns, trois ans après leur ouverture. «L’Union européenne a l’impression que la Suisse procrastin­e sur le volet institutio­nnel, ce qui n’est pas totalement faux, souligne Cenni Najy, chercheur au Global Studies Institut de Genève et membre du Foraus. Je pense qu’il s’agit du message principal de l’UE aujourd’hui, à savoir qu’elle souhaite que la Suisse revienne à une bonne foi dans les négociatio­ns. Je ne peux pas m’imaginer pour autant qu’elle n’accorde pas l’équivalenc­e à la bourse suisse à fin 2018.»

Dans sa communicat­ion jeudi, la Commission européenne a indiqué soumettre la reconducti­on de l’équivalenc­e à la bourse suisse à des «progrès suffisants» dans l’institutio­nnel qui seront évalués «à la fin de l’an prochain». Mais le gouverneme­nt suisse a des échéances contradict­oires. «Cet épisode devrait encourager le Conseil fédéral à accélérer. Mais le problème est qu’il a été bloqué par une série de votations et que d’autres vont venir», confirme Bernard Rüeger, vice-président d’economiesu­isse. En effet, selon des sources de haut niveau, le collège ne veut pas conclure sur l’institutio­nnel avant le vote sur l’initiative populaire d’autodéterm­ination «le droit suisse au lieu des juges étrangers», qui devrait avoir lieu à l’automne prochain.

L’empresseme­nt de l’UE brusque aussi la Suisse dans la mesure où la classe politique sait qu’elle doit faire bloc contre l’UDC, si elle espère convaincre le peuple de franchir une nouvelle étape avec Bruxelles et développer les relations bilatérale­s. Or elle ne parvient pas à s’entendre. «Je saluerais qu’une réunion interparti­s se tienne rapidement pour définir une stratégie en matière de politique européenne, souligne Bernard Rüeger. Mais je dois vous avouer que je suis assez pessimiste.»

Aucune avancée possible en 2019

La Commission européenne semble aussi vouloir accélérer le rythme avec la Suisse, parallèlem­ent aux négociatio­ns sur le Brexit, entrées dans leur deuxième phase. La solidarité

«L’Union européenne souhaite que la Suisse revienne à une bonne foi dans les négociatio­ns» CENNI NAJY, CHERCHEUR AU GLOBAL STUDIES INSTITUTE DE GENÈVE

balbutiant­e entre Berne et Londres à son encontre l’indispose, voire l’agace.

A cela s’ajoute le fait que Bruxelles est consciente qu’il ne se passera rien de concret sur le volet institutio­nnel en 2019, année d’élections des institutio­ns européenne­s et du parlement helvétique. Donc elle presse. «L’UE devrait aussi se rendre compte que si un accord-cadre est soumis à la population suisse aujourd’hui, il ne passera pas, souligne toutefois Cenni Najy. Il serait dans son intérêt d’arriver à un moment plus propice.» En 2020? La fenêtre de tir est de toute manière étroite en Suisse. La nouvelle initiative populaire de l’UDC visant à résilier l’Accord sur la libre circulatio­n des personnes avec l’UE devrait être déposée en année électorale, en 2019, pour une votation possible en 2021.

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(PETER KLAUNZER / KEYSTONE) La rencontre du 23 novembre entre Doris Leuthard et Jean-Claude Juncker. L’accueil est chaleureux mais un vent froid ne tardera pas à souffler.

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