Comment terrasser les «fake news»
Réuni cette semaine au Palais des Nations à Genève, le 12e Forum de l’ONU sur la gouvernance de l’Internet s’est penché sur les remèdes à ce poison qu’est pour la démocratie la désinformation pratiquée à l’échelle industrielle
Donald Trump en a fait sa marque de fabrique pour discréditer les médias qui publient des nouvelles qui ne lui plaisent pas: les fake news. Sa porte-parole Kellyanne Conway avait même trouvé une nouvelle phraséologie pour les qualifier: les faits alternatifs. Le phénomène est loin d’être nouveau. Il a plus d’un siècle. Dans un document pour le Conseil de l’Europe, la chercheuse Claire Wardle montre les sérieux dangers qu’il représente pour la démocratie.
Cette dernière juge le vocable fake news inadapté parce qu’il ne prend pas en compte «le phénomène complexe de la pollution informationnelle». Elle préfère parler de mésinformation et de désinformation, l’une étant simplement fausse et l’autre étant fausse et visant à nuire.
En pratiquant la désinformation sur Twitter, Facebook ou même des chaînes de télévision câblées, ses promoteurs ont un objectif: créer la confusion, saper l’autorité des institutions et introduire un relativisme qui pousse chacun à mettre tout sur un même plan. Le président américain, porté à la Maison-Blanche en partie grâce à Twitter et Facebook, est un maître dans l’usage de ce poison démocratique. Mais il n’est pas le seul. Quand la Russie diffuse de fausses nouvelles sur le président français Emmanuel Macron ou la démocrate américaine Hillary Clinton, elle cherche elle aussi à provoquer le désordre général qui ouvre la porte à une remise à l’ordre autoritaire.
Un «pouvoir politique 2.0»
C’est sur cette toile de fond que, cette semaine, le 12e Forum sur la gouvernance de l’Internet, qui a réuni 2000 experts du Web au Palais des Nations à Genève, a consacré plusieurs sessions aux fausses nouvelles et énoncé des pistes pour les contrer. Dans une étude menée dans dix-huit pays en septembre dernier, BBC World Service a établi que 79% des personnes interrogées estimaient être préoccupées par la difficulté de distinguer les fausses des vraies nouvelles sur Internet. «Il est évident qu’au vu de l’impact de la numérisation, il importe de reconquérir la confiance des utilisateurs, explique la Bulgare Mariya Gabriel, commissaire européenne à l’Economie et à la société numériques. La propagande à travers les fausses nouvelles reflète un malaise manifeste au sein de la société. Le problème est clairement politique. Nos valeurs démocratiques sont attaquées.»
Malavika Jayaram, directrice du Digital Asia Hub, ne cache pas que le défi est immense: «Il faut se rendre à l’évidence. Pour l’heure, nous avons une technologie 4.0 et, pour combattre les fake news, un pouvoir politique 2.0.» Dans ce contexte de désordre informationnel, le directeur de l’Union européenne de radio-télévision (UER), Noel Curran, voit le service public comme un rempart: «Selon une étude réalisée dans 33 pays, 80% des sondés ont confiance dans le service public. En comparaison, les réseaux sociaux bénéficient d’une confiance de 21% et celle-ci continue de baisser.» Pour Noel Curran, le service public doit injecter de l’argent dans des secteurs où d’autres ne le font pas, comme le journalisme d’investigation de qualité. «87% des membres de l’UER investissent au total 18 milliards de francs par année. C’est une contribution unique à la société européenne.»
Combattre la désinformation par une régulation plus stricte est une piste que l’UE suit, mais ce n’est toutefois pas suffisant. Dunja Mijatovic, experte internationale de la liberté des médias auprès d’Access Now, met en garde contre une régulation excessive. «Nous sommes en train de surréagir. Je ne vois pas pourquoi on devrait aujourd’hui confier à une organisation, à un gouvernement la tâche de nous dire ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Je ne veux pas qu’on filtre mon esprit à ma place.»
Investir dès la maternelle
Dunja Mijatovic relève que les unités de vérification des faits (factchecking) sont peut-être utiles, mais qu’elles exonèrent les autres acteurs de leurs responsabilités. A ses yeux, il est beaucoup plus urgent que les Etats investissent dès la maternelle dans la formation des enfants pour que le public soit mieux à même d’appréhender l’ère digitale. Cofondateur du site StopFake.org et directeur de l’école de journalisme Mohyla à Kiev, en Ukraine, Yehven Fedchenko abonde dans le même sens: «Il est possible de transformer en arme de propagande tout programme télévisé, même ceux destinés aux enfants.»
Professeure à l’Université américaine du Caire, Rasha Abdulla a une approche plus circonspecte: «Les fake news sont l’excuse parfaite (côté gouvernemental) pour étouffer toute voix dissidente.» Elle relève qu’il y a une semaine, le célèbre journaliste Wael Abbas, qui a documenté pendant des années les violations des droits de l’homme en Egypte, a vu son compte Twitter fermé.
Pour contrer la désinformation, ajoute Claire Wardle, il ne suffit pas d’injecter des tonnes d’informations factuelles dans le système. «Ce ne serait pas vraiment comprendre les éléments émotionnels et rituels de la communication.» De fait, les fake news s’accompagnent souvent d’un puissant narratif qu’il est difficile d’infléchir. Quand la rumeur laisse entendre que Barack Obama est musulman, la meilleure manière de démentir l’information n’est pas de dire qu’il ne l’est pas, mais de raconter une histoire montrant le même Obama dans une église chrétienne avec sa famille.
Chef d’unité à la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne, Paolo Cesarini avance ses solutions: «Pour que le citoyen soit capable de discerner le vrai du faux, il est essentiel qu’il y ait une transparence totale sur les algorithmes et les données personnelles utilisées par les plateformes digitales et sur qui est derrière l’information fournie.» Le Conseil de l’Europe a luimême établi toutes une série de recommandations. Les Etats doivent exiger des plateformes digitales qu’elles mentionnent la provenance des publicités et réguler les réseaux sociaux afin qu’ils ne puissent pas gagner de l’argent en diffusant des fake news. Les médias eux-mêmes sont appelés à éviter d’être manipulés par ceux qui veulent amplifier un phénomène de désinformation.
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«Nous ne devons pas confier à une organisation la tâche de nous dire ce qui est juste et ce qui ne l’est pas» DUNJA MIJATOVIC, EXPERTE INTERNATIONALE DE LA LIBERTÉ DES MÉDIAS AUPRÈS D’ACCESS NOW