Médecine, sexe et genre: déjouer les stéréotypes
Vous connaissez peutêtre cette devinette? Un père et son fils sont victimes d'un accident de voiture. Le père meurt sur le coup et le fils, grièvement blessé, est transporté d'urgence à l'hôpital. L'urgentiste, voyant le garçon, s'exclame: «Je ne peux pas m'en occuper, c'est mon fils». Comment est-ce possible?
En tant que femme, médecin, menant des travaux de recherche sur le genre, je suis sensibilisée à la question du genre. Pourtant, lorsqu'on m'a raconté cette histoire, je n'ai pas pensé que l'urgentiste pouvait être la mère du garçon. J'étais même assez contente de moi en avançant qu'il s'agissait du père du garçon, démontrant ainsi mon ouverture d'esprit par rapport au mariage pour tous. Imaginez cette énigme posée à l'envers: «Une mère et son fils ont un accident de voiture…» La réponse fuserait immédiatement.
Cette histoire montre à quel point nous sommes conditionné(e)s par les stéréotypes de genre. En effet, la société définit des normes que nous intériorisons très tôt. Celles-ci sont fluides et varient en fonction de la culture et de l'éducation, et nous influencent, sans que nous en soyons conscient(e)es. On parle alors de biais implicites. Lors d'incertitudes ou de situations de stress, le recours aux stéréotypes permet de prendre des décisions plus rapides et parfois erronées.
En médecine, les biais de genre existent également et peuvent avoir des conséquences importantes. Par exemple, certaines pathologies, comme les maladies cardiovasculaires, sont traditionnellement attribuées aux hommes. De nombreuses études ont montré que cette croyance pousse les femmes à consulter plus tardivement et qu'elles sont prises en charge et traitées de façon moins intensive. Cela explique, en partie, pourquoi la mortalité après un infarctus du myocarde est près de deux fois supérieure chez les femmes. Un autre biais incite à nier les particularités des hommes et des femmes. Par exemple, la recherche, longtemps androcentrée, a laissé de côté les sujets féminins sous prétexte de variabilités liées aux hormones ou au risque de grossesse. Une des conséquences est un risque plus important d'effets secondaires médicamenteux chez les femmes. Il s'agit donc de combattre les stéréotypes, tout en tenant compte des spécificités lorsqu'elles sont présentes.
Les sciences sociales ont investi depuis longtemps le champ des études genre. Cette thématique, plus récente en médecine, suscite encore des résistances. En effet, lorsqu'on parle d'«études genre», on s'intéresse aux rapports de pouvoir entre hommes et femmes. Il est rassurant de tenir ces thèmes à l'écart des sciences dites dures qui – penset-on – sont objectives. En médecine, la question a émergé au début du XXe siècle lorsque des endocrinologues se sont interrogés sur l'identité de genre d'enfants nés avec une ambiguïté sexuelle. Le sexe – se référant aux caractéristiques biologiques et physiologiques différenciant hommes et femmes – a dès lors été opposé au genre. Cette notion est associée aux rôles, aux comportements et aux attributs qu'une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes. Il y aurait donc, d'un côté, le monde naturel, régi par le déterminisme biologique des sexes, et de l'autre, le monde issu de la construction sociale du genre. Le risque est d'utiliser des approches naturalisantes pour légitimer l'infériorité d'un groupe par rapport à un autre.
Pour l'illustrer, on peut évoquer les théories d'un certain Dr Möbius, qui, au début du XXe siècle, publie un ouvrage soutenant que la femme n'est intellectuellement pas capable de s'occuper des problèmes de la vie politique en raison, entre autres, du poids inférieur de son cerveau, justifiant sa mise sous tutelle par l'homme. Si ces théories font aujourd'hui sourire, elles ont longtemps marqué les mentalités. Faut-il rappeler que le droit de vote a été accordé aux femmes au niveau fédéral en 1971?
De nombreuses études ont démontré, depuis, que les différences entre hommes et femmes sont davantage le produit d'une construction sociale que d'un déterminisme biologique. Des neurobiologistes ont documenté l'influence de l'éducation sur la plasticité neuronale. D'autres recherches ont montré que l'adoption d'une posture dominante influence les taux de testostérone, hormone associée à la compétitivité. Ce n'est donc pas un taux plus élevé de testostérone qui rend plus compétitif, mais bien le conditionnement à être compétitif qui augmente le taux d'hormones.
Il est important d'informer les soignants et la population sur cette problématique. C'est la seule façon de lutter contre les disparités de genre en santé. Mais cela ne suffit pas. Soyons ambitieux(euses)! C'est à nous, femmes et hommes, de faire évoluer ces normes pour permettre une société plus égalitaire. Une société où il sera évident que l'urgentiste peut aussi être une femme. ▅
Si ces théories font aujourd’hui sourire, elles ont longtemps marqué les mentalités